Ce tome fait suite à La route Jessica - Tome 1 - Daddy! (2009). C'est la deuxième partie d'un triptyque : il faut donc avoir commencé par le premier tome. La première édition de celui-ci date de 2009. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Renaud (Denauw) pour les dessins et les couleurs. L'histoire se termine dans La route Jessica - Tome 3 - Le désir et la violence (2011). Il y a eu une série dérivée en 2 tomes : Crotales en 2014, par Renaud & Gihef.
La femme nommée Jessica Blandy s'est arrêtée ici, à Taxco de Alarcón, une ville du Mexique. Elle prend un verre à une unique table sur une terrasse. Un homme en costume avec une mallette approche : il l'informe que l'adolescent Rafaele a rejoint la bande d'Anita Royola, dit Piment Rouge. Il va bientôt recevoir son premier contrat, et alors plus personne ne pourra le récupérer. Dans une autre ville du Mexique, Soldier Sun prend un verre avec un informateur. Celui-ci lui explique qui est Anita Royola, fille du gouverneur, enfance dorée, habile au fusil, mariée à vingt ans à un riche industriel décédé peu de temps après dans de mystérieuses circonstances. Personne n'ose lui tenir tête. Son frère El Presidio est mort dans des circonstances mystérieuses. Elle a été surnommée Piment Rouge car si on la caresse, les mains brûlent. Si on l'embrasse, la bouche est en feu. Et si on l'aime, on ne sera que cendres. Soldier Sun rejoint sa fille Agripa au marché, où elle est en train de regarder les piments rouges. Son père lui annonce que le terrain est miné, ça sera plus difficile qu'il ne le pensait. Il lui demande si elle a entendu parler d'une bande armée qui se fait appeler Atapulta.
La nuit dans une ville du Mexique, Rafaele est en train de passer un sinistre rite d'initiation : il doit recouvrir de terre un homme vivant allongé dans une fosse. Il ne parvient pas à accomplir cette tâche, car le jeune homme au fond de la tombe le regarde d'un air suppliant. Autour d'eux, de nombreuses croix en bois marquent l'endroit de tombes identiques avec l'inscription Atapulta peinte en rouge dessus. Anita Royola se réveille tout habillée sur son lit : elle a encore fait le même cauchemar, avec une tête de squelette portant du rouge à lèvres et un chapeau avec des marguerites. Elle entend qu'on l'appelle. Deux de ses gardes indiquent qu'un homme se tient devant la grille d'enceinte et veut lui parler. Soldier Sun lui fait signe en indiquant qu'il veut lui parler d'El Presidio. Royola prend le revolver de Peppe et s'approche de l'intrus en le menaçant depuis l'autre côté de la grille. Sun l'informe qu'il peut lui dire qui a tué son frère. Elle lui dit de passer par derrière, elle va l'attendre sous les arches. Sun obéit et il est attaqué par trois nervis. Il se défend plutôt bien en en assommant un d'entrée de jeu. Un autre a sorti un couteau et malgré son esquive, Sun se retrouve avec une estafilade superficielle à la joue, puis une autre au ventre. Il ramasse un tuyau que maniait un de ses agresseurs et s'apprête à les dérouiller, quand Royola l'interrompt. Il lui explique qu'il a besoin de son aide pour éliminer Jessica Blandy.
Le lecteur revient en sachant qu'il va assister à un nouveau carnage avec des tueurs assez particuliers. Soldier Sun reste un individu d'une quarantaine ou cinquantaine d'années, en excellente forme physique, sans un iota d'empathie pour les autres êtres humains, tuant de manière efficace et raisonnée : un professionnel rapide et compétent. Sa fille Agripa est tout aussi compétente, mais voue un culte à son père, relation malsaine quasi incestueuse. La coupe de cheveux de Blanche est toujours aussi impeccable, et son obsession pour les seringues est toujours aussi morbide. Elle montre, elle aussi, un signe de déséquilibre mental, en plus de tuer avec facilité. Comme à son habitude, Renaud aime bien dessiner les jolies femmes et le scénariste lui a cousu un récit sur mesure. Le lecteur retrouve donc Jessica Blandy le temps de courtes séquences : 6 pages sur un total de 54. Elle est toujours aussi svelte, avec un caractère posé, en étant ferme dans ses décisions. Elle ne change de toilette qu'une seule fois : 2 robes d'été. Agripa est habillée comme une allumeuse, comme une petite fille qui joue avec ses charmes. Anita Royola change de toilettes plus régulièrement, passant d'un jean avec un haut d'été, à un bikini riquiqui qu'elle n'hésite pas à enlever devant trois de ses hommes de main qui ne ressentent alors qu'une forte crainte, dépourvue de toute concupiscence.
