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jeudi 22 juillet 2021

La route Jessica - Tome 1 - Daddy!

Comprendre ce qui se cache derrière les apparences.


Ce tome fait suite à la série Jessica Blandy qui s'est achevée avec Jessica Blandy, Tome 24 : Les gardiens (2006). La première édition de cette bande dessinée date de 2009. C'est la première partie d'une trilogie réalisée par les mêmes auteurs que la série Jessica Blandy ; Jean Dufaux pour le scénario et Renaud (Denauw) pour les dessins et les couleurs. Elle compte 54 planches.


Dans un bel appartement avec balcon de Miami, par une belle fin d'après-midi ensoleillée, Agripa, une belle jeune femme nue, appelle son père Soldier Sun pour l'informer que tout s'est passé comme prévu, et qu'elle peut se débrouiller toute seule pour se débarrasser du corps, car il y a une pièce dans l'appartement où le locataire entrepose son matériel de bricolage. Elle va y trouver ce dont elle a besoin, mais ça va prendre du temps. Elle va commencer par les yeux car elle est superstitieuse : elle a toujours l'impression qu'ils la regardent quand elle travaille, ce qui la rend fébrile, peu sûre d'elle. Son père lui intime de se mettre au travail, et d'arrêter de se plaindre car elle sait bien que ça l'agace, et il ne voudrait pas la punir à nouveau. D'une voix hésitante, elle lui répond qu'elle aime bien quand il la punit. Soldier Sun raccroche et accepte le cocktail que lui apporte Molly, une belle femme blonde. Il en prend une gorgée et ils font l'amour.


Adam Pendler se trouve dans l'étude de Jeremy Cuzak et lui remet le dossier qu'il a constitué sur Jessica Blandy. Tout se trouve dans ce dossier, l'enquête s'est étalée sur plus de six mois. Certains témoignages se recoupent, d'autres ne mènent à rien. Il y a deux ans, miss Blandy a quitté New York. Elle était accompagnée de Gus Bomby, un ancien détective privé à qui on a retiré sa licence. Elle semblait souffrir de troubles psychiques assez graves qui nécessitaient une analyse suivie. Elle s'est adressée pour cela au docteur Bernardht qui possède un cabinet sur a cinquième avenue. Jusqu'au jour de son départ, elle s'y est rendue régulièrement, à raison de deux visites par semaine. Dans le dossier, se trouvent les premiers entretiens de Bernardht avec sa patiente. Il y a également un feuillet écrit par le psychothérapeute après le départ de sa patiente évoquant le fait que Jessica a recouvré la vue. Pendler continue : le soir même, une voiture a renversé Elisabeth, l'épouse de Bernardht, alors qu'elle se rendait au théâtre. Elle a succombé à ses blessures pendant son transport à l'hôpital, c'était un samedi. Pendler conclut : il a retrouvé la trace de Bernardht. Ce dernier se trouve à Miami, et il vient d'envoyer un de ses agents à l'appartement qu'il a loué sous le nom de J.H. Bains. L'individu toque à la porte et c'est Agripa qui lui ouvre en peignoir de bain. Il fait en sorte de rentrer à l'intérieur et parvient jusqu'à la chambre à coucher où il découvre les giclées de sang qui maculent les murs. Interloqué, il se retourne vers la jeune femme : elle tient une tronçonneuse d'une main ferme et assurée.



Après avoir réalisé ensemble une série en 3 tomes Vénus H. (2005-2008), Renaud & Dufaux reforment leur tandem pour revenir au personnage dont ils avaient réalisé 24 tomes de 1987 à 2006. Le début de récit fait comprendre que Jessica Blandy ne sera pas présente au centre du récit : elle n'apparaît effectivement que dans 5 pages. Au lieu de cela, le lecteur fait connaissance avec Adam Pendler, un détective, travaillant pour Jeremy Cuzak, lui-même travaillant pour monsieur Carrington qui veut mettre la main sur la jeune femme car il est convaincu qu'elle détient le secret de l'immortalité. Ce n'est pas la première fois qu'un élément surnaturel est inclus dans une aventure de cette héroïne. Il est d'ailleurs rapidement fait allusion à un autre élément de ce type : le personnage de Razza, déjà présent ou dont la présence se faisait sentir dans les tomes 15 à 17. Les notes du psychothérapeute indiquent que Jessica a également ressenti son influence dans les tomes 23 & 24. Certains éléments de la vie passée de l'héroïne sont évoqués, mais finalement il est possible de suivre l'intrigue sans rien en perdre, même sans avoir lu les tomes correspondants. Même la prise de contact avec Earl Memphis ne nécessite pas d'avoir lu Jessica Blandy, tome 16 : Buzzard Blues (1999) pour comprendre l'enjeu. En revanche, dans ce cas-là, le personnage semble un peu superficiel.


