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jeudi 23 mai 2024

Fox, tome 3 : Raïs el Djemat

C’est fou, d’ailleurs, ce que les hommes ne peuvent pas savoir.


Ce tome est le deuxième d’une heptalogie, il fait suite à Fox, tome 2 : Le miroir de vérité (1992). Sa première édition date de 1993. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, par Jean-François Charles pour les dessins, et Christian Crickx pour la mise en couleurs. Il comprend quarante-six pages de bandes dessinées. La série a bénéficié d’une réédition intégrale en deux tomes en 2005.


Un vent de sable se lève sur les trois pyramides du plateau de Gizeh, assombrissant le ciel, les silhouettes triangulaires évoquent alors celles de terrils. Dans une ville minière, dans le café Colombophile, le commissaire Bolen est attablé avec Allan Rupert Fox, et il essaye de faire le point sur la situation. Il récapitule car lui, il n’a jamais mis les pieds en Égypte ! Alors, tous ces dieux, ces singes hurleurs, cette femme en noir, cette éruption sur l’île… Ouff ! C’est beaucoup pour un homme qui n’a jamais été plus loin que Bouy-les-Piéton. Il reprend ses fiches et suggère à Fox de l’interrompre s’il se trompe. Edith… Son amie … Si Fox part en Égypte, c’est principalement pour la retrouver. Elle et le criminel qui l’a enlevée… Le clown blanc… Enfin celui qui se cache derrière ce masque. Fox mène son enquête, aidé en cela par le conservateur du musée du Caire qui lui apprend ce qu’est réellement ce livre maudit dont l’Américain parle depuis le début, le livre de Toth. Voilà ! Livre dont la science n’est réservée qu’à quelques initiés, ceux qui ont franchi l’épreuve du Ank… Du Ank… Que c’est compliqué ! du Ank-En-Maat, l’épreuve de vérité ! Il semble que le clown blanc ait relâché son amie… Mais non sans lui avoir fait subir cette épreuve…



Allan Fox continue : il récupère Edith, mais elle est malade, elle a des visions, elle perd connaissance. Elle est soignée par le médecin de Lord Calder, un collectionneur richissime et excentrique qui vit sur une île face à la vallée des Rois et qui prétend posséder la copie du Livre maudit. Aussi il décide de se rendre à l’île aux Bananes avec Edith. En route, ils se font attaquer par des singes sauvages, puis ils tombent sur Adrianna Puckett. La conversation est interrompue par un mineur de type costaud qui interpelle Fox en lui disant que depuis qu’ils l’ont retrouvé dans une mine, plus rien ne va ici. Il lui intime de dégager, ils ne veulent plus de lui ici. Fox ne faisant pas d’effort, il prend à témoin les autres clients. L’Américain se lève et pointe du doigt la chope de bière tenue par son interlocuteur : le liquide se change en sang, et il en va de même pour la boisson de tous les autres clients. Le commissaire et lui se lèvent et sortent dehors. Une fois dehors, Bolen veut savoir ce qui s’est passé : Fox répond qu’il lui a suffi de penser à une formule, à savoir Raïs el Djemat. Il reprend son récit : Bayla, l’assistant du professeur Hephraïm de l’université du Caire, va se présenter à Adrianna Puckett, en train de prendre le soleil sur un transat sur la plage privée de l’île de Lord Calder. Il est venu lui transmettre l’invitation du propriétaire à se joindre à eux, pour visiter les caves.


Les auteurs continuent de mettre en œuvre des conventions de genre évoquant les récits d’aventure et d’exploration de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième. Cela commence avec l’utilisation du narrateur qui raconte son histoire, fixant ainsi le temps présent du récit, après coup. Les deux premières cases introduisent l’exotisme d’un pays mal connu, avec l’une des sept merveilles du monde : la pyramide de Khéops à Memphis. La situation relève du colonialisme : les blancs se sentent chez eux, ce pays leur offrant tous les mystères d’un terrain d’aventure, avec des ruines n’ayant pas livré tous leurs secrets, vestiges d’un passé inconnu. Les autochtones occupent essentiellement des places subalternes dans la société, et les hommes portent ce curieux couvre-chef, un fez rouge, en feutre, en forme de cône tronqué. L’artiste les représente comme les autres personnages, sans moquerie ou condescendance, mettant en avant leur bravoure sur le même plan que celle des personnages principaux. Les auteurs mettent à profit la mythologie de l’Égypte antique, entre tourisme bien renseigné pour les ruines, et utilisation pratique pour Bès ou pour un sarcophage réduit en poussière, sans aller au-delà de l’artifice narratif, sans développer une analyse culturelle ou historique sur ces éléments. Ils mettent en scène les hommes comme des archétypes de héros ou d’antagonistes, valeureux ou fourbes, tout comme les personnages féminins, entre Edith courageuse et souvent victime habillée de blanc, et Adrianna Puckett manipulatrice et cruelle, habillée de noir.



