Qu’est-ce qui s’est passé ?
Ce tome est le deuxième d’une pentalogie ; il fait suite à Urban 1 Les règles du jeu (2011) qu’il faut avoir lu avant. Sa première édition date de 2013. Il a été réalisé par Luc Brunschwig pour le scénario, et par Roberto Ricci pour les dessins et les couleurs. Il compte cinquante-deux pages de bande dessinée en couleurs. La série a bénéficié d’une réédition en intégrale en 2023, dans un format plus petit.
Dans une ferme, l’eau est montée jusqu’à hauteur de la taille au premier étage. Sur le pallier, Pernilla Ann Christiansen informe son époux Gunnar que les A.G.T. sont en train d’évacuer les voisins. Elle lui demande si leur fille Naja est avec lui. Le père est en train de s’escrimer contre la porte de la chambre bloquée, derrière laquelle leur fille est coincée. Il lui enjoint de s’essayer de voir ce qui coince la porte, C’est ça le plus important. Elle répond qu’elle essaie, mais l’eau est toute sale. Il lui donne une autre idée : Est-ce que la fenêtre est cassée ? Est-ce qu’elle pourrait sortir par là ? Elle n’arrive pas à répondre, elle a peur, il y a de l’eau jusqu’au plafond maintenant. Elle supplie son père de la sortir de là. Gunnar est réveillé par un sauveteur parce que son bipeur sonne et qu’il aimerait que ça ne réveille pas tous ses camarades de chambrée. Le réveil continue de sonner, et Gunnar reprend vraiment conscience, son épouse étant en train d’enlever son uniforme car c’est son tour de dormir. Il s’excuse : c’est le colis qu’il doit réceptionner. À sa question, elle répond à voix basse pour ne pas réveiller les autres, qu’elle est crevée. Ils ont encore augmenté les cadences à la fonderie ; Neo-Middlebourg va lancer son programme de logements, celui de Neo-Mastricht ne se terminera pas avant sept mois. Ils doivent fournir encore, et encore, et encore. Et dire qu’ils n’ont même pas d’enfants qui en profiteront. Épuisée, elle s’endort sa tête ayant tout juste touché l’oreiller.
Un petit drone sphérique flottant propose d’accompagner Gunnar Carl Christiansen jusqu’à la sortie, ce qu’il accepte, ayant revêtu son uniforme de policier. Il sort de l’immense dortoir à étages, et se rend à l‘aéroport, pour l’arrivée d’une navette en provenance de Monplaisir. Il est abordé par madame Bangé qui le remercie de venir honorer la mémoire de son fils. Elle lui est reconnaissante que Christiansen ait apporté à son fils Ahn Loon Bangé la confiance qu’il n’avait pas en lui. Le lieutenant-enquêteur estime que Bangé était un enquêteur de premier ordre, intuitif, travailleur. Il n’a fait que l’encourager à persévérer. Il a peur d’avoir poussé le fils de cette dame, dans une affaire dont lui Christiansen n’avait pas su mesurer les dangers. Elle estime que Ahn Loon était heureux de ce qu’il avait entrepris. Il a aimé chaque jour de sa vie du moment où il est entré dans l’équipe des enquêteurs. Qui peut en dire autant ces temps-ci ? Après la cérémonie d’inhumation, l’officier responsable remet à Christiansen, le badge de Bangé, son arme de service et son holo-assistante.
L’auteur reprend son récit précisément là où il s’était arrêté avec trois nouveaux chapitres, chacun portant une date comme titre : 26 juin 2059 (2 jours plus tard), 26 juin 2059 (le même jour), 28 juin 2059 (2 jours plus tard), attestant d’un déroulement chronologie et d’une unité de temps ramassée. La première séquence introduit un nouveau personnage dans une séquence qu’il rêve, ou plutôt qu’il cauchemarde, de la perte d’une fille alors qu’il n’est pas parent : Gunnar Carl Christiansen, et son épouse. À la quatrième planche, ce personnage se raccorde avec un autre présent dans le tome un, mais à présent à l’état de cadavre : Ahn Loon Bangé. Ce n’est qu’au début du deuxième chapitre, à la onzième planche, que le lecteur retrouve un autre personnage, le jeune garçon Niels Colton qui s’est enfui de chez lui. Enfin en planche quinze, Zachary Buzz est en train de s’entraîner au tir, le personnage qui avait été présenté le premier au lecteur, et que celui-ci avait estimé être le personnage principal, celui dont les motivations et l’histoire personnelle sont le plus développées. Dans ce deuxième tome, plusieurs autres personnages reviennent : Ishrat, Antiochus Ebrahimi, A.L.I.C.E. & Springy Fool, Julia Buzz, le coach Narcisse Membertou. Le lecteur prend très progressivement conscience qu’il n’y a finalement que la plupart des personnages ayant eu un rôle significatif dans le premier tome reviennent dans celui-ci, composant un récit choral, dans lequel seul Zachary Buzz reste le plus développé, les trajectoires des autres pouvant parfois se croiser, ou s’étant croisées par le passé, tissant une intrigue insoupçonnée.
