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jeudi 14 septembre 2023

Croisade T06 Sybille, jadis

Un souffle ! Mais on ne combat pas un souffle !


Ce tome fait suite à Croisade - Tome 5 - Gauthier de Flandres (2010) qu’il faut avoir lu avant. Les quatre premiers tomes forment le cycle appelé Hiérus Halem. La parution de celui-ci date de 2011, et c’est le deuxième du second cycle appelé Nomade, qui compte également quatre albums. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Philippe Xavier pour les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Jean-Jacques Chagnaud. Il compte cinquante-quatre planches de bande dessinée.


La ville d’Akka sur la Méditerranée. Une communauté chrétienne l’occupe dès l’époque apostolique. Conquise par les musulmans en 638, Baudoin premier s’en empare en 1104. La ville sera rebaptisée par les chrétiens Saint Jean d’Acre, et c’est là que commence cette histoire. Alors que du monde s’assemble devant une des échoppes du marché. À l’intérieur, des croisés découvrent, émerveillés, les trésors accumulés par les marchands. C’est tout un monde qui s’étale à leurs pieds. Un monde qui semble à leur portée… Un monde qui chante à leurs oreilles… mais certains chants sont trompeurs, qui cachent des paroles perfides, tandis que s’accélère leur cadence. Et ce fut le massacre ! Personne ne prête attention aux musiciens qui s’éloignent. Un passant aperçoit juste la blancheur d’un sourire se devinant dans l’ombre, celle d’un sourire. Gauthier de Flandres se trouve dans le bureau du commandant de la ville et l’écoute annoncer la mort des ces trois croisés assassinés en plein souk, lui dire que pour la seconde fois, il leur est adressé le même message : le nomade où qu’il soit doit délivrer le contenu de la cage. Gauthier explique qu’il a vu la cage, mais qu’il ne sait pas ce qu’elle contenait. Il confirme que ses ennemis l’appellent le nomade. Ils appartiennent à la ligue des assassins.



Le commandant souhaite en savoir plus. Gauthier s’exécute : la cage appartenait à Renaud de Châtillon, c’est à lui qu’il faut demander des explications. Le commandant va envoyer un messager à Renaud pour lui demander de venir, et Gauthier doit rester dans la ville. Le nomade explique qu’il attend un vaisseau qui doit venir de Flandres, à son bord doit se trouver sa sœur. Il continue. Il y eut un temps heureux dans son enfance, sa petite enfance. Alors que ses parents vivaient encore au pays et que chantaient les troubadours… Sa sœur, Sybille, se trouvait à ses côtés. Il devait avoir cinq ans. Elle était plus âgée et déjà très belle. Avec quelque chose dans le regard qui dût avertir leurs parents. Aussi, comme s’ils voulaient prévenir tout danger, toute déconvenue, ils décidèrent de la confier à la mère supérieure du couvent de Noirmont. Frère Sobald, leur confesseur, devait l’accompagner afin de rendre moins rude son éloignement. Quant à lui, il était encore trop petit pour comprendre. Sa sœur lui promit de revenir, mais elle ne revint pas. Les années passèrent, ses parents partirent à la croisade et ses tantes s’occupèrent de son éducation. Il lui fut donné un maître d’armes, messire Galland, un homme terrible qui lui assena de nombreux coups sans qu’il puisse lui en porter un seul.


Deuxième quart de ce second cycle et de nombreux personnages sont déjà en place : Gauthier de Flandres, son compagnon Osarias qui est lié à Elysande la lumière des martyrs, Renaud de Châtillon, le mage Ottar Benk, le Hadj maître de la ligue des assassins, Czardann son principal lieutenant, la guerrière Lhiannes, le retour de Jurand de Poméranie le prédicateur aux sept plaies, et Ada de Smyrne est mentionnée. Dans ce tome sont introduits ou évoqués de nouveaux personnages : Sybille d’Aubois la sœur de Gauthier ainsi que ses deux premiers amants frère Sobald et messire Galland, son mari sire d’Aubois, le gros Youssouf Djia, Hakim le noir, Guy de Lusignan. Sans oublier les forces spirituelles : les très vénéré X3, le Qua’dj, Simoun Dja. Le lecteur reste attaché à Gauthier de Flandres : son état d’électron libre, ayant pu voir comment chaque côté du conflit instrumentalise la Foi pour justifier la guerre, en en oubliant les préceptes. Il ne dispose d’aucune prise sur les événements, sa vie se retrouvant soumise à des forces arbitraires. Le lecteur prend conscience qu’il lui a suffi d’un tome pour développer de l’empathie pour la guerrière Lhianes et compatir à sa souffrance. Les autres personnages apparaissent moins développés, ce qui n’empêche pas de ressentir un pincement au cœur au vu du sort inique de Czardann, et même à celui tout aussi cruel du Hadj.