Avec les assassinats vient la violence, une composante présente depuis le début de la série. Cela commence dès la planche 5, avec cet individu enterré vivant, et ce jeune adolescent qui ne parvient pas à le regarder en face alors qu'il jette une pelletée de terre sur lui, et cet autre adolescent qui le menace d'une arme à feu. Ça continue avec le test de Soldier Sun : coups de poing, nez cassé, estafilade avec un couteau, coup de pied : les dessins de Renaud son factuels et secs comme à son habitude, avec une mise en scène qui établit la logique des déplacements de chacun, l'enchaînement des coups de ces 4 bagarreurs. Par la suite, Soldier Sun loge une balle dans la rotule d'un homme de Royola : du sang, une douleur intense visible sur le visage de l'homme au point qu'il est étonnant qu'il ne s'évanouisse pas. C'est d'ailleurs une des caractéristiques du scénario que de concevoir des moments visuels marquants, même en exagérant un peu la situation. Cela se remarque, parce que pour le reste la narration visuelle s'inscrit dans un registre naturaliste avec une légère touche touristique. Ainsi le lecteur éprouve des difficultés à croire qu'Anita va vraiment se baigner pour aller contempler des cadavres lestés de pierre en train de se décomposer dans l'eau. De même la pente du promontoire rocheux depuis lequel elle plonge semble un trop incliné pas assez à pic pour qu'elle ne risque pas de tomber sur les rochers plutôt que dans l'eau. Il en va de même pour Anita se tenant nue sur une plage après sa baignade, devant ses hommes de main, ou Salina Santilla contemplant des piments en train de sécher, en écho au surnom d'Anita Royola.
Jean Dufaux traite la psychologie de ses personnages un peu de la même manière. Déjà dans le tome précédent, il n'était pas facile de croire à la plausibilité de la relation entre Agripa et son père : l'admiration quasi incestueuse d'elle pour lui, le fait qu'il fasse équipe avec elle, la mettant en danger, et ayant une partenaire compétente mais aux réactions parfois immatures, ou étranges. Dans ce deuxième tome, il fait de même pour Anita et son admiration sans borne pour son père décédé. D'un côté, le lecteur veut bien se laisser entraîner parce qu'il a déjà eu l'exemple d'Agripa sous les yeux, et que ça fait partie implicitement de la suspension d'incrédulité consentie. D'un autre côté, il aurait apprécié que le scénariste prenne deux ou trois cases supplémentaires pour développer cette adulation de manière à la rendre plus fondée.
À ce rythme, il se dit que Blanche est partie pour révéler une relation du même type dans le prochain tome. Passé ces détails plus ou moins sensibles pour le lecteur, il se plonge dans la traque menée par Soldier Sun et sa fille pour éliminer Salina Santilla, comme cela avait été annoncé dans la dernière page du tome précédent. Ce personnage est apparu pour la première fois dans Jessica Blandy, tome 6 : Au loin, la fille d'Ipanema (1990), une aventure particulièrement éprouvante pour Jessica, et elle était revenue dans Jessica Blandy, tome 18 : Le Contrat Jessica (2000). Dans le même temps, les deux dernières apparitions de Jessica se déroulent au temps présent et le lecteur peut apprécier qu'elle aille mieux, qu'elle soit dans une phase constructive : elle a arrêté de boire, et elle veut retrouver son fils adoptif. Le lecteur se plonge donc avec plaisir dans la suite de cette histoire, bien tordue, avec des personnages abîmés et dangereux… jusqu'à la dernière page. Il reste interdit devant Soldier Sun décidant de ne pas éliminer Jessica Blandy dans l'avant-dernière page, en découvrant la suite de la liste des contrats dans la dernière page.
Pour le lecteur qui a suivi la série depuis le premier tome, c'est toujours un plaisir de retrouver les magnifiques planches de Renaud, toujours aussi convaincant pour représenter les femmes fatales, et pour emmener le lecteur dans des endroits magnifiques : la ville de Taxco sur un flanc de montagne, le marché alimentaires et ses étals, les arches du jardin de Royola, des plages pour touristes avec un bon budget, une plage privée, le car traversant un désert avec ses cactus, les piments à sécher, le magasin de vêtements, etc. Les scènes de violence sont malsaines à souhait, pour peu que le lecteur accepte de consentir un petit peu plus de suspension d'incrédulité, ou d'y mettre un peu du sien. Le récit exhale alors les saveurs vénéneuses que le lecteur est venu chercher.
Le Mexique et toute sa violence, surtout celle de ces gangs... Je me souviens qu'on avait déjà discuté des lieux qui appartenaient aussi aux histoires de cette série, les multiples visages de l'Amérique au sens large, y compris Cuba et le Mexique.
RépondreSupprimer"À ce rythme, il se dit que Blanche est partie pour révéler une relation du même type dans le prochain tome." Pour un peu, on pourrait presque avancer qu'il s'agit d'une trilogie composée sur le thème des relations perverties père-fille et des dérives de celles-ci.
"C'est toujours un plaisir de retrouver les magnifiques planches de Renaud" [...] "le marché alimentaires et ses étals". En effet ! Cette planche avec un travelling arrière en contre-plongée en trois cases est épatante. Mais la couleur me semble un peu fadasse ; le rouge des piments que je vois d'ordinaire est beaucoup plus écarlate. Assez curieusement, c'est pourtant le titre de l'album.
Les multiples visages de l'Amérique au sens large : la formulation au sens large pme paraît bien adaptée. Dufaux intègre dans la mythologie des Etats-Unis la région frontalière du Mexique et Cuba.
SupprimerJ'avais pensé à cette composante des relations perverties père-fille : malgré tout Dufaux ne parvient pas à les rendre substantielles à mes yeux.
Renaud aime les couleurs un peu pâles, un peu passées, dans les pages intérieures. je m'y suis habitué, raison pour laquelle je n'ai pas prêté attention au rouge piment.