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jeudi 17 août 2023

Croisade T04 Becs de feu

Un mercenaire certainement, qui se cache derrière votre foi.


Ce tome fait suite à Croisade - Tome 3 - Le Maître des machines (2009) qu’il faut avoir lu avant. La première édition date de 2009. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Philippe Xavier pour les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Jean-Jacques Chagnaud. Il compte quarante-sept planches de bande dessinée. Il ne comporte pas de texte introductif du scénariste. Il se termine avec un dossier graphique de onze pages, présentant des crayonnés de planche, de couverture, de personnages, du storyboard. Cette série se poursuit avec un deuxième cycle intitulé Nomade, Gauthier de Flandres en étant l’un des personnages principaux.


Il est dit que, dans la ville sainte de Hiérus Halem, le sultan du Croissant et des Sables, tomba amoureux d’une princesse chrétienne. On vint en avertir le mufti d’Alkar qui comprit aussitôt le danger encouru par son peuple. Il décida de sortir de sa cellule. Personne ne voulait croire en une telle décision. Cela faisait des années que le mufti priait dans sa cellule, qu’il s’était retiré du monde, car le monde paraissait vain et blasphématoire. Alors, le bruit courut que le mufti se rendait au palais du sultan. Sur son passage, tous se prosternèrent, emplis de crainte et de respect. Et l’ombre du mufti se leva, dansa sur les façades, pour finalement se projeter sur le palais du sultan. Où elle pénétra dans la chambre d’Ab’dul Razim, comme un mauvais génie venant s’emparer de vos rêves. Et le sultan comprit alors que le temps des songes prometteurs venait de s’achever. Un serviteur entre dans sa chambre pour l’informer que le Mufti d’Alkar se trouve dans la chambre de la princesse. Le sultan s’y rend en pressant le pas.



Dans cette chambre, le mufti d’Alkar a tiré le drap et contemple le corps nu de Syria d’Arcos profondément endormie. Il comprend mieux à présent. Ab’dul Razim entre avec son serviteur, et Syria continue de dormir profondément. Le mufti s’adresse au sultan : cette femme a la beauté du Rad’j el Aloui, le démon femelle qui trouble le sommeil des hommes. Il accuse le sultan d’avoir cédé à ses charmes, elle a envahi son tête et son cœur. Le malheur est sur eux ! Le croissant et le sable plient le genou devant la croix. Le sultan rétorque qu’il ne s’incline devant personne car l’amour véritable n’a que faire de pareilles humiliations. Il est vrai cependant qu’il ne peut plus vivre sans cette femme. Le mufti l’interroge s’il va demander sa main aux princes chrétiens, à l’ennemi. Il répond qu’il ne s’exposera pas à leurs sarcasmes. Il continue : il existe peut-être un moyen d’arrêter cette guerre stupide. Leurs ennemis se battent pour Hiérus Halem, afin de reconquérir le Saint-Sépulcre car il contient un cœur qui bat, le cœur du très vénéré X3. Ab’dul Razim dispose du moyen de faire taire ce cœur. Après son passage le Saint-Sépulcre sera vidé de toute substance. Ainsi les chrétiens n’auront plus aucune raison de continuer la lutte. Ce moyen lui a été donné par un esprit du nom de Sar Mitra. Le mufti complète : l’envoyé du Qua’dj !


La fin du tome trois consacrait Akhabah, le maître des Machines, dans une position de pouvoir : la grande bataille approche. Le lecteur sait qu’il peut compter sur la narration visuelle pour être claire et un peu sèche, avec une efficacité proche de celle des comics. Dans la deuxième séquence, le maître des Machines harangue ses troupes. Dans une case qui occupe les deux tiers supérieurs de la page : Akhabah en armure de parade tenant la hampe du drapeau des croisés, largement déployé, une trentaine de croisés en armures avec leur chasuble blanche avec la croix rouge. Dans la page suivante une case de la largeur de la page en occupant les deux cinquièmes, montre de petites silhouettes de soldats avançant vers le lecteur, avec en arrière-plan, bien plus grandes, les machines de guerre, tour de siège et catapultes. Au cours du récit, le lecteur peut voir des armées se déplacer, une longue file de guerriers marchant ou à cheval, jusqu’à l’assaut donné par les croisés contre Hiérus Halem. Le ciel rougeoie comme si la fonction de mort des machines de guerre contaminait l’air lui-même. Une volée de flèches part des hauts remparts. Viennent alors les deux pages qui se déplient pour offrir quatre pages en vis-à-vis au lecteur. Elles apparaissent chargées alors que les soldats s’affrontent au corps à corps dans des cases de la hauteur de la page sur les deux pages d’extrémité, et dans des cases de la largeur de deux pages pour les deux intérieures. Le dessinateur montre ainsi la sensation quasi claustrophobe alors que ces hommes sont les uns sur les autres, sans autre horizon que les ennemis à tuer à l’arme blanche dans ces cases étroites, ainsi que celle correspondant à l’ampleur de l’affrontement dans les cases de la largeur de deux pages.



