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jeudi 9 mai 2024

Fox, tome 2 : Le miroir de vérité

Ce que l’on croit peut effacer ce que l’on voit.


Ce tome est le deuxième d’une heptalogie, il fait suite à Fox, tome 1 : Le Livre maudit (1991). Sa première édition date de 1992. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, par Jean-François Charles pour les dessins, et Christian Crickx pour la mise en couleurs. Il comprend quarante-six pages de bandes dessinées. La série a bénéficié d’une réédition intégrale en deux tomes en 2005.


Dans les années 1950, Allan Rupert Fox vient d’arriver au Caire. Il découvre la ville en compagnie de Bayla, son guide. Celui-ci s’écrie : Attention ! Il explique à l’américain qu’il marche trop vite. Il ne faut pas : il va écraser ces malheureux scarabées. Il comprend bien que Fox se dise que s’il fallait éviter tous les insectes qui courent sol on n’avancerait plus. Il reconnaît que c’est assez juste en soi. Il lui recommande cependant d’éviter les scarabées dans la mesure du possible, car à Héliopolis ils furent tenus pour la manifestation du dieu Khépri, le soleil levant en personne. Il ajoute : autant ne pas froisser la susceptibilité des divinités qui gouvernent les humains. Soudain, un klaxon se fait entendre en continu. Une voiture est arrêtée en pleine rue, son conducteur en est descendu et il moleste un vieil homme à terre avec sa canne, parce que son âne est couché au sol et l’empêche de passer. La jeune nièce du vieil homme essaye de s’interposer, mais elle est trop petite pour retenir les coups de l’Anglais qui s’apprête à la corriger sévèrement parce qu’elle a osé porter la main sur un blanc. Alors que son bras s’apprête à s’abattre, il est arrêté par une poigne solide.



Allan Fox s’interpose et empêche Timothy Puckett de continuer à s’en prendre au vieil oncle et à sa nièce. Le klaxon continue de retentir en continu. Allan Fox fait quelques pas pour s’éloigner en tournant le dos au conducteur qui en profite pour essayer de le frapper. Fox l’empoigne et le colle fortement contre le capot de la voiture : Puckett perd conscience et le klaxon s’arrête d’un coup. Une élégante femme dans une robe noire chic et serrée descend de la voiture et félicite Fox : l’avertisseur est enfin stoppé, même si la méthode est un peu brutale, et son frère Timothy a tendance à se laisser emporter par sa colère, ce qui fait que sa conduite devient alors indigne d’un vrai gentleman. Enfin, l’âne se relève et dégage la voie. Fox prend congé d’Adrianna Puckett, et repart avec Bayla. La fillette vient le remercier quelques ruelles plus loin : elle ne l’oubliera pas. Ils arrivent enfin à leur destination : la boutique d’Atoumnah. Quand ils pénètrent, ils découvrent une vingtaine de babouins qui ont tout saccagé, et qui ont mis à mort le marchand Atoumnah. Dérangés dans leur saccage, les singes s’en prennent à Fox et à Bayla. Soudain une injonction retentit : Raïs el djemat !! Les singes s’arrêtent net, puis ils sortent de la boutique et se dispersent dans les rues du souk. Bayla et Fox remarquent une inscription en lettres de sang sur le mur : Khmounou. C’est le nom égyptien de Hermopolis.


L’influence Indiana Jones se confirme dans ce deuxième tome : le mystère des pyramides, Héphraïm, un professeur de l’université du Caire qui évoque la légende d’Osiris, Isis et Seth, avec le dieu Bès pour faire bonne mesure, les pyramides du plateau de Gizeh (Khéops, Khéphren et Mykérinos), les statues de pierre géantes du pharaon Aménophis III, près de la Vallée des Rois à Louxor, un trajet en voiture le long du Nil, une traversée en felouque, un passage par le site archéologique de Karnak, avec de très belles cases pour chacun de ces sites touristiques, en reproduisant avec fidélité la végétation locale. La pauvre Edith doit même affronter un groupe de cobras dans des ruines, avec la même terreur que Henry Walton Jones. Certes, personne ne s’exclame : Par Horus demeure !, et pour autant il n’y a pas à s’y tromper : en planche vingt-sept, Allan Rupert Fox est en train de lire en marchant dans une grande salle de l’université du Caire et il heurte de plein fouet un autre individu qui lui aussi lit en marchant, la pipe au bec, une barbe et des cheveux châtain-roux qui s’exclame By Jove ! Le professeur Philip Mortimer, personnage créé en 1950 par Edgard Félix Pierre Jacobs (1904-1987), échange quelques phrases sèches et discourtoises avec ce malotru d’Américain qui l’a heurté. Le lecteur relève également quelques situations qui peuvent lui évoquer Le temple du soleil (1949) et l’aide que Zorrino apporte au héros.



