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jeudi 4 janvier 2024

Conquistador T03

Chacun croyait en ses chances. Chacun croyait en ses dieux.


Ce tome est le troisième d’une tétralogie formant une histoire complète ; il fait suite à Conquistador, tome 2 (2012). Sa première édition date de 2013. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Philippe Xavier pour les dessins et Jean-Jacques Chagnaud pour les couleurs. Il s’agit de la même équipe de créateurs qui a réalisé la série en huit tomes : Croisade parus de 2007 et 2014. Il comprend cinquante-deux pages de bande dessinée.


Hernán Cortés et ses troupes avançaient de nuit comme de jour à travers la jungle et Cortés qui tenait l’expédition, parvint à tenir ses troupes jusqu’au croisement d’Axtupal. Là, une halte fut décidée car une rencontre était prévue avec des guetteurs du village voisin. Ceux-ci lui parlèrent d’une tribu qui s’était révoltée contre l’empereur Moctezuma. Les Hiburas. Ces Indiens sont à deux jours de marche vers l’ouest. Leur village a été détruit par les soldats de Moctezuma. Il se sont réfugiés dans la jungle autour de Cempa. D’après l’Indien, Cortés pourrait les rallier à sa cause, ce sont de grands guerriers. La Malinche s’approche et prend part à la discussion en s’adressant à Cortés : son peuple ne veut pas avouer à Cortés la grande déception qui est la sienne devant certains agissements de ses semblables. Peu de temps après le départ du conquistador, Moctezuma a reçu l’un des siens, un traître à sa cause.



À Tenochtitlan, Don Velázquez de Cuellar se présente à Moctezuma, siégeant sur son trône. Il appartient aux troupes commandées par Panfilo de Narvaez. Ils sont envoyés par le roi d’Espagne pour dire la vérité à l’empereur, sur un homme qu’il a reçu ici-même. Il parle d’Hernán Cortés, rebelle à son roi et qui ne parle pas en son nom. Cortés qu’ils sont prêts à combattre aux côtés des Indiens si Moctezuma le désire. Cortés qu’ils peuvent coucher sur l’autel des sacrifices car il ne sera pas même un souvenir pour l’Espagne. Moctezuma apprécie ces paroles franches et directes. Il se lève, tout en ajoutant que son interlocuteur ne lui apprend rien sur la traîtrise dont peuvent témoigner les Espagnols. Il va lui montrer. Il avance dans son palais, et il indique qu’ils vont passer par la salle des esclaves, des hommes et des femmes appartenant aux tribus qui n’ont pas reconnu son autorité. Ils continuent à s’enfoncer plus profondément dans les sous-sols, et l’empereur poursuit son propos. Il va montrer à son hôte, une jeune femme qui appartient à Cortés. Il ne l’a pas tuée car elle lui a dérobé un objet qui lui est très précieux et qu’il veut récupérer. Il ne l’a pas soumise à la torture car il veut qu’elle agisse de son plein gré, qu’elle se repente. C’est ainsi seulement que le dieu acceptera d’oublier les injures reçues. Il demande à Diego Velázquez de Cuéllar de convaincre la capitaine Catalina Guerero de restituer la croix à l’effigie de Txlaka. Le conquistador s’exécute et commence par demander à Guerero enchaînée au mur, ce qu’est cette croix.


Le lecteur entame ce troisième tome avec deux attentes en tête : la narration visuelle pour l’emmener dans la jungle et dans la cité monumentale de Tenochtitlan, la suite de l’intrigue car le récit en analepse a rejoint et dépassé le point de départ du tome un. Le plaisir du voyage est présent dès la première page, avec une superbe vision de la jungle. La complémentarité et la fusion entre dessin encré et mise en couleurs s’avère épatante, comme si elle était le fruit d’un seul et même artiste. Le dessinateur sait évoquer des formes particulières pour les arbres, même s’il n’est pas possible d’en identifier l’essence, et le coloriste réalise un camaïeu très soigné qui évoque le feuillage, avec le jeu de la lumière, les reliefs, l’impression de végétation dense et luxuriante, et un éclairage assombri par cette densité. Dès la deuxième planche, le lecteur est gâté par une vision des pyramides aztèques à degré, avec ces escaliers vertigineux, et quelques brasiers apportant une touche sinistre. Dans la troisième planche, les murs de la salle du trône sont ornés de nombreuses sculptures et reliefs sculptés, dont les détails ressortent grâce aux nuances de gris. Puis vient une immense pièce avec de fragiles échafaudages de bois où s’affairent les esclaves. La mise en couleur vient accentuer la profondeur de champ et souligner les différents plans de cette très grande case. Le lecteur sent bien que les artistes n’œuvrent pas à une reconstitution historique fidèle, plutôt à une évocation bénéficiant de la liberté donnée par la licence artistique tout en s’appuyant sur la réalité historique, un exercice d’équilibriste parfaitement maîtrisé. Le lecteur savoure ensuite une vue générale d’un village sur pilotis en pleine jungle, un enclos à la délimitation singulière pour un duel brutal, une vue générale de Tenochtitlan, des marches dans la jungle aussi bien dans la végétation dense, qu’en terrain découvert, ou encore en pataugeant dans un bras peu profond du fleuve, pour terminer sur une magnifique vue de zone de chutes d’eau en format paysage.



