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lundi 18 décembre 2023

La Venin T05 Soleil de plomb

En tout, c’est étrange d’avoir quelque chose entre les jambes…


Ce tome est le dernier de la pentalogie que l’auteur a consacré à son personnage. Il fait suite à La venin T04 Ciel d’éther (2022). Il faut avoir commencé par le tome un : La Venin T01 Déluge de feu (2019) car les cinq tomes forment une histoire complète. Sa publication originale date de 2023. Il a été réalisé par Laurent Astier pour le scénario, les dessins. La mise en couleur a été réalisée par Stéphane Astier. Il comporte soixante-deux pages de bande dessinée. Le lettrage de la bande dessinée est assuré par Jean-Luc Ruault. Une carte des États-Unis occupe la deuxième de couverture et la page en vis-à-vis : y figure le tracé des voyages d’Emily.


À New York, en février 1901, Emily récite un passage d’Emily Dickinson sur la tombe de son amoureux : Se battre à haute voix est courageux, mais je sais, ô valeureux, celui qui charge en son cœur la cavalerie du malheur. Elle lui dit adieu et ajoute : Les anges viennent, en longues files, d’un pas tranquille, dans leurs uniformes de neige… Elle est interpellée par Vicky qui lui rappelle qu’elle a une dernière mission à accomplir et qu’elles doivent filer à Washington. Les deux amies, Margret, Susan, Mona et Lisa montent dans un cab pour rejoindre Grand Central Station. Au même moment, Charly Siringo et Tom Horn sont en train de demander à leur chef dans l’agence Pinkerton de New York de leur décrocher un entretien avec William McKinley, le président des États-Unis. Celui-ci finit par céder tout en leur criant dessus, pour qu’ils sortent. À la gare, Les dames découvrent qu’elles vont voyager dans une voiture Sunbeam, conçue par Pullman, avec des cabines couchettes. Un jeune homme en uniforme entre pour les servir : leurs remarques le font rougir et elles s’amusent de sa timidité. Le train démarre et les deux détectives de Pinkerton arrivent une minute trop tard pour pouvoir le prendre, Horn enrageant à l’idée que la venin ait pu être dedans.



Nouveau Mexique, à Deming en octobre 1899, dans une zone désertique, sous la pluie, Michael Graf et Emily ont réussi à rejoindre Pearl Hart réfugiée dans une cabane en piteux état. Ils y pénètrent l’arme au poing et lui intiment de lever les mains bien haut : ils la mettent en état d’arrestation pour son évasion de la prison de Tucson. Tout en obéissant, elle leur propose de partager son repas. Graf estime que l’idée est bonne car il a une proposition à lui faire. Il demande à Emily d’aller chercher les chevaux avant que tout ne soit trempé. Puis, ils partagent le repas de Pearl, et Graf explique ce qu’il attend d’elle : il voudrait qu’elle finisse la formation d’Emily. Il lui a appris à monter à cheval, le maniement des armes, mais il y a des choses auxquelles il ne comprend rien. Comment s’habiller, se coiffer, comment changer d’apparence pour se fondre dans la masse et disparaître quand elle le voudra. Tous ces trucs que connaissent les femmes, quoi ! Cela fait rigoler Heart qui n’a pas une allure très féminine. Mais pour quinze jours de liberté supplémentaires, elle accepte. Elle commence séance tenante en montrant comment changer de coiffure, comment adopter une posture de personne âgée, ou de jeune femme distinguée.


Le lecteur aborde ce dernier tome sur la pointe des pieds, limite à reculons : c’est la fin… Il sait qu’il va devoir dire adieu à Emily, ce qui génère un sentiment de tristesse quelle que soit l’issue de son parcours de vengeance. Il sait également qu’il va avoir droit à une avalanche de révélations sur Lony (Ba-Cluth), sur Liberty, sur William Ward, et vraisemblablement sur le président des États-Unis William McKinley (le vingt-cinquième président). Ce dernier vient s’ajouter aux autres personnages historiques apparus dans la série comme Charly Siringo (1855-1928) et Tom Horn (1860-1903), et dans ce dernier tome apparaissent également Ida Saxton McKinley (1847-1907), Leon Czolgosz (1873-1901), anarchiste. Le lecteur retrouve également le goût du personnage principal pour la littérature avec des citations d’Emily Dickinson (1830-1886), et Michael Graf en train de lire Le fils du loup (1900) de Jack London (1876-1916). Il savoure la reconstitution historique avec une magnifique voiture Pullman (du nom de son créateur George Pullman, 1831-1897), et l'Exposition pan-américaine (une exposition internationale) à Buffalo dans l'État de New York en 1901. Le spectacle visuel donne l’impression d’être encore monté de plusieurs crans : la magnifique vue en perspective des quais de la gare de Grand Central Station pour le départ du train, le magnifique hall d’entrée de la Maison Blanche, une situation tendue d’impasse mexicaine, le sénateur McKinley en train de prendre un en-cas nocturne dans la grande cuisine de sa vaste demeure, une vue du ciel de la Maison Blanche sous la neige, une vue en élévation du bureau ovale, Michael Graf et Emily chevauchant à la nuit tombante pour s’éloigner d’une ville du far-ouest, la pelouse superbe ornée d’un arbre avec une floraison rose dans la maison de campagne des McKinley en Ohio, une vue du ciel de l’Exposition panaméricaine à Buffalo, les chutes du Niagara, une magnifique pelouse verte avec des arbres au feuillage d’automne, etc. L’artiste soigne chaque planche de la première à la dernière, avec un investissement personnel qui ne connaît aucune baisse.



