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mardi 29 août 2023

Champignac T02 Le patient A

Le nationalisme est un poison dont on n’est pas près de trouver l’antidote.


Ce tome fait suite à Champignac - Tome 1 - Enigma (2019) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant car ce tome deux se comprend par lui-même. Sa parution initiale date de 2021. Il a été réalisé par David Etien poiur les dessins, écrit par BéKa, le duo composé de Bertrand Escaich & Caroline Roque, et une mise en couleurs d’Etien avec l’assistance Clémentine Guivarc’h. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée.


Juin 1941. Le Special Operations Executive (SOE) au cœur de Londres meurtrie par des bombardements de la guerre. Pacôme Hégésippe Adélard Stanislas, comte de Champignac explique la situation à deux officiers des renseignements en civil, dans une pièce d’interrogatoire. En mai 1940, les troupes d’Hitler ont envahi les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France. Une guerre éclair de quelques jours comme le monde n’en avait jamais connu. L’armée allemande a conquis plus de terrain en une centaine d’heures que durant les quatre premières années de la première guerre mondiale. Ses soldats semblaient être des surhommes. Ils ne s’arrêtaient jamais… Même pas pour dormir. Ils reposent la même question : pourquoi Champignac n’a rien fait alors qu’il avait le patient A à sa merci ? Ils lui demandent de recommencer depuis le début. Il y a un mois, Pacôme de Champignac séjournait dans le petit village de Bletchley, et il était au lit avec Blair MacKenzie. Elle lui demandait s’il avait jamais voulu exercer un autre métier que celui de scientifique. Il lui raconte la fois où il avait passé une épreuve de mathématiques pour devenir un employé de mairie, et comment il avait échoué, mais en démontrant au passage un nouveau théorème sur la nature exponentielle d’un système dynamique. Une heure plus tard, ils sont habillés et se dirigent vers le bâtiment qui abrite les bureaux.



Chemin faisant, c’est au tour de Blair d’évoquer son enfance : elle a appris à lire toute seule à l’âge de quatre ans pour connaître la suite des histoires de Dickens que lui lisait parfois sa mère. Quand ses parents l’ont découvert, ils ont mis sous clé tous leurs livres en anglais. Leur médecin de famille leur a conseillé de protéger son pauvre petit cerveau féminin des ravages de l’instruction. Elle s’est donc rabattue sur les livres en français et la poésie allemande. Elle lisait couramment deux langues à six ans. Puis, vers dix ans, elle s’est intéressée au grec et au latin pour comprendre leur influence sur les dialectes préceltiques, et en déduire les flux migratoires antiques. C’est à ce moment-là qu’elle est définitivement devenue le désespoir de ses parents. Ils pénètrent dans le bâtiment et s’assoient dans le bureau de monsieur Black. Celui-ci leur explique que parmi les messages interceptés s’en trouvait un en provenance de l’institut Kaiser-Wilhelm, à Berlin. Il leur tend pour qu’ils puissent en prendre connaissance. C’est une demande d’aide de deux scientifiques : le chimiste Schwartz et le biologiste Bruynseeleke. Champignac explique à MacKenzie qu’ils furent meilleurs amis avec Black et lui. Il faut aller les sauver.


Les aventures du comte de Champignac continuent : ses cheveux ne sont pas encore devenus blancs, mais il arbore déjà fièrement son épaisse moustache, ses lunettes rondes, ses cheveux en arrière, et ses gants blancs. L’amateur des aventures de Spirou et Fantasio retrouve également son amour des champignons, déjà présent dans le premier album de la présente série, ainsi que son collègue scientifique le docteur Black, apparu pour la première fois dans le tome 7, intitulé Le dictateur et le champignon (1956). Un peu plus tard, Black, Champignac et MacKenzie doivent s’occuper d’un personnage au nom étrange : le savant Sprtschk, apparu pour la première fois dans la série Spirou et Fantasio, tome 13, Le voyageur du Mésozoïque (1960). Nul n‘est besoin de connaître ces références pour apprécier pleinement l’aventure. Le lecteur repère aussi des éléments de continuité avec le tome précédent : le personnage de Blair MacKenzie, polyglotte, linguiste, cruciverbiste. Il est évoqué leur participation au décodage de la machine Enigma, en tant que cryptanalystes. Sa relation avec le comte est de nature explicite, même si le récit reste tout public. À un moment, Champignac est amené à contacter directement Winston Churchill (1874-1965) pour obtenir une autorisation très particulière. Enfin, cette aventure se déroule également pendant la seconde guerre mondiale, pour grande partie en Allemagne nazie.