Le dessinateur soigne tout autant la narration proprement dite, toujours sur la base de pages découpées en cases rectangulaires. Il utilise aussi bien des cases de la largeur de la page pour des paysages panoramiques ou des scènes avec de nombreux personnages, que des cases de la hauteur de la page pour permettre de voir loin ou pour mettre en valeur la présence de del Royo pendant le duel, et des cases disposées en bandes pour le découpage d’une action. À nouveau, la coordination entre dessinateur et coloriste génère une gestion remarquable des arrière-plans, ceux-ci contenant plus ou moins d’informations visuelles dessinées avec des traits encrés, ou la couleur se chargeant d’effectuer le rappel de l’environnement par l’impression qu’il a laissée dans l’esprit du lecteur. Le lecteur ressent que le phénomène d’immersion dans cet environnement fonctionne à plein, grâce aux paysages, et aussi aux personnages, à la mise en scène.


L’artiste crée des visages et des statures immédiatement assimilables par l’œil du lecteur, en jouant de certains stéréotypes visuels. Le visage angélique des rares personnages féminins et leur silhouette parfaite, que ce soit la Malinche, ou Tzilli qui apparaît plus jeune. Les tenues des Indiens qui contrastent avec les armures des Espagnols, le lecteur plaignant ces derniers de devoir porter un tel attirail pour leur protection dans un environnement chaud et humide. Le lecteur éprouve de la curiosité en suivant Moctezuma pour découvrir où il va conduire Velzaquez de Cuellar. Il sourit en voyant Hernando del Royo échapper de peu à un piège digne d’Indiana Jones en pleine jungle. Il se sent beaucoup plus tendu alors que del Royo affronte une montagne de muscle en combat singulier, uniquement armé d’un bouclier, au cours d’un affrontement parfaitement mis en scène, grâce un plan de prise de vue permettant de suivre chaque attaque, chaque parade, chaque déplacement. La curiosité anime le lecteur alors que l’étrange prêtre Barbo Bezan procède à sa mise en scène pour impressionner Cortés et ses troupes. Il est pris par surprise lorsque Catalina Guerera saisit une occasion pour attaquer d’abord un gradé espagnol la retenant captive, puis tout aussi soudainement une jeune femme sans défense.



Le scénariste gère l’alternance des fils narratifs et des différents personnages avec habileté, imprimant ainsi un rythme de lecture vif, en passant de l’un à l’autre avec des séquences assez courtes. Comme le dessinateur, il accommode la réalité historique à sa sauce, entre respect des grands événements et petits arrangements avec les personnages historiques et les personnages créés pour son récit. D’un côté, il introduit deux nouveaux personnages historiques : Diego Velázquez de Cuéllar (1465-1524), un conquistador espagnol qui accompagnait Cortés, et la Malinche (1500-1529 ou 1550), une Amérindienne d'origine nahua, une esclave offerte à Cortés en 1519. De l’autre côté, le lecteur retrouve Hernando del Royo avec ses pouvoirs acquis par l’ingestion de racines et ses rares compagnons encore en vie, et il découvre le prêtre Barbo Bezan (qui succède à Oczu), assisté par le tout aussi bizarre Zampero. Les événements historiques suivent leur cours dans les grandes lignes, pendant que les personnages de fiction vivent leurs aventures. Catilina Guerero saisit la première occasion que se présente pour recouvrer sa liberté. Hernando del Royo prend conscience que la prophétie de Pipa, la fille du régisseur du domaine de son père en Espagne, s’accomplit : pour survivre il est devenu un monstre, il a pris un autre nom, un nom gravé dans sa chair, le nom d’un monstre. En trame de fond, le thème de la confrontation des cultures continue de courir, bien résumé dans la dernière page : Chacun croyait en ses chances, chacun croyait en ses dieux. D’un côté, la conquête militaire des colons ne s’accomplit pas comme ils l’avaient planifiée, et même il n’y a pas d’unité parmi les Espagnols. De l’autre côté, Hernando del Royo conserve les valeurs de son éducation espagnole, en même temps que sa conscience s’ouvre aux réalités géographiques du territoire sur lequel il se trouve, et leur incidence sur la civilisation des êtres humains qui le peuplent.


Le lecteur se trouve tout de suite emporté par la narration visuelle, ce dosage parfait entre traits encrés et couleurs, entre ce qui est décrit et ce qui est évoqué, voyant des personnages animés par la conquête ou le conflit, habités par des convictions morales fortes. Le récit reste dans le registre de l’aventure historique, un numéro d’équilibriste entre les grands événements avérés et les petits aménagements avec la réalité historique, pour une dramaturgie prenante et exaltante. Envoutant.



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