Le lecteur retrouve les caractéristiques de la narration visuelle présentes dans le premier tome. Dès que l’action se déroule dans les rues de Monplaisir, il prend plaisir à jouer à reconnaître les déguisements revêtus par les vacanciers. Il identifie entre autres : Captain America & une officier nazie (une alliance contre nature), un alien Pizza Planet de Toy Story (1995), Caliméro, Poison Ivy, Hellboy, Winslow Leach en fantôme du Paradis, Princesse (G3) de la Bataille des planètes, Robin, Madman de Mike Allred. Il ne s’attendait pas forcément à déceler une telle influence des comics. Il retrouve également ce dosage personnel entre les dessins et la mise en couleur. Cette dernière prend parfois le dessus sur les formes détourées, comme estompant certains contours, pour produire soit un effet d’éloignement temporel, soit de halo lumineux dans les rues inondées par les lumières artificielles, soit de rayonnement des écrans. La sensation de récit de science-fiction s’avère toujours aussi intense. Les rues de Monplaisir conjuguent une technologie omniprésente avec une forme d’hygiénisme dans les beaux quartiers, et de laisser-aller dans quelques ruelles peu accueillantes. L’artiste joue avec sa palette de couleurs pour installer une ambiance spécifique à chaque scène : le sépia tirant vers le gris pour la scène onirique d’introduction, le gris maussade et déprimant pour les dortoirs sans intimité, le vert de gris clinique et impersonnel pour le grand bureau en espace partagé de la police, les séquences plus colorées dans les rues de Monplaisir, le bleu-vert de la salle de tir, le vert franc et clair des espaces verts produisant une véritable bouffée d’air frais dans cette cité si artificielle.
Alors que le récit présente Gunnar Carl Christiansen, puis qu’il revient à Niels Colton, le lecteur se fait la réflexion qu’il n’est jamais perdu, que les personnages se reconnaissent au premier coup d’œil. La cinquantaine du lieutenant-enquêteur et sa moustache, la morphologie d’enfant de Niels et sa chevelure épaisse, la silhouette décharnée du prestidigitateur Olif, la carrure massive de Zachary Buzz et son visage un peu empâté avec son petit nez et son gros menton, la plastique de rêve d’Ishrat et ses tatouages publicitaires, le visage de mort et le chapeau à large rebord d’Overtime le justicier du temps. Même le coach Narcisse Membertou se reconnaît du premier coup d’œil alors qu’il apparaissait peu dans le tome un. Le lecteur se rappelle immédiatement le caractère de chacun, des interactions s’étant produites précédemment. Il éprouve un sentiment de compassion pour Zachary, du fait de la situation dans laquelle il se retrouve, un pincement au cœur pour Ishrat dans l’impossibilité de donner suite aux sentiments qu’elle éprouve. Il espère que Gunnar Christiansen pourra faire éclater la vérité à temps. Il découvre un pan du passé de Narcisse Membertou ce qui le fait hésiter entre l’empathie et une forme d’aversion. Il espère que le petit garçon Niels Colton pourra retrouver le chemin de son domicile et s’y reposer en sécurité. Le créateur sait faire exister ses personnages et leur donner de l’épaisseur. Le lecteur éprouve même un peu de pitié pour Olif, individu abusant pourtant de la confiance d’un enfant.
La forme chorale du récit maintient en éveil l’intérêt du lecteur, en alternant les personnages d’une scène à l’autre, tout en créant une sensation entre forte attente et frustration que le récit ne progresse pas plus vite. Il souhaiterait que l’enquête de Christiansen avance plus vite car il a déjà assisté à l’assassinat d’Ahn Loon Bangé. Dans le même temps, il a peine à croire que le duel entre Zachary Buzz et le tueur survienne aussi rapidement. Il s’intéresse bien volontiers au passé d’Olif, tout en se demandant comment ce personnage vient s’intégrer dans l’intrigue générale. Il ne s’attendait pas à revoir le coach de police, ni à ce que son passé ait une importance. Lors de cette séquence, il comprend que la construction du récit est plus sophistiquée que juste les aventures d’une nouvelle recrue dans la police. Pour autant, il ne s’attend pas à la brutalité de la dernière séquence. Au cours du récit, l’auteur mêle des conventions issues de plusieurs genres. Celui de la science-fiction fonctionne parfaitement grâce aux décors consistants et détaillés, donnant à voir un monde conçu dans sa globalité, intégrant des éléments du passé avec des innovations technologiques issues de l’imagination. Le genre policier fonctionne tout aussi bien avec la jeune recrue allant au carnage, le policier expérimenté sachant qu’il se lance dans une enquête à haut risque. Il y a également des éléments de polar dans le monde du crime organisé, une dystopie affleurant sous le divertissement forcené et de rigueur de Monplaisir, l’entrain d’un petit garçon découvrant le monde. Des détails de ci de là laissent supposer l’existence d’un plan de sabotage ou de rébellion contre l’ordre établi, une sensation encore confuse à ce stade du récit.
Avec ce deuxième tome, le lecteur retrouve la narration visuelle qui donne corps à cet environnement de science-fiction, que ce soient les bâtiments, les moyens de déplacements, ou encore les tenues vestimentaires. Il commence à appréhender la forme du récit, plutôt chorale que centrée sur un unique personnage principal. Il se rend compte que la narration a capté son attention, par sa dimension ludique sous-jacente, de puzzle dont le motif général est quasiment à portée de compréhension. Il lui tarde de progresser dans l’intrigue.
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