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lundi 11 septembre 2023

Le petit théâtre des opérations - Toujours prêtes T01

Toutes deux s’étaient dévouées à une mission aussi simple que grande : aider les autres.


Le titre en deux parties de ce tome indique qu’il peut être considéré comme une série dérivée de Le Petit Théâtre des opérations (trois tomes de parus en 2022), toutefois il peut se lire indépendamment, sans avoir lu les autres. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Julien Hervieux (alias l’odieux C., également scénariste de la série initiale) pour le scénario, et par Virginie Augustin pour les dessins et les couleurs. Il comporte huit récits, chacun complété par une page de texte développant un pan des circonstances afférentes.


Marie Marvingt : la fiancée du danger. En Lorraine, en 1885, deux garçons sont en train de courir de toutes leurs forces, ils s’arrêtent à bout de souffle, demandant d’arrêter à Marie, 10 ans. Depuis toute petite, Marie Marvingt a une passion le sport. Pas un. Non, tous les sports. Forcément elle finit dans un cirque : écuyère, funambule, etc. Bon, en fait, Marie est le cirque à elle seule. Marie décroche même son permis de conduire, le brevet de pilotage de ballon aérien. Et est même la première femme à piloter un avion seule. Elle tente la traversée de la Manche en ballon avec un autre pilote. Elle le fait. Elle s’écrase à l’arrivée. Elle a aimé ça. Marie apprécie aussi le cyclisme, à la pratique duquel elle s’adonne en pantalon, ce qui lui vaut d’être arrêtée par la maréchaussée car le port des pantalons est interdit aux femmes par un arrêté de 1800. Elle invente la jupe-culotte. En 1908, elle tente de prendre le départ du tour de France. Le règlement lui interdit de prendre le départ avec du tour avec les hommes. Marie part donc après les hommes. Sur les 114 coureurs au départ, seuls 36 bouclent le tour… dont Marie. En 1910, Marie est aussi devenue une alpiniste de renommée internationale, patineuse, skieuse. Elle reçoit des médailles d’or pour quantité de sports. Elle en a en fait plus d’une vingtaine. Et puis arrive la première guerre mondiale. Elle s’engage dans l’armée en se faisant passer pour un homme.



Nancy Wake : une souris et des hommes. En 1935, Nancy Wake, une jeune journaliste australienne travaillant pour un journal parisien, est parvenue à décrocher une interview d’Adolf Hitler. Peu après elle assiste à un lynchage de juifs dans la rue, ce qui la révolte. En 1939, Nancy, mariée à un millionnaire en France, apprend que la guerre est là. Elle décide de s’engager comme ambulancière pour s’opposer aux nazis. Après l’armistice, elle s’engage dans la résistance et, sous le nom de la souris blanche, elle aide les soldats étrangers à sortir de la zone occupée. Milunka Savić : Mulan en Serbie. 1913, en Macédoine : la deuxième guerre des Balkans oppose serbes et Bulgares. Le soldat Milun est touché et opéré dans un hôpital militaire de campagne : c’est une femme. À la sortie de l’hôpital, son supérieur lui fait comprendre qu’il ne peut lui proposer qu’une petite place d’infirmière. Elle insiste : elle est promue sergent et lorsque la première guerre mondiale éclate, elle est en première ligne pour combattre les austro-hongrois à coup de grenades.


S’il n’a pas mis le nez dans la série-mère Le petit théâtre des opérations (il est encore temps de le faire, et cette lecture lui en donnera l’envie irrépressible), le lecteur commence par éprouver un choc déstabilisant. Les auteurs ne se prennent pas au sérieux, et ils ne chantent pas les louanges de l’âme patriotique, ni les exploits militaires de ces dames, comme des exemples de bravoure et de virilité (ah oui, pour ce dernier point, c’est compréhensible). Le scénariste adopte un ton entre sarcasme et raillerie, alimentant un fond de dérision dont il ne se départit jamais. Les cyclistes du tour de France s’exhortent les uns les autres à aller plus vite parce que Marie Marvingt se rapproche derrière eux. Lorsque Nancy Wake l’interviewe, l’explication d’Adolf Hitler est commentée par C’est pour ça qu’il a arrêté la peinture, évoquant son échec à intégrer les Beaux-Arts par deux fois. Concernant Milunka Savić, le scénariste écrit : Comme elle est dangereuse, de près, les Autrichiens décident de l’avoir de loin avec l’artillerie. Pour le combat de la Rougemare et des Flamants, il tourne ridicule les Français incapables de reconnaitre l’uniforme militaire allemand. Il n’hésite pas à faire revêtir un bonnet d’âne par Yoshiko Kawashima. Avec ses mots, Marie Curie fait observer à son époux qu’avec deux prix Nobel, révolutionner les soins en temps de guerre, elle n’est plus à ça près. Etc. la narration visuelle est tout aussi enlevée, avec de nombreux gags purement visuels : des Lego pour réaliser un prototype de skis pour avion, un foyer de cheminée avec un parachute pour accompagner la descente d’un parachutiste britannique, un passage au noir & blanc avec une imitation de manga shojo pour Yosjiko Kawashima, un portrait de Staline avec un petit arc-en-ciel et des petits cœurs dans le bureau d’un gradé militaire, Donald Trump au milieu d’une foule américaine lors d’un colloque. Etc.



