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lundi 15 janvier 2024

Les parfums du pouvoir T02 Secrets de famille

Mais l’inexpérience n’est pas une excuse.


Ce tome fait suite à Les parfums du pouvoir - Tome 1: Le piège indonésien (2020). Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Éric Corbeyran & Christian Mot pour le scénario, par Fabio Iacomelli pour les dessins, par Jean-Paul Fernandez pour la couleur, et l’illustration de couverture a été réalisée par Aurélien Morinière. L’album compte cinquante-quatre pages de bande dessinée.


Canne, devant la plage, à l’intérieur d’une des grandes salles du Majestic, un responsable de la Maison Destainville s’adresse aux dizaines de personnes installées à des tables rondes. Il commence par dire Merci à toutes et à tous d’avoir répondu aussi nombreux à leur invitation ! Il connait personnellement la plupart d’entre eux, car ce n’est pas la première fois que la Maison Destainville leur présente un parfum d’exception. Il sait qu’une même passion anime les colonnes de leurs magazines, les plateaux de leurs émissions et les pages de leurs blogs. Il sait que les enseignes qu’ils représentent ont toujours été fidèles à la Maison Destainville… Et il espère qu’une fois encore ils partageront son excitation pour la naissance de ce nouveau bébé ! Ce dernier né n’est rien de moins que le nouveau pilier de l’offre olfactive de la marque. Ils ont de grandes ambitions pour lui ! Afin qu’il puisse exister pleinement, Destainville va investir fortement, car il répond aux attentes de la jeunesse. Et notamment de la jeunesse asiatique, dont chacun sait que la demande est chaque année plus importante ! Tout à l’heure, Marie Denoyelle, la responsable marketing, et Max Guang, le créateur, viendront leur dire quelques mots. Mais pour l’instant place au superbe film publicitaire réalisé par l’agence Astéroïde !



Après la diffusion du film publicitaire montrant des jeunes femmes nues humant la fragrance de Grain d’Azur, Max Guang prend la parole pour présenter sa composition de parfum : Le vétiver et la lavande sont deux plantes qui se développent à des milliers de kilomètres de distance l’une de l’autre. La première pousse dans les zones tropicales du globe. On l’appelle Khus Khus dans certaines régions de l’Inde. C’est une racine boisée, épicée, racée… Il l’a choisie comme note de cœur pour sa subtilité. La seconde abonde en Provence, à deux pas de chez la Maison Capella. C’est son éclat qui l’a conduit à l’utiliser comme note de tête. Le mariage de la lavande et du vétiver est improbable et pourtant, comme ils pourront s’en rendre compte, il est la définition même de l’harmonie. Quant à l’ambre gris, il s’agit d’un produit rare. On ne peut pas le cultiver. On ne peut qu’en rêver ou avoir la chance de tomber dessus. Grâce à la maison Capella, il a eu le privilège de travailler cette matière exceptionnelle dont l’intensité et la chaleur ramènent à l’animalité. Cet ambre gris, il l’a choisi comme note de fond de Grain d’Azur. Après son intervention, Marie Denoyelle reprend la parole pour inviter les participants à déguster le délicieux cocktail dînatoire que propose Potel & Chabot.


En entamant ce deuxième tome, le lecteur sait exactement ce qu’il va y trouver, dans la droite lignée du premier. Une lecture de genre : une riche famille propriétaire d’une grosse entreprise, dirigée par le père vieillissant, avec des alliances et des intrigues, des coups en traître pour être calife à la place du calife, et des moments difficiles pour l’entreprise. En effet, la santé du patriarche s’avère vacillante, les ambitions de sa progéniture et la concurrence produisent les conflits correspondant aux conventions du genre : les tractations pour promouvoir son produit, le réseautage pour faire aboutir des propositions et emporter des contrats sur la concurrence, les tensions et les emportements et autre fâcheries au sein de la fratrie, les histoires de famille et les rancœurs, les secrets de famille et les non-dits, le luxe et la débauche, un comportement de classe dominante vis-à-vis de simples employés, et une forme de traditionalisme un peu réactionnaire et protectionniste. Ces facettes se trouvent exacerbées par le changement d’artiste, le nouveau dessinateur réalisant des images plus propres sur elles, avec une sorte d’élégance glacée, évoquant les magazines people.