Comme dans le tome précédent, les coscénaristes ont inclus un passage de vulgarisation : sur les neurones, les neurotransmetteurs et les synapses, pendant deux pages, dix-neuf et vingt. Un peu plus loin, en page vingt-sept, le lecteur découvre une explication de la réaction en chaîne pour libérer l’énergie de l’atome. Ces exposés s’avèrent un peu moins ambitieux que celui sur le fonctionnement de la machine Enigma dans le tome précédent. Ils mettent également en scène quelques personnages historiques comme le professeur Werner von Braun (1912-1977) ou le docteur Theodor Morell (1884-1948), le médecin personnel d’Adolf Hitler. Ils décident d’ouvrir leur récit avec une séquence d’interrogatoire qui se termine dans la dernière page, l’essentiel du récit prenant alors la forme d’un retour en arrière : le lecteur plonge alors dans une histoire d’espionnage, avec un enjeu d’exfiltration d’un scientifique de haut niveau. L’artiste se montre très impliqué dans les différents aspects de la narration visuelle. Il assure un niveau de détails dans chaque lieu qui permet au lecteur de s’y projeter et d’avoir l’impression de pouvoir regarder autour de lui. Quelques exemples : le mur carrelé jusqu’à une hauteur de un mètre de la salle d’interrogatoire, les bâtiments de Bletchley Park avec une rendu de texture très tactile, la façade très détaillée de la mairie de Champignac avec également son mur d’enceinte, sa grille, et même un paysan qui passe devant en guidant son cheval par la longe, le papier peint de la chambre de Pacôme, le radiateur en fonte de la salle de classe communale, l’aménagement intérieur du bureau du professeur Black, l’appartement dans lequel logent Black, MacKenzie et Champignac, l’usine avec sa grande pièce dans laquelle s’affairent les employées, chacune avec sa tâche particulière, les façades d’immeuble dans les rues de Berlin, la salle de réception de la villa Göring où se tient une réception dansante, les pins de la forêt dans les Alpes bavaroises, l’intérieur du chalet Berghof.


Le lecteur sait avant de commencer que cette bande dessinée se conforme au schéma d’un héros bienveillant, qui va se porter au secours de personnes en danger et qu’il va réussir. Il éprouve donc un sentiment d’empathie a priori pour Champignac, et tout aussi développé pour Blair qui l’accompagne, l’aide, et utilise des compétences qu’il n’a pas, la partie serait perdue sans elle. La représentation de ces personnages facilite discrètement cette empathie : des visages expressifs, des traces d’entrain de l’enfance, d’émerveillement de personnes ni blasées, ni cyniques, une légère accentuation des arrondis, et une sollicitude ou une inquiétude envers l’autre, apparentes sur leur visage, dans leurs gestes. Etien joue subtilement sur de discrets détails dans ses dessins pour se placer plus franchement dans un registre réaliste, ou dans un registre un plus tourné vers l’enfance ou l’exagération comique, en fonction de la séquence, conservant ainsi une apparence tout public, tout en réalisant des dessins transmettant des attitudes et des émotions adultes. Il joue également sur ce glissement intentionnel de registre visuel pour les scènes d’action : la dureté très adulte d’un engagement armé sur un champ de bataille de la seconde guerre mondiale dans la page d’ouverture, contrastant avec l’enclenchement plus divertissant des fusées dont Werner von Braun a doté sa voiture.