De page en page, le lecteur s’immerge avec plaisir dans cette croisade imaginaire, qui met plus en œuvre l’esprit que la lettre de la réalité historique. S’il y prête attention, il se dit que scénariste et dessinateur sont en phase au point que le récit semble avoir été réalisé par une unique personne. Dès la première page, il se retrouve de nuit à Hiérus Halem avec une case de la largeur de la page et de la moitié de sa hauteur qui montre la ville en élévation, avec les différentes formes de toit, des dômes, et aussi une attention portée à montrer les différentes textures avec de minuscules traits encrés et des variations de nuances dans les couleurs. Deux pages après, le mufti semble se déplacer comme une ombre projetée sur les murs des constructions de la cité, effectuant un écho visuel avec la noirceur s’échappant du puits en début de tome deux. Au petit matin, assis en tailleur, le mufti d’Alkar est en train de contempler un petit déjeuner de dattes et de fruits posés sur un tapis avec un joli motif, et Syria d’Arcos le rejoint dans une belle robe rose. La composition des couleurs constitue un fort contraste avec les couleurs plus sombres de la nuit, évoquant la belle luminosité matinale, une nouvelle journée chassant les cauchemars et les angoisses de la nuit. Quelques pages plus loin, Gauthier de Flandres et Osarias se trouvent dans une grande salle avec des piliers dans le château d’Ottar Benk. L’ambiance a encore changé : des couleurs entre rouge, orange et marron, une confrontation tout en dialogues courts et vifs, une scène d’une incroyable intensité, même si les interlocuteurs sont séparés par trois ou quatre mètres. Le lecteur se délecte de pouvoir accompagner le sultan Ab’dul Razim alors qu’il pénètre dans le Saint-Sépulcre, de découvrir la nature de X3 (le pendant du Christ dans cette version imaginaire de la religion), avec un sentiment de respect, de curiosité, de mysticisme parfaitement dosé.


L’horizon d’attente du lecteur comprend une bataille rangée pour la prise de Hiérus Halem : le scénariste tient cette promesse, avec cette vision dantesque s’étalant sur quatre pages en vis-à-vis. Les trois tomes précédents ont installé de nombreux mystères et là aussi le lecteur ressent un niveau de contentement satisfaisant : pouvoir pénétrer dans le Saint Sépulcre, découvrir ce qu’il en est de X3, voir le mufti expliciter la relation entre Sar Mitra et le Qua’dj, l’aboutissement de l’intrigue secondaire relative à Ada de Smyrne. La construction entrelacée de différents fils narratifs dessine un motif cohérent et riche. La révélation de la nature des becs de feu (le titre de ce tome) constitue une ouverture vers l’Histoire moderne, la métaphore du personnage le maître des Machines prenant toute son ampleur, un jugement politique pertinent. Le récit continue de brosser le portrait du caractère des principaux personnages. L’opportuniste Elénore d’Arcos devient sympathique car elle se retrouve contrainte de se soumettre à un rôle qui ôte toute forme de plaisir à la position sociale qu’elle avait tout fait pour atteindre et conserver. Le maître des Machines reste anonyme, comme il sied à ce mercenaire littéralement sans foi ni loi, incarnant la conquête, une faim inextinguible, une fin justifiant tous les moyens. Ab’dul Razim et Gauthier de Flandres apparaissent encore plus comme les deux faces d’une même pièce, chacun animé par la foi de leur religion. Leurs décisions attestent du fait que la religion ne se réduit pas à un prétexte pour tout le monde, et que son socle de valeurs morales reste admirable. Le scénariste propose même une autre façon de considérer la coexistence de plusieurs religions, plusieurs Dieux uniques.