Malgré l'absence du personnage principal, le lecteur retrouve les principales caractéristiques de la série initiale, à commencer par les dessins précis et la sensation de se rendre dans plusieurs lieux chacun avec leurs caractéristiques propres. Renaud conjugue le détourage des éléments avec un trait encré fin et précis, et une mise en couleur à l'aquarelle, venant compléter chaque surface selon la méthode de la couleur directe. Alors qu'Agripa appelle son père, le lecteur voit le balcon de l'appartement à l'avant dernier étage d'un immeuble, apposé à une case d'une belle grande plage avec un unique palmier, et un grand parasol abritant un fauteuil dans le lointain, tout le contraste des cités bétonnées en bordure de mer, et d'un grand espace naturel. D'une séquence à l'autre, il peut ainsi apprécier l'aménagement de l'appartement de J.H. Bains, le luxe du bureau de Jeremy Cuzak avec les meubles (de magnifiques pieds en forme de rapace pour le bureau lui-même) et les colonnes décoratives, un petit pont au-dessus d'un ruisseau dans un parc, l'étendue gazonnée devant la mer avec les flamants roses, l'intérieur d'un club de jazz avec une fresque carrelée et des motifs de flamants roses, le cabinet très lumineux du psychothérapeute avec le paravent, les rues pleines de piétons de Miami, quelques pièces de la villa des Cuzak, etc. Comme d'habitude, il prend le temps de regarder les images car l'artiste ne se contente pas de poser des meubles et des décorations, du tout-venant ou du préfabriqué industriel : il fait œuvre de décorateur avec du goût. Il montre des lieux plausibles et habités, aménagés par des individus avec une personnalité, et attentifs à leur lieu de vie. De même, le lecteur peut prendre le temps de jeter un coup d'œil aux figurants : les jeunes hommes faisant un peu de musculation croisés par Agripa et son père, les clients du club de jazz, les anonymes sur les trottoirs, tous vêtus différemment, tous occupés avec leur interlocuteur, ou perdus dans leurs pensées.



Régulièrement, le regard du lecteur est attiré par un détail : le motif de chat sur le mur derrière un lit, les dents de la tronçonneuse, les nénuphars sur une pièce d'eau, les essences de végétaux correspondant bien à la flore de cette région du monde, un modèle de voiture, les copeaux de bois dans un grand pot de fleurs pour protéger la terre, la coupe de cheveux de Blanche, les lignes électriques aériennes et leurs poteaux, des modèles de chaussure dans une vitrine, etc. Renaud donne à voir bien plus que le strict nécessaire, sans le faire de manière ostentatoire ou démonstrative, sans alourdir la narration visuelle. Le lecteur éprouve la sensation d'évoluer dans chaque endroit, en côtoyant des personnes plausibles, différenciées, et souvent pas commodes. La mise en couleurs naturaliste apporte une ambiance lumineuse adaptée à chaque endroit, chaque moment de la journée, ainsi qu'un peu de relief, des ombres portées discrètes, à nouveau sans alourdir les cases, en phase parfaite avec les traits encrés. Le lecteur retrouve d'autres caractéristiques de la série initiale : des femmes parfois dévêtues, des relations sexuelles, des individus bien dérangés, des meurtres sadiques. D'ailleurs ça commence avec une jeune femme qui s'apprête à se débarrasser d'un cadavre à la tronçonneuse.