La narration visuelle recèle de nombreuses autres pépites, à chaque page. Le lecteur savoure chaque page : la mise en page caractéristique avec une case en médaillon entre deux autres, l’ameublement caractéristique et d’époque du chef de l’agence Pinkerton, la tête du jeune garçon de train, la course éperdue (et vaine) de Siringo et Horn pour attraper leur train, la moue désabusée de Pearl Hart proposant aux deux chasseurs de prime de partager son repas, la pantomime de la jeune femme pour montrer comment changer de langage corporel, […], la mise en scène de l’impasse mexicaine entre le président des États-Unis, les deux agents de Pinkerton et Michael Graf, William Ward portant un cadavre enroulé dans un tapis en montant les escaliers, le petit interrupteur d’appel sous le plateau du bureau du président des États-Unis, le canon d’un revolver sous la mâchoire, etc. Chaque page offre plusieurs moments mémorables, à la fois par les détails de la reconstitution historique, par la sensibilité de la direction d’acteurs, par la conception des plans de prise de vue, par la variété des localisations (un cimetière, un wagon de train, une cabane en bois, le bureau ovale, une maison close, un immeuble en feu, une banque dans une petite ville de l’ouest, le désert du Nouveau Mexique, la ville de Buffalo, l’arrivée à la Nouvelle Orléans, une plage au bord de l’océan et même les chutes du Niagara).


En effet, Laurent Astier expose le comment du pourquoi de la situation d’Emily, en particulier les coïncidences survenues dans les tomes précédents. Celles-ci n’étaient pas des facilités scénaristiques, mais bien les indices que la mère d’Emily connut un sort différent de celui dont sa fille avait le souvenir, et que les clients de la maison close où elle travaillait à la Nouvelle-Orléans ont progressé dans l’échelle sociale. En parallèle, les évocations de la vie passée d’Emily finissent par déboucher sur le temps présent, sur son arrivée à Silver Creek en début du premier tome. Le lecteur voit se confirmer ce qu’il avait pu déduire de quelques confidences éparses, et découvrir les morceaux de puzzle qui lui manquaient. D’un côté, cette phase du récit peut produire un effet en deçà des attentes du lecteur. Le scénariste a joué le jeu honnêtement et il se tient à l’écart de révélations fracassantes sortant de nulle part et invalidant ce qui avait été raconté, ce qui induit une sensation de déroulement attendu, sans surprise, bien ficelé, et en même temps manquant de panache. Un jugement un peu dur en réalité, parce que la qualité de la narration reste impeccable, que ce soit le jeu des acteurs, les enjeux émotionnels, et quelques moments de détente comique imparables (Emily avec un petit holster au niveau du pubis comme si elle avait un truc entre les jambes alors qu’elle est en train de s’habiller en garçon, ou l’hôtesse d’accueil de la Maison Blanche sous le charme de ce même garçon).



L’impression de points de passage obligé évolue progressivement en autre chose. Le lecteur se rend compte que ces révélations successives ne résolvent pas grand-chose : elles satisfont sa curiosité légitime et elles éclairent des réactions et des événements des tomes passés, sans apporter de sentiment de clôture aux personnages. D’ailleurs, le récit continue : en page quarante-huit, le dernier acte commence, se nourrissant desdites révélations, et s’appuyant sur une rencontre s’étant produite dans le tome trois, entre Emily et Leon. Une autre facette de la situation politique et sociale des États-Unis fait peser ses conséquences sur les événements, l’intrigue se poursuit, les personnages retrouvent leur libre arbitre dans la suite logique de leur histoire personnelle, et de ces secrets enfin étalés au grand jour. Le lecteur retrouve Emily telle qu’il en est progressivement tombé amoureux. Il mesure comment les événements de cette série l’ont fait évoluer, dans la continuité de son passé, de son caractère, de ses valeurs morales, une fin qui vient balayer l’impression de déroulement convenu, qui met en lumière que le personnage a grandi et mûri, que chaque génération d’enfants finit par prendre son indépendance des adultes, parvient à vivre sa vie en concordance avec ses aspirations, en s’affranchissant du poids des péchés des parents.


L’auteur ayant joué franc jeu avec le lecteur, ce dernier sait à quoi s’attendre dans ce dernier tome. Il savoure comme d’habitude la narration visuelle, autant la qualité descriptive de la reconstitution historique, que le jeu des acteurs, les plans de prise de vue, des pages enchanteresses donnant vie aux personnages pour lesquels le lecteur a développé un fort lien affectif. Il sait aussi qu’il va avancer au fil de révélations attendues, certaines déjà anticipées, d’autres venant compléter l’intrigue en s’y emboîtant parfaitement. Alors qu’il ressent une pointe de contentement un peu trop prévisible, il se rend compte que le récit continue à se dérouler, une nouvelle phase passionnante se construisant sur ces révélations alors qu’Emily continue à aller de l’avant à sa manière. Parfait.



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