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mardi 1 août 2023

Le mercenaire T14 Le jour ultime

Dans l’espace infini, le temps n’a aucun sens.


À la fin du tome trois de l’intégrale parue en 2021/2022, l’éditeur a recueilli des récits réalisés par Vicente Segrelles. Tout d’abord une histoire en prose de quarante-sept pages, une nouvelle dont le texte est imprimé sur chaque page de gauche, avec une illustration en pleine page sur celle de droite. Cette nouvelle porte le titre de Livre quatorzième : Le dernier jour. Vient ensuite une bande dessinée de dix pages, intitulé La preuve, mettant en scène Mercenaire dans une mission. Puis une bande dessinée de huit pages, intitulée C’était écrit, un récit de science-fiction post apocalyptique. Cette partie se termine par vingt-cinq illustrations en pleine page, sans aucun texte, réalisées par Segrelles, dont une dizaine correspondant à une couverture des tomes de la série Le Mercenaire. Ce tome fait suite à Le mercenaire T13 La délivrance 2.


Le ciel, d’un bleu foncé intense, était limpide et serein. La lune illuminait la grande plaine glacée de tons bleutés, un vent glacial et doux léchait la neige, recouvrant la glace au rythme d’un murmure sifflant. Dans quelques heures, le soleil se lèverait. Nan-Tay était inquiète. Le Mercenaire aurait dû rentrer il y a plusieurs heures déjà au monastère, et il n’avait pas encore donné signe de vie. Un lampadaire éclairait la silhouette de la jeune guerrière. Elle se trouvait sur les remparts, tout en haut de la muraille circulaire qui encerclait le cratère mineur. Depuis les travaux de rénovation, on n'utilisait plus l’entrée du cratère majeur, celle qui passait sous la cascade. Nan-Tay n’était pas de garde cette nuit-là, l’inquiétant retard du mercenaire l’avait poussée jusqu’aux remparts, ainsi elle avait fini par remplacer un des deux moines postés à cet effet. Comme tous les habitants du cratère en service, elle portait plastron et spalières. Suite aux dernières informations parvenues, la garde avait été renforcée. De là, elle pouvait clairement voir si quelqu’un approchait au loin. Nan-Tay scruta à nouveau l’horloge mécanique d’Arnoldo. Le mercenaire respectait toujours scrupuleusement le timing, avec une marge acceptable. Son retard ne présageait rien de bon.



La nouvelle de la résurgence de Claust avait choqué toute la communauté du cratère. Depuis une semaine, on le savait dans la cité des mages. On savait donc qu’à l’instant où il récupèrerait un semblant de pouvoir, ils seraient son premier objectif. Dans le but de confirmer cette information, le mercenaire s’était rendu sur place. Il voyageait sous couverture, vêtu comme un simple habitant du pays des nuages permanents, sans armure, mais avec un plastron et des spalières, comme le voulaient les nouvelles règles en vigueur au cratère. Sous sa selle des plus communes, il avait bien caché le nouvel arc inventé par Arnoldo, une arme puissante, peu encombrante, discrète et démontable en trois pièces, ainsi que quelques flèches et charges explosives. Il montait un dragon marron, l’un des seuls du Monastère. Ces animaux à la robe foncée étaient les plus répandus dans la vallée. Bien que sensiblement plus lents que les blancs, on estima qu’il était plus idoine pour cette mission.


De biens étranges retrouvailles entre le lecteur et cette série. Après tout, il pouvait bien s’être accommodé d’être resté sur le tome treize, surtout si son premier contact avec la série était postérieur au dernier tome paru en 2003, car il savait par avance qu’elle s’arrêtait avec ce tome il y a deux décennies. D’un autre côté, il sait qu’il va retrouver les personnages avec lesquels il a développé une forme de familiarité pendant treize tomes, même si leur personnalité n’a jamais été très développée. Il n'entretient pas forcément de grandes attentes quant à l’intrigue. Le personnage de Claust s’était retrouvé mis de côté depuis plusieurs tomes. La fin du tome treize avait ramené la situation globale à une forme de statu quo satisfaisant. En outre, il ne s’agit pas d’une bande dessinée, mais d’une nouvelle illustrée, un format bien différent. Mais vingt-quatre nouvelles illustrations de l’artiste, ça ne se refuse pas.