Le lecteur ne sait pas trop quoi attendre de cette histoire en trois parties. Il espère que cette nouvelle saison bénéficie d'une direction plus consistante que la fin de la série initiale. Il retrouve quelques-uns des tics d'écriture du scénariste, à commencer par le goût pour les scènes choc, même s'il vaut mieux ne pas trop s'interroger sur leur plausibilité. Il est peu probable qu'un individu louant son appartement, y stocke une tronçonneuse, une scie sauteuse en les laissant libres d'usage du locataire. Passée cette incongruité, le récit revient à des situations plus faciles à accepter. Un riche individu souhaite retrouver Jessica Blandy coûte que coûte et une deuxième faction rivale est tout aussi motivée pour y arriver avant, en faisant le nettoyage par le vide. Le lecteur retrouve ces individus ayant une représentation de la réalité en décalage avec la sienne, et avec ce qui passe pour être la normalité : monsieur Carrington faisant enfreindre les lois à ses employés grâce au pouvoir de son argent, Soldier Sun & sa fille Agripa assassinant sans vergogne. Même s'il ne donne pas accès aux pensées de ces deux personnages, le scénariste parvient à montrer la monstruosité de leur relation, sa dynamique malsaine et toxique, l'emprise du père sur sa fille totalement fascinée par son aura, et profitant de la validation que lui donne cette autorité pour tuer autrui. Le lecteur ne peut pas résister à la fascination morbide de voir ces individus agir pour atteindre leur objectif, débarrassés de toute empathie, se comportant de manière monstrueuse avec autrui, sans devoir supporter le moindre remord, la moindre once de culpabilité.


Pas sûr que le lecteur soit attiré par une couverture aussi sensationnaliste et racoleuse, pour découvrir une saison supplémentaire d'une série dont le personnage principal en est quasiment absent. S'il a lu la série initiale, un simple coup d'œil à l'intérieur suffit à lui faire sauter le pas : les pages sont magnifiques, et l'implication de Renaud est totale. Puis il apprécie de retrouver certains éléments constitutifs de la série initiale à commencer par les meurtres sadiques, les relations sexuelles, les individus pas très bien dans leur tête. Il ne sait pas trop s'il a envie de retrouver Jessica Blandy qui a l'air d'avoir réussi à laisser derrière elle une partie de ses traumatismes. En revanche il a retrouvé la sensation dérangeante provoquée par ces prédateurs efficaces et monstrueux.



2 commentaires:

  1. L'artiste "ne se contente pas de poser des meubles et des décorations, du tout-venant ou du préfabriqué industriel : il fait œuvre de décorateur avec du goût." J'adore cette remarque, c'est tellement vrai ! Et c'est souvent là où l'on voit jusqu'à quel point peut aller le goût d'un artiste. C'est une réflexion qui me vient souvent à l'esprit lorsque je lis un "Tif et Tondu" ; on en avait déjà parlé. Ça m'a également marqué à la lecture du "Sursis", de Gibrat. Beaucoup d'autres exemples me viennent à l'esprit.

    "Il est peu probable qu'un individu louant son appartement y stocke une tronçonneuse, une scie sauteuse en les laissant libres d'usage du locataire." Je dois avouer que je n'ai pas pu réprimer un sourire à la lecture de cette phrase. Cela dit, bien vu ; je me demande si j'aurais capté cette invraisemblance à la lecture de cette case.

    Une "saison supplémentaire d'une série dont le personnage principal en est quasiment absent." En gros, c'est "Jessica Blandy", mais sans Jessica Blandy, ou presque, car tu soulignes qu'elle apparaît dans cinq planches. Finalement, les vrais sujets de la série (faut-il dorénavant parler de franchise ?) sont les éléments que tu cites en conclusion : "les individus pas très bien dans leur tête" et "ces prédateurs efficaces et monstrueux".

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    1. Je me souviens de ta remarque sur Tif & Tondu. En fait c'est en lisant autant de comics que j'ai fini par remarquer à quel la plupart des dessinateurs ne prêtent pas attention à la cohérence spatiale. Dernier exemple en date : une bataille de grande ampleur en plein cœur de Manhattan, et aucun building de représenté en arrière-plan, aucune sensation d'un espace réduit. Du coup, quand c'est bien fait, ça me saute aux yeux. Pareil pour un aménagement de pièce où les personnages interagissent de manière normale avec les accessoires, se déplacent en fonction de l'agencement des meubles.

      La tronçonneuse : ça découle directement de la représentation réaliste et logique de Renaud. Vivant en appartement, je ne me vois pas stocker une tronçonneuse dans la chambre de mon fils.

      Le sujet réel de ces trois tomes : je pense qu'il me faudra l'apprécier à l'aune de l'histoire complète, car les auteurs ont annoncé dès le premier que c'est une trilogie.

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