Tranquillement, les auteurs commencent par rappeler au lecteur les événements passés : la première scène dans la ville minière pour remettre en tête que c’est ici que le récit a commencé dans le premier tome, avec une belle vue en perspective de la rue principale, de la façade du café, de l’entrée du cinéma où passe le film La légion du désert (titre fictif, évoquant celui de La légion du Sahara, 1953) avec Alan Ladd (1913-1964, acteur bien réel), comme un hommage à ces films d’action, et également une indication de la source d’inspiration des auteurs. Il suffit de constater la similarité de prénom entre l’acteur et le héros Allan Fox. Puis vient la scène où l’étranger est pris à parti par les habitants qui estiment qu’il apporte le malheur, avec les affiches publicitaires d’époque accrochées aux murs. À partir de la planche six, retour à l’exotisme de l’Égypte, le soleil, le sable, une résidence luxueuse, avec ses caves dont le lecteur peut apprécier la fraîcheur avec des murs maçonnés en brique, à l’abri du soleil. Puis les personnages partent à la découverte de la vallée des Rois : le soleil devient implacable, le sable est partout. Le soir, ils se rendent à la réception donnée par Lord Calder sur son immense bateau : la fraîcheur de la nuit, les mondanités, une surprise dans une cabine, une autre dans la cale. Et enfin une deuxième séquence dans le désert avec une panne de voiture au milieu du sable à perte de vue, une troupe de bédouins à dos de dromadaire, et l’attaque d’un avion de chasse qualifié de vieux souvenir de Rommel par Timothy Puckett. Les auteurs maîtrisent les ressorts de ce type d’aventure.


La narration visuelle fait la différence avec une suite d’images génériques au kilomètre. En surface, l’artiste et le coloriste reproduisent les conventions visuelles du genre : des hommes élancés et élégants, des femmes tout aussi élancées à la coiffure impeccable, disposant de robes splendides à volonté (la robe noire fourreau d’Adrianna, le bustier blanc d’Edith, etc.), la représentation respectueuse des ruines, les accessoires d’époque, avec un détourage réalisé par un trait encré net et discrètement élégant. À la lecture, la narration visuelle révèle ses richesses : la maîtrise des conventions de genre évoquée précédemment, ainsi que des moments de genre. Le lecteur sourit en voyant l’air dépité et effrayé des mineurs constatant la bière changée en sang dans leur chope, le coloriste faisant basculer l’ambiance du jaune doré de la lumière artificielle, à un gris sinistre reflétant l’état d’esprit des hommes. La séquence du bain de soleil donne envie au lecteur de s’installer lui aussi dans un fauteuil pour se laisser chauffer par les rayons du soleil, avec une petite table pour poser son sac et son livre, la demeure en arrière-plan, de petits bateaux amarrés et un sur le Nil, l’ombre des palmiers. Il profiterait bien également de l’ombre de la longue terrasse du rez-de-chaussée, ou encore des cocktails sur le pont du navire. Il constate que le dessinateur représente les hiéroglyphes en bas-relief sur les colonnes, avec précision. Il sourit d’aise en assistant à l’attaque en piqué du Stuka sur la caravane : une scène avec une prise de vue bien conçue, permettant de croire à l’attaque, au déplacement des hommes à dos de dromadaire, à l’acte de bravoure d’Allan Fox pour contre-attaquer.



Le lecteur se rend compte que l’artiste bénéficie d’une intrigue qui elle fait la différence avec un enchaînement mécanique de rebondissements. Certes, l’identité réelle du clown blanc est éventée par le lecteur dès le tome précédent, et sa révélation dans ce tome tient de la simple confirmation. Les deux héros, Edith et Allan Fox, continuent de s’enfoncer plus profondément dans le désert égyptien, et dans les mystères. Dans le même temps, Fox ne conquiert pas les victoires à grands coups de poing ou de tirs d’arme à feu d’une précision extraordinaire. En fait, il n’y a que dans le désert qu’il accomplit un exploit physique véritable, pour le reste il subit les événements, étant le jouet de ses ennemis (Lord Calder, les Puckett), et d’une entité surnaturelle (Bès) qui le prévient mais sans lui donner d’information concrète. Par comparaison, Edith semble plus avancée, en particulier parce qu’elle a été initiée, et parce qu’elle perçoit une partie des forces surnaturelles à l’œuvre. Finalement, Adrianna Puckett apparaît comme le personnage menant le mieux sa barque : elle sait utiliser son physique parfait pour manipuler les hommes, elle exerce une emprise sur son frère, elle parle d’égale à égal à Lord Calder, elle assassine un homme sans se salir les mains, une vraie femme fatale à l’opposée d’une potiche décorative ou d’une faire-valoir prête à succomber au charme du héros viril. Seul le Pénitent, personnage masqué, apparaît ayant un même niveau de maîtrise qu’elle.


Le charme de cette aventure à l’ancienne est indéniable, à la fois par la facture du récit, à la fois par la maîtrise avec laquelle les créateurs utilisent les conventions de genre. De prime abord, le récit donne l’impression d’une intrigue classique calquée sur un modèle datant de plus de cent ans. À la lecture, l’attention portée à la narration visuelle projette le lecteur dans chaque endroit, côtoyant des personnages plus développés qu’il n’y paraît. L’intrigue suit un schéma en apparence très classique, entre progression linéaire, mystères qui s’épaississent et exotisme bon marché, dans le fond le héros s’avère être à la traîne, alors que l’héroïne fait preuve de plus de courage par la force des choses, et que la femme fatale maîtrise mieux la situation.



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