La plongée dans le texte permet de découvrir une écriture précise, essentiellement dans la description et dans l’action, correspondant en tout point avec la manière de raconter de Vicente Segrelles. L’auteur narre son histoire avec le souci de dire ce qui se passe, qui est le point central de la scène, et peut-être de citer un personnage secondaire et des figurants. Il précise à chaque fois le lieu où se situe l’action, avec ses principales caractéristiques, en s’appuyant parfois sur ce qu’en connaît déjà le lecteur des tomes précédents. Il utilise régulièrement les dialogues entre personnages, accélérant ainsi le rythme de la lecture. Le lecteur assimile bien que l’intérêt du récit réside essentiellement dans l’intrigue, car les réflexions des personnages se limitent à décrire ou expliquer l’action, parfois la nature des risques encourus, peu de ressentis, aucune réflexion analytique ou existentielle. Le récit tient les promesses faites dans l’introduction rédigée par l’éditeur : découvrir ce qu’il est advenu de Claust, connaître le destin de la communauté du monastère du Cratère, avec des conventions de genre mêlant Fantasy et science-fiction, les dragons volants et le retour des extraterrestres.


Bien évidemment le lecteur se repaît de chaque tableau accompagnant la page de texte en vis-à-vis. Il retrouve toute la maestria de l’artiste dans sa capacité à rendre compte des textures, à réaliser des illustrations en couleur directe, à imaginer des scènes mêlant spectaculaire et enchantement. Le lecteur soupire d’aise en découvrant la troisième : Mercenaire à dos de dragon volant, au-dessus d’une mer de nuages, avec des poursuivants gagnant du terrain et la cité sur un énorme plateau rocheux dans le lointain. La suivante montre un moment du combat qui s’en suit, alors que l’un des poursuivants chute vers la lave qui coule en contrebas. À plusieurs reprises, le lecteur se retrouve saisi par une vision impressionnante : le manteau de glace autour du cratère supérieur en train de se disloquer, la lave atteignant les étages supérieurs des tours du monastère, un énorme serpent de mer dont Segrelles a le secret, un vaisseau spatial. D’autres illustrations apparaissent plus convenues, en particulier quand elles se focalisent sur un personnage qui semble comme figé dans une position statique. De toute évidence, ces illustrations ne génèrent pas du tout le même effet qu’une narration visuelle en bande dessinée.



Le lecteur ressort de cet ultime chapitre, avec un goût de manque. Il a bel et bien retrouvé les personnages, et plus encore l’environnement qu’il a tant apprécié pendant treize tomes. L’auteur apporte une conclusion satisfaisante à sa série, en cohérence parfaite avec tout son déroulement. Les illustrations valent le déplacement. Pour autant, ce n’est pas une bande dessinée, et Vicente Segrelles n’est pas un aussi bon écrivain que bédéiste. Les illustrations permettent de fixer l’imaginaire du lecteur sur la vision de l’auteur, sans retranscrire le souffle de l’action.


La preuve. Mercenaire chevauche un dragon blanc au-dessus des flots tumultueux. Il arrive à sa destination : un énorme dôme circulaire posé sur un périmètre de colonnes massives. Il se pose à l’intérieur et il doit affronter un guerrier en armure chevauchant un serpent géant très agressif. Le lecteur soupire à nouveau d’aise : une vraie bande dessinée, des dessins magnifiques comme d’habitude, et une intrigue ramassée sur elle-même. Pour une fois, Mercenaire est bien le héros de son aventure, sans personnage féminin qui vienne jouer le premier rôle dans la résolution du conflit. Le scénariste s’amuse comme à son habitude à confronter un chevalier en armure du tournant du premier millénaire à des inspirations piochées dans différentes mythologies, comme la geste arthurienne et l’Égypte antique, avec une touche de science-fiction. Il s’agit d’une mission qui n’a pas d’incidence sur la continuité globale de la série. Pour autant, vol à dos de dragon, usage de l’arc, phénomène spectaculaire : tout y est pour le plus grand bonheur du lecteur.



C’était écrit. Un sous-marin avance silencieusement dans des eaux peu profondes, longeant des gratte-ciels immergés, les ruines inondées d’une grande mégapole. Le submersible fait surface. Son commandant demande à la radio s’il a établi un contact : négatif. Il se rend à l’évidence : cela fait des mois passés à chercher un signal. Ils doivent être les seuls survivants. Le radio l’interpelle : il vient de capter un signal, vraisemblablement un autre sous-marin. Segrelles maîtrise l’art de la nouvelle, avec une histoire assez développée, une tension présente dès la deuxième page. La narration visuelle s’inscrit dans la même veine que celle de la série Le mercenaire, appliquée à une version d’anticipation du monde réel. Une histoire qui se lit toute seule, avec plaisir, une variation sur une histoire très classique d’anticipation, après une guerre mondiale.