Comme dans le premier cycle, le scénariste met en œuvre une dynamique de récit qui repose à la fois sur un fil directeur principal, le destin de Gauthier de Flandres devenu nomade dans un pays en guerre, et des intrigues secondaires introduites au fur et à mesure, comme celle de la sœur de Gauthier ou l’irruption d’un nouvel individu incarnant le chaos, Hakim le noir. L’enjeu de l’intrigue réside dans la maîtrise d’une force surnaturelle : le Simoun Dja qui n’est qu’une manifestation du Qua’dj, présent depuis le premier tome de la série. Chaque personnage dispose de ses propres motivations qui semblent indépendantes du thème principal de la série : les croisades. Pour autant, les actions des uns et des autres les ramènent inexorablement vers Hiérus Halem (une variation fictive sur Jérusalem), et ils ne peuvent échapper à l’influence des deux religions, ni à celle de la culture de ce pays. En arrière-plan, le Qua’dj représente toujours la notion de Diable, d’actions destructrices, et de penchants violents, X3 (variation sur le mot Christ) se retrouvant impuissant. Les croisés constituent toujours une force d’occupation, ou l’incarnation de l’envahisseur dans un pays qui n’est pas le leur. Dans un contexte contemporain, la scène d’introduction serait qualifiée d’action terroriste ou de résistance, suivant le point de vue. Hakim et Sybille ont été élevés dans les préceptes de leur Foi réciproque et ont choisi une autre voie allant à l’encontre desdits préceptes.


Dès la première page, le lecteur remarque que la mise en couleurs a gagné en minutie, faisant ressortir des détails plus petits. Les ambiances lumineuses s’installent discrètement : la lumière un peu tamisée pour l’ombre rafraîchissante du souk, les couleurs un peu passées pour les scènes de la jeunesse de Sybille et Gauthier, le ciel limpide et la couleur chaude du ciel en plein air, la douceur de la nuit qui va en s’assombrissant alors que la mort frappe. Le lecteur remarque également que le dessinateur a opté pour une augmentation du niveau de détails dans ses cases, avec des traits d’encrage plus fins : le nombre de figurants et d’étals dans le souk, le détail des cottes de maille des croisés, la délicatesse de l’évocation de la famille de Flandres écoutant un troubadour, la minutie de la représentation des pierres de la pièce dans laquelle Galland retrouve Sybille, les felouques sur la mer, la vue des toits de Saint Jean d’Acre lors de la course-poursuite nocturne, la vue de la ville alors qu’une troupe de dix hommes menés par Gauthier s’avance à la recherche d’Hakim le noir, le navire sur lequel arrive Sybille, etc.



Pour autant, les planches n’ont rien perdu de leur efficacité, et le lecteur se régale de chaque scène, sa construction et sa progression. La manière dont les habitants se rapprochent des croisés dans le souk jusqu’à les enserrer. L’entraînement de Gauthier contre Galland dans la neige. La scène de tentation de Sybille pour séduire Galland. La surprenante manifestation du pouvoir surnaturel d’Hakim le noir contre Czardann. L’incroyable scène chez le guérisseur qui appose des aiguilles sur le corps dénudé de Lhianes, au cours de laquelle ses postures n’expriment que sa force physique et sa force de caractère. Son irruption dans le combat entre les croisés et les hommes d’Hakim, avec le déchaînement de la force surnaturelle qui est en elle. Le moment d’intimité entre elle et Gauthier. Une scène de funérailles avec le corps sur une felouque en flammes. Le lecteur éprouve la sensation de se promener dans les rues du souk avec les toiles tendues entre les façades pour bénéficier d’ombre tout en laissant les courants d’air passer. Il ressent comment les cases de la largeur de la page lui donnent à voir une action complexe (le passage d’une colonne de croisés dans une ville), ou le laisse admirer un paysage (un cavalier traversant une zone enneigée). En regardant la discussion entre le Hadj et Hakim en planche dix-sept, il ressent comment l’alternance de cadrage oppose les deux interlocuteurs, puis lui permet de jeter un coup d’œil à l’aménagement de la pièce, puis de voir Hakim se lever car incapable de rester en place. La séance de soin de Lhianes alterne également différents plans, créant une tension et un suspense entre sa concentration pour endurer la douleur, la confiance du médecin dans son art, le changement d’état d’esprit de l’un et de l’autre au vu du résultat. Du grand art et il en va ainsi pour chaque scène.


À l’issue du premier cycle, Gauthier de Flandres avait pris la décision de se désolidariser des croisés pour être en phase avec ses propres convictions, faisant de lui un nomade dans un pays étranger. Le récit montre qu’il ne peut ni faire fi de son histoire personnelle, ni de l’environnement dans lequel il se trouve, autant les circonstances de la croisade que la culture du pays. Il ne peut y échapper. L’artiste et le coloriste ont encore gagné en confiance, réalisant des planches toujours aussi personnelles, donnant encore plus de consistance à ce qui est raconté, générant une sensation d’immersion d’une qualité rare.



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