Une fois qu’il s’est adapté au ton persifleur des auteurs, le lecteur peut apprécier chaque récit, chaque héroïne et ses accomplissements. En effet, l’humour ne vient jamais diminuer ou ridiculiser lesdits accomplissements. Marie Marvingt (1875-1963) place la barre très haut avec ses exploits sportifs, ses inventions pour améliorer l’évacuation des blessés, l’invention également d’un type de suture plus efficace, et après la guerre le pilotage d’hélicoptère à quatre-vingts ans passés. Le scénariste a ainsi retenu huit femmes s’étant impliquées dans les deux guerres mondiales (cinq pour la première, trois pour la seconde) : Marie Marvingt, Nancy Wake (1912-2011), Milunka Savić (1890-1973), Octavie Delacour (1858-1937), Yoshiko Kawashima (1907-1948), Marie Curie (1867-1937), Sofiya Ozerkova (1912-?) et Marie Depage (1872-1915). En fonction de sa culture, le lecteur peut être familier de l’histoire de l’une ou plusieurs d’entre elles, peut-être pas de tous leurs accomplissements (quand même, Marie Curie avec deux prix Nobel à son actif). Il découvre ainsi leurs réalisations pour la plupart dans la société civile, et pour toutes dans une guerre mondiale, que ce soit pour un fait spécifique (Octavie Delacour) ou tout du long du conflit. Chaque histoire compte entre cinq et sept pages ce qui oblige le scénariste à se montrer sélectif, et pour autant leurs exploits ressortent avec force. Ils peuvent être complétés dans la page de texte qui se trouve après chaque bande dessinée.


La narration visuelle reprend les codes de la série-mère : des dessins dans un registre humoristique avec des personnages qui sourient, et des exagérations. Là encore, une fois passé le nécessaire moment d’adaptation, ces choix conduisent le lecteur à se focaliser sur le caractère extraordinaire des actions accomplies, et la force vitale intense de chacune de ces femmes. Le lecteur sourit en voyant Marie se retourner vers les trois garçons à bout de force, en faisant l’écuyère équilibriste debout sur le dos d’un cheval, en sautant du ballon qui s’écrase au sol, en accueillant un alpiniste sur un sommet qu’elle a atteint bien avant lui, blasée dans son fauteuil avec son chat sur les genoux, et ses médailles d’or et trophées accrochés au mur, s’amusant de la surprise de son cousin découvrant qu’elle se fait passer pour un soldat homme, s’amusant avec un hydravion en Lego, rayonnant de plaisir en pilotant un hélicoptère. L’une après l’autre, leur énergie et leur bonne humeur emportent la conviction du lecteur : Nancy Wake avec le visage tuméfié raillant le manque de force physique de son tortionnaire, Milunka Savić s’élançant vers l’ennemi avec une grenade dégoupillée dans chaque main, Octavie Delacour balançant une charentaise sur le maire qui ne la croit pas, Yoshiko Kawashima enjôleuse en femme fatale, Marie Curie se mettant du cambouis sur le visage en s’essuyant, Sofiya Ozerkova manquant de place sur son uniforme pour accrocher encore une nouvelle médaille, Marie Depage arrivant avec ses valises à la main pour sauver une nouvelle situation.



La narration visuelle s’avère pleine d’entrain, irrésistible, avec un petit degré de simplification dans les personnages et les objets, rendant immédiate la lecture de chaque case. La dessinatrice arrondit un peu plus ses contours que Monsieur Chien pour Le petit théâtre des opérations, rendant chaque case agréable à l’œil. Comme lui, elle dose avec soin le niveau de densité d’informations visuelles. Elle peut aussi bien investir le temps nécessaire pour représenter les nombreux éléments d’un unique décor, que réaliser une bande de cases à fond vide. Elle sait trouver le bon dosage pour que le lecteur n’éprouve pas de doute sur l’endroit où se déroule l’action, et sur l’époque concernée. Ses dessins portent la preuve de ses recherches de référence, que ce soient pour les vêtements civils, les uniformes, les armes, les véhicules militaires et les lieux divers. Elle n’opte pas pour un degré photographique de représentation, pour autant l’attention du lecteur se maintient sans solution de continuité car il voit tout le temps où se trouvent les personnages, la continuité dans leur action, les marqueurs temporels qui permettent de savoir quand se déroule récit. Comme le scénariste, elle choisit de ne pas s’appesantir sur les horreurs de la guerre, sur les blessés et leurs souffrances, sur les privations et les brutalités. Ces récits n’abordent pas la dimension meurtrière des conflits, les conséquences pour les civils, et les syndromes de stress post-traumatique pour les combattants.


Cette anthologie consacrée à des femmes combattantes permet de réparer l’oubli dont elles ont été victimes, une forme de féminisme relativisé par le fait que les hommes évoqués dans la série mère n’ont pas tous bénéficié non plus d’une reconnaissance à la hauteur de leurs exploits que ce soit par l’institution militaire ou la société civile. Une narration gentiment moqueuse, que ce soient les dialogues ou les dessins, sans rien retirer de la valeur et de l’héroïsme de ces femmes. Le lecteur sourit tout du long, tout en éprouvant un sentiment de respect et d’admiration pour leur courage et leur humanité.



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