Le lecteur suit bien volontiers Blair MacKenzie et Pacôme de Champignac dans cette exfiltration à haut risque, tout en s’interrogeant sur l’identité du patient A (révélée en cours de récit), et sur ce produit appelé Pervitin. Les auteurs exposent la nature de ce produit selon deux axes. Le premier correspond à une drogue avec un effet d’accoutumance progressif, une redescente douloureuse et un effet de manque. Ils évoquent ces effets secondaires de manière claire et explicite sans trop s’y attarder, mais sans qu’il soit possible de s’y tromper. Le second axe correspond aux effets sur la population qui en prend. En fonction de sa sensibilité, le lecteur pourra trouver la métaphore plus ou moins bien choisie. D’un côté, il est difficile de complètement accepter le fait que le nazisme puisse être causé par un produit consommé de plein gré, mais sans avoir connaissance des effets secondaires, comme si les citoyens étaient tous inconscients de ce qu’ils faisaient, ou ce qu’ils acceptaient. De l’autre côté, cette même métaphore présente les promesses d’Adolf Hitler, sa politique et son mode de gouvernement, comme répondant à un besoin inconscient de tout individu, une promesse trop belle pour pouvoir être refusée, questionnée, combattue. Le discours sur une nation forte, prenant sa revanche et neutralisant l’ennemi devient l’opium du peuple, pour reprendre la métaphore de la drogue.


Le lecteur retrouve avec grand plaisir le duo formé par Blair MacKenzie et Pacôme de Champignac pour de nouvelles aventures pendant la seconde guerre mondiale. Les auteurs réussissent à insuffler de la personnalité dans leurs protagonistes, les rendant sympathiques et attachants dès la première page. La narration visuelle révèle des richesses à chaque page, un dosage très élégant en fonction de la nature de la séquence, passant avec habileté de la narration réaliste et à adulte, à la licence d’aventure avec un soupçon d’éléments fantaisiste, du grand art. Les scénaristes savent eux aussi doser entre spectacle divertissant, et gravité qui sied à l’évocation du nazisme. Ils ont conçu une métaphore pour l’embrigadement des citoyens par le régime, qui fait sens, avec les limites inhérentes à toute métaphore.



2 commentaires:

  1. David Etien, Bertrand Escaich et Caroline Roque, Clémentine Guivarc’h - Je ne connais aucun de ces artistes. Mais il est vrai que je souhaite prendre un peu de recul par rapport à la bande dessinée européenne.

    L’amateur des aventures de Spirou et Fantasio - J'en ai lu quelques-unes, mais pas suffisamment et pas avec assez d'enthousiasme pour être considéré comme un amateur.
    Et toi, tu connais bien la série ?

    Comme dans le tome précédent, les coscénaristes ont inclus un passage de vulgarisation : sur les neurones, les neurotransmetteurs et les synapses - Quand c'est bien fait, c'est remarquable et ça apporte une valeur immense à l'histoire, je trouve.

    le docteur Theodor Morell - Je n'avais encore jamais entendu parler de ce type. L'article que lui consacre Wikipédia est intéressant.

    Le lecteur retrouve avec grand plaisir le duo formé par Blair MacKenzie et Pacôme de Champignac - J'en conclus que tu liras la suite.

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    1. J'avais déjà croisé le nom de BéKa, sans soupçonner qu'il s'agit en fait d'un couple de scénaristes, en particulier auteurs de la série Le jour où...

      https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9ka_(auteur)

      Je me suis également renseigné a posteriori sur David Etien : dessinateur de la série Les 4 de Baker Street, et repreneur des dessins de La quête de l'oiseau du temps à partir du tome 9.

      J'ai lu quelques tomes de la série Spirou et Fantasio, attiré par la réputation de ceux réalisés par André Franquin, puis deux ou trois tomes réalisés par Jean-Claude Fournier, une bonne demi-douzaine de ceux réalisés par Tome & Janry, et deux tomes de Jean-David Morvan & José Luis Munuera.

      Theodor Morell : la lecture de sa fiche wikipedia l'avait également intéressé et diverti.

      La suite : la série ne compte plus qu'un seul et dernier tome, que j'ai lu.

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