De ce point de vue, le lecteur éprouve une forme de contentement immédiat, avec un produit conforme à son horizon d’attente. Dans le même temps, la première page atteste qu’il y a plus qu’une recette éprouvée réalisée par des artisans qui viendraient cachetonner. La première case occupe un tiers de la hauteur de la page, et toute sa largeur : une magnifique vue du Majestic, de sa plage, et des immeubles du front de mer en arrière-plan. S’il y est sensible, le lecteur peut remarquer la qualité de la précision dans la représentation des différents bâtiments : la promenade du front de mer avec les parasols et les tables de restauration protégées par un petit toit pyramidal, la façade caractéristique de l’hôtel Carlton, la luxueuse villa de la famille Capella, son immense salon, sa belle terrasse, sa piscine, une vue de la vieille ville de Grasse avec l’église Saint-Laurent-de-Magagnosc, la belle terrasse d’un café à Grasse, la piste d’atterrissage de l’aéroport de Nice-Côte d’Azur et l’intérieur, différents bureau de la Maison Capella, le laboratoire du nez Noël Debruge, la plage de Nice et ses bâtiments de front de mer, les usines Capella et leurs extracteurs, etc. La précision des dessins fait parfois penser à l’usage d’un logiciel de modélisation pour un rendu clinique et précis. Une fois son attention attirée par les détails et la finesse d’exécution, le lecteur note les bateaux dans la marina de Cannes, les petits fours impeccablement alignés dans une perspective, le modèle de la Mercedes décapotable, les bandes jaunes et noires pour délimiter les circulations dans l’usine, la 2CV sur l’autoroute, les différentes œuvres d’art au mur chez les Capella, le modèle réduit de voilier sur le manteau de leur cheminée, le tableau d’Henri Matisse dans la salle de réunion du comité de direction. Il se rend compte que l’artiste représente avec la même minutie les différentes fleurs : patchouli, pavot, rose centifolia.


Dans ce monde décrit avec un œil froid auquel aucun détail n’échappe, les personnages se détachent comme étant plus vivants, même s’ils sont représentés dans un registre esthétique similaire, avec le même souci de la précision pour les tenues vestimentaires, une direction d’acteur naturaliste avec parfois des poses un peu étudiées, un travail très sophistiqué sur la mise en couleurs pour ajouter un peu de relief et de teinte sur les visages et les mains. L’effet produit peut ne pas être du goût de tout le monde, un peu froid, au point que la séduction des trois jeunes mannequins du spot de pub pour le parfum Grain d’Azur apparaît artificielle et elles apparaissent trop parfaites, trop cambrées dans leur façon de bouger pour être vraiment séduisantes, neutralisant toute forme d’érotisme. Les auteurs se montrent assez facétieux et même moqueurs dans ce passage, le flacon surgissant de l’océan, bien dressé vers le ciel pour une métaphore dont la finesse fait défaut. Ces caractéristiques visuelles induisent que les comportements sont aussi factices que l’apparente beauté de surface et les comportements très policés qui ne parviennent pas à faire illusion quant aux motivations profondes intéressées et égoïstes.



C’est donc reparti pour une lutte intestine afin de s’approprier la place laissée vacante par le patriarche. Les coscénaristes ont ainsi construit leur récit, que le lecteur prend parti pour Pierre-Jean Capella, le seul héritier qui semble avoir vraiment à cœur les intérêts de l’entreprise familiale, avant les siens, et qui tente d’aider son paternel de manière désintéressée, par comparaison avec les autres membres de la famille surtout focalisés sur leur propre intérêt. Toutefois, ce fils fait l’aveu à son épouse Victoria qu’il se trouve lâche : finalement le potentiel retour de son père constitue la solution de facilité dans laquelle il n’a pas à s’imposer face à ses frères et sœurs. Il se voit contraint de fouiller un peu dans la vie privée de son père et il découvre des choses qu’il ne soupçonnait que ce soit sur sa vie privée, ou sur les petits (et parfois gros) arrangements qui ont permis de d’étouffer des affaires scabreuses pour le bien du développement de la maison Capella. Paul Capella explique à sa bru Victoria que : En l’absence de nouvelles Terræ Incognitæ à conquérir, le business est devenu la seule aventure moderne qui vaille le coup d’être vécue, un chef d’entreprise se doit d’être un véritable aventurier. Le lecteur constate avec Pierre-Jean qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs.


Par comparaison avec le premier tome, le lecteur fait le constat que les intrigues familiales gagnent en substance, car elles peuvent s’appuyer sur ce qui a été exposé et établi dans le premier tome. Chaque stratégie et chaque alliance obligent les personnes concernées à accepter des compromis, à transiger avec la morale et avec ses principes. La pureté ne résiste pas à l’aventure capitaliste, mais d’un autre côté l’ambition personnelle et les compromissions qui l’accompagnent se retrouvent au service de l’entreprise familiale, lui fournissent l’énergie requise pour affronter les difficultés et croître. Dans ce tome, les auteurs intègrent également plus d’aspects techniques relevant de l’industrie des parfums : la promotion d’un produit, le rôle des consultants indépendants intermédiaires entre certaines marques et certains parfumeurs, l’art de composer un parfum selon Edmond Roudnitska (1905-1996), la note de tête et la note de cœur, la note de fond, le jus, la concrète (pâte correspondant au parfum à l’état solide). Dans le premier tome, ils évoquaient la question des parfums de synthèse, dans celui-ci ils mettent en scène une culture locale de la rose Centifolia, et l’enjeu de revenir à des méthodes traditionnelles.


Le lecteur s’attendait à une suite prévisible, dans la lignée du tome un. Dans un premier temps, il peut être un peu déconcerté par le nouveau dessinateur, avec des images très propres et une apparence très lisse, mettant en œuvre un nombre certains de clichés chic dans la représentation des personnages et des milieux dans lesquels ils évoluent. Progressivement, il apprécie la précision méticuleuse des représentations, leur consistante, le comportement adulte des personnages et leur faillibilité, la tension grandissante dans leurs affrontements feutrés et leur pragmatisme. L’intrigue et sa narration gagnent en consistance et en nuance.



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