Le scénariste fait le nécessaire pour nourrir son intrigue au-delà des clins d’œil à la littérature de genre, qu’elle soit sous la forme de roman, de bande dessinée ou de film. Le héros est à la recherche d’un mystérieux Livre maudit aux propriétés étranges et mal définies. Il voyage à l’étranger, avec ses particularités rendues plus exotiques par le fait que le récit se déroule dans le passé. Il met à profit les sites archéologiques, sachant qu’il peut compter sur l’artiste pour les représenter fidèlement et en tirer parti pour la mise en scène, par exemple la progression hasardeuse d’Edith dans la pyramide, ou son vagabondage dans le temple Karnak. Il met en valeur des vestiges comme témoin d’une culture oubliée : les statues de pierre géantes du pharaon Aménophis III ou celle d’un babouin géant au milieu du désert (renvoyant directement à la mise à mort grotesque d’Atoumnah), les dessins rendant bien compte des dimensions, de l’usure du temps, de la texture de la pierre. Le personnage principal a droit à l’évocation d’un récit mythologique par un sachant local : le scénariste utilise de manière personnelle et assez superficielle le mythe d’Osiris, en aménageant les sources des textes des pyramides, des textes des sarcophages et du Livre des Morts.


Le scénariste ajoute dans la recette un soupçon de surnaturel : le comportement inexpliqué des babouins, l’absence de conséquence de la morsure du cobra sur Edith, et une deuxième attaque de babouins. Jean-François Charles dose ses traits d’encrage entre des lignes discrètement irrégulières pour apporter plus d’aspérité et de relief, aux personnages comme aux décors, et des lignes plus nettes et propres s’approchant de la ligne claire, par exemple lors de la rencontre irritante avec Mortimer. Il s’investit pour donner à voir chaque lieu. Ça commence par les rues du Caire dans un quartier populaire, avec des marchands de rue, sans aller jusqu’à la densité d’un souk, les façades conformes à l’architecture de la ville, et les étals provisoires. En planche six, une case de la largeur de la page et de la moitié de sa hauteur montre les toits de la ville et les tours élancées. L’encrage se fait plus appuyé avec des aplats de noir aux formes irrégulières pour la progression difficile d’Edith à la lueur de la torche dans la pyramide. Les traits deviennent plus fins et net pour la séquence dans l’université. L’artiste combine ces deux approches pour la déambulation dans le site de Karnak, entre la lumière crue de l’extérieur et les aspérités de la pierre. Il joue également de la densité de noir dans les cases pour accentuer l’horreur des attaques de babouins.



Comme dans le tome un, Allan Fox apparaît comme un bel homme à la chevelure argentée, athlétique sans être musculeux. Il intervient sans hésitation pour faire cesser les coups de Timothy Pluckett sur le vieil homme et sa jeune nièce, sans grand risque car il est évident qu’il a le dessus physiquement. Il en va différemment lors des deux attaques des babouins qui ont l’avantage du nombre et de la sauvagerie.il peut apparaître un peu impulsif : sa façon de percuter une voiture sur un bac pour avoir de la place, ou même dans sa relation charnelle avec Edith, évidente mais aussi immédiate. Il apparaît un peu dépassé par les aspects culturels ou historiques : pendant les explications du professeur Héphraïm, lors de sa rencontre avec Mortimer. Il se montre à nouveau incapable de protéger efficacement Edith. Le rôle de cette dernière dépasse celui de la victime, de la demoiselle en détresse à sauver par le fort et beau héros. En fait, elle se trouve entre les deux : mordue par un cobra, lapidée par des mineurs, et dans le même temps elle prend régulièrement l’initiative, pour sortir de la pyramide, dans sa relation avec Allan, pour rechercher la Princesse. Ces deux principaux personnages dépassent les conventions basiques des héros, tout en en conservant plusieurs traits. Ils acquièrent un minimum d’épaisseur, sans pour autant devenir pleinement incarnés. Côté ennemis, le lecteur tombe immédiatement sous le charme de la beauté d’Adrianna Pluckett, magnifique dans sa robe noire moulante, légèrement hautaine vis-à-vis de Fox, avec une assurance de dominatrice. À ses côtés, son frère Timothy est inexistant, tout juste bon à servir de ressort comique en se faisant assommer. Le clown blanc est cantonné à un rôle d’observateur à distance, toujours aussi décalé comme Pierrot maléfique. Et le Pénitent remplit parfaitement son rôle d’artifice narratif : intervenant pour aider au sauvetage d’Edith, parlant de manière énigmatique pour délivrer le juste nécessaire d’informations à Allan Fox afin qu’il puisse aller de l’avant.


Les auteurs racontent un nouveau chapitre dans leur série B, mettant à profit les conventions de genre attendues (mystère d’un pays exotique, mythologie de surface, héros valeureux, McGuffin en forme de Livre maudit, course-poursuite, méchant mystérieux, etc.). La narration visuelle apporte une consistance parfaite aux décors exotiques, une prestance réelle aux personnages, une narration variée et divertissante. L’intrigue progresse avec un ratio équilibré entre révélations, nouveaux mystères, dangers et moments de bravoure. Le lecteur est satisfait de s’être embarqué dans cette aventure. Une bonne série B.



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