La découverte de cette série s’avère tout d’abord fort déconcertante, puisqu’il ne s’agit pas d’un récit ou d’une reconstitution historique, parce que le scénariste a choisi de changer le nom des religions, des dieux, et même de Jérusalem. Une fois adapté à cette variation inattendue et éclairé sur les intentions par les introductions des trois premiers tomes, le lecteur s’adapte également à la narration visuelle, à son efficacité qui prime sur la description, sans pour autant l’affadir. Petit à petit, le conflit de guerre de religion gagne de l’ampleur, et les individus se retrouvent à devoir se positionner et agir en conséquence. Petit à petit, les auteurs révèlent les mystères plongeant le lecteur dans ces places fortes et ces déserts. Progressivement, les personnages révèlent leur profondeur, leurs convictions, leurs fêlures, leur courage et leur beauté intérieure.



6 commentaires:

  1. Ha ! Déjà le quatrième tome ! Tu dévores et chroniques avec une rapidité qui me fait envie, surtout en ce moment où je ne parviens plus à écrire quoi que ce soit.

    la narration visuelle pour être claire et un peu sèche, avec une efficacité proche de celle des comics - Je vois très bien ce que tu veux dire. C'est curieux, hein, mais la sécheresse de cette narration visuelle m'indispose moins dans les... comics que dans la bande dessinée européenne. Va savoir pourquoi. Sans doute l'accoutumance depuis longtemps à une autre forme de narration graphique.

    le lecteur s’adapte également à la narration visuelle, à son efficacité qui prime sur la description, sans pour autant l’affadir. - Je ne vois pas l'efficacité comme faisant naître un risque de fadeur, mais la formule est bien trouvée. J'en comprends que Xavier sait combiner efficacité et caractère.

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    1. La sécheresse de cette narration visuelle m'indispose moins dans les comics que dans la bande dessinée européenne : tout pareil, j'attends autre chose des BD franco-belges que des comics US. Là, je trouve que Xavier réussit à combiner les deux, en particulier grâce à la mise en couleurs de Chagnaud. Je me souviens que des artistes comics avaient fait le chemin inverse, tirant vers le franco-belge (format mis à part) également grâce à la mise en couleurs.

      L'efficacité qui prime : je pensais à une de tes formules, celle qui évoque des arrière-plans rationnalisés. Efficacité et caractère : c'est tout à fait ça.

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  2. La régularité dans l'écriture : comme tu l'imagines je n'écris pas tous les jours, ni même régulièrement au cours d'une semaine. J'ai réussi à me constituer un petit stock d'articles d'avance, ce qui me permet d'être irrégulier dans ma production d'articles. En outre, pour certains, je manque un peu d'inspiration. Par exemple à la relecture du commentaire sur Le pont des arts (Catherine Meurisse), je me rends compte que j'ai eu recours à l'énumération pour étoffer un peu l'article.

    De mon côté, je suis admiratif de ton ambition et de ta constance sur les séries longues comme Tif & Tondu, les intégrales des superhéros Marvel, Blake & Mortimer, Blueberry, Ric Hochet, Alix, Barbe Rouge, Durango, Thorgal, etc. Quelle constance et quel investissement ! Respect.

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    1. Ce compliment bien tourné - et je t'en remercie - met néanmoins en lumière ma facilité à tomber dans le piège des séries-fleuves et d'y persévérer !

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    2. Un piège... ou un projet à long terme. Toujours dans un état d'esprit de partage, je me rends compte que je ne me suis pas lancé dans des séries aussi longues, et que malgré tout il a fallu que je prenne la décision consciente de mener à bien celles que j'avais commencées, avant de me lancer dans d'autres. Il y en a quelques-unes qui ont traîné sur plusieurs années avant que je ne m'y replonge.

      La prise de conscience de mon côté que je ne peux pas tout lire et que mon rythme de lecture & écriture est bien inférieur au rythme de parution des nouveautés qui m'intéressent, sans même parler de satisfaire mes envies nostalgiques en relisant des BD de ma jeunesse, ou en terminant des séries entamées dans mon adolescence et laissées de côté en cours d'étude ou à l'entrée dans la vie active.

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    3. Un piège ou un projet à long terme, oui ; l'essentiel est que l'envie reste bien présente au fil des tomes, et c'est le cas.

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