Le lecteur termine avec les vingt-cinq illustrations en pleine page, conscient qu’il s’agit d’une sélection des couvertures du Mercenaire et diverses autres illustrations des mondes de Fantasy de Vicente Segrelles. Une manière de plonger une dernière fois dans ses univers et de lui faire ses adieux.



4 commentaires:

  1. Très belle chronique d'une fausse bd, on ressent bien toute la mélancolie due à l'acceptation de la fin de la série, surtout que je l'ai expérimentée comme toi. LA PREUVE m'a rempli de bonheur, je pense que pour les scénarios, Segrelles est vraiment excellent sur les formats courts. Je ne connaissais pas la couverture espagnole de ce dernier tome, elle est splendide. Mais es-tu sûr que Segrelles est décédé ? Quoi qu'il en soit, il n'y aura plus jamais d'autres tomes mais désormais, ces trois intégrales vont fièrement trôner dans ma bibli, aucune chance que je m'en débarrasse un jour (je crois même que je ne les prêterais jamais). Merci Présence !

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    1. Hou la boulette ! Segrelles n'est pas décédé : merci de me l'avoir fait observer, j'ai corrigé. Honte à moi ne pas avoir vérifié sur internet avant.

      Par acquis de conscience, je suis allé consulter sa page wikipedia en espagnol (merci google pour la traduction) : étrangement, elle ne mentionne pas son occupation actuelle, même s'il a 83 ans, ni ce qu'il a créé après le tome 13. Je suppose qu'on doit pouvoir trouver des interviews en espagnol, en cherchant bien.

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  2. "Le mercenaire T14" - Ah, nous y voilà enfin.

    "une histoire en prose de quarante-sept pages, une nouvelle dont le texte est imprimé sur chaque page de gauche, avec une illustration en pleine page sur celle de droite." - Ce n'est donc pas une bande dessinée perdue/retrouvée, contrairement à ce que j'attendais (ou espérais).

    "Vient ensuite une bande dessinée de dix pages" / "Puis une bande dessinée de huit pages" - Ah, mais si, quand même un peu.

    "Ce tome fait suite à Le mercenaire T13 La délivrance 2." - Veux-tu dire par là qu'il s'inscrit pleinement dans la continuité de la série ?

    "La nouvelle de la résurgence de Claust" - Comme tout super-méchant qui se respecte.

    "spalières" - Je viens d'apprendre un mot, merci.

    "Mais vingt-quatre nouvelles illustrations de l’artiste, ça ne se refuse pas." - Tu m'étonnes.

    "Vicente Segrelles n’est pas un aussi bon écrivain que bédéiste" - Voilà qui a le mérite d'être clair. Je crois que ce commentaire peut s'appliquer à un certain nombre de bédéistes. Je me souviens notamment des nouvelles pleines de stéréotypes de Grant Morrison. Et il y en a sans doute encore bien d'autres.

    Rien à redire concernant la traduction ?

    "Une manière de plonger une dernière fois dans ses univers et de lui faire ses adieux." - Cette phrase est tout simplement parfaite, bien que j'ignore pourquoi tu as tenu à utiliser le pluriel pour "univers".

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    1. En découvrant cette histoire en fin du tome 3 de l'intégrale, cette forme ne m'a pas surpris car elle est indiquée par l'éditeur : je le savais avant d'en commencer la lecture.

      L'éditeur a ajouté des histoires courtes sans rapport direct avec la série Le Mercenaire : le complétiste en moi leur en a été très reconnaissant, car c'était un plaisir de pouvoir savourer d'autres pages de Vicente Segrelles.

      Cette histoire s'intègre dans la continuité : elle poursuit le récit général de la communauté des humains en fin de tome treize.

      Spalière : un mot que je ne connaissais pas non plus.

      La traduction : je n'y ai pas fait attention, ne sachant pas si le côté un peu scolaire de la narration est plus imputable à la traduction qu'à l'auteur, ayant fini par pencher pour la 2nde hypothèse.

      Ses univers : à la relecture, je ne sais plus trop ce qui m'a conduit à choisir le pluriel, si ce n'est que les histoires courtes ne se situent pas dans la continuité de la série Le mercenaire.

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