Ce tome fait suite à Algernon Woodcock T04: Sept cœurs d'Arran (2de partie) (2005). Pour pouvoir
comprendre tous les éléments de l'intrigue, il faut avoir commencé la série au
premier tome. Il a été publié pour la première fois en 2007. Les planches de
cet album sont numérotées 1 à 72. Il a été réalisé par Mathieu Gallié dont le
travail est qualifié de traduction et adaptation, et par Guillaume Sorel pour
les dessins et les couleurs.
Une demoiselle arrive en fiacre devant
une belle demeure. Elle descend et est accueillie par le majordome. Elle montre
son pendentif en forme de cœur rutilant : il comprend que c'est bien elle qu'il
a été chargé d'introduire. Elle pénètre dans un vestibule imposant. Il la
débarrasse de son manteau et lui indique que le maître est occupé dans ses
appartements. Il lui demande de bien vouloir l'attendre dans le boudoir, et
cela ne devrait pas être long. La demoiselle pénètre dans une pièce spacieuse,
avec un canapé, une toile sur un chevalet, et un petit bureau. Au cœur des
monts écossais, une cavalière avance dans la brume, montant vers un point
culminant où se trouve une tour, comme une île au-dessus de la brume qui noie
tout le reste du paysage. Deirdre appelle l'individu qu'elle est venue trouver
: Segwarides. Une silhouette finit par apparaître et passe sous une arche. Son
interlocuteur lui assure qu'elle n'aura pas besoin de son épée, qu'elle a
raison de penser que l'endroit n'est pas le mieux choisi et qu'elle a le droit
de se montrer méfiante. Mais il l'assure qu'elle n'a rien à craindre : il sait
de qui elle est l'envoyée, et il n'a aucune envie d'affronter un danger pire
que celui qu'il fuit. Il ajoute que c'est lui qui a supplié pour qu'on lui
envoie quelqu'un. Dame Deirdre rappelle que son message n'était pas très
explicite, et qu'elle n'hésitera pas à passer à l'attaque au moindre geste
suspect.
Après plusieurs phrases dilatoires, Segwarides
rentre dans le vif du sujet : il sait que Dame Deirdre et les autres sont à la
recherche d'Alisandre le Bel. Un individu vraiment beau, mais aussi renégat,
perfide, félon, trompeur, parjure, lui qui fut le véritable et unique artisan
du lien. Il revient alors à cette nuit où le conseil des cinq races a été
convoqué par Keridwen pour statuer sur leur éventuel départ définitif de ce
monde. Dame Deirdre doit certainement se souvenir de ce qu'il s'est passé après
que toutes les voix discordantes n'ont pu trouver un accord, lorsque, malgré
cet échec, la reine fit servir ce cordial qui devait sceller ce simulacre
d'entente en donnant libre cours à chacun de choisir son destin. Elle doit se
souvenir également de ce qui se produisit à l'instant même où leurs lèvres
goutèrent ce cordial. Mais bon, tout ceci est du passé. Pendant ce temps-là, la
demoiselle s'est approchée d'un petit placard présent dans le boudoir et l'a
ouvert. Segwarides était présent pour le procès de la reine, sous le grand
chêne. Il a entendu la déclaration d'Alisandre le Bel. Il a vu l'exécution de
la sentence quand le roi Arran a plongé sa main dans la poitrine de sa propre
femme et lui a arraché son cœur, quand la reine a eu le temps de regarder
Alisandre droit dans les yeux.
Après l'intensité du précédent diptyque, le lecteur revient alléché par cette couverture qui semble promettre des révélations sur l'identité et la nature de ce mystérieux chat-mage. Il comprend rapidement qu'Alisandre le Bel n'est pas ce chat. Il se rend compte également qu'Algernon Woodcock ne participe pas à cette aventure, sauf sur une page, ce qui est un peu paradoxal vu qu'il s'agit de sa série. En fait les auteurs approfondissent un élément au cœur de la mythologie de leur série. Ils reviennent donc sur le cœur d'Arran, titre du précédent diptyque, et plus précisément sur le cœur de la reine Keridwen. Il est fait mention d'elle, et le lecteur retrouve également d'autres personnages de la série dont Ontzlake Browne et donc le chat-mage pour deux pages. Mais en fait au bout de trois pages, il se retrouve happé par les mystères et par les planches magnifiques, constatant qu'il est pleinement satisfait de retrouver le travail de ces deux créateurs, même si le personnage principal n'est pas de la partie. Le scénariste continue de se montrer discrètement facétieux avec un personnage prononçant trois petites phrases qui font écho au fait que Gallié et Sorel sont eux-mêmes en train de raconter une histoire : Je pense que cette modeste contribution à la narration de ce qui s'est réellement passé ici vous éclairera mieux que de longs discours. Bien entendu, vous voudrez pardonner la maladresse et la grossièreté du trait. Mais je n'ai pas la prétention d'oser comparer mon talent à celui d'Alisandre.
Le récit est découpé en deux parties
distinctes : dans la première Deirdre écoute Segwarides raconter son histoire,
pendant que la demoiselle rencontre Alisandre, dans la seconde Deirdre et
Browne investissent la demeure d'Alisandre pour récupérer le cœur. Les auteurs
emmènent le lecteur au contact d'êtres féériques présents au cœur de l'Écosse.
Dès la première page, l'enchantement est total, grâce aux magnifiques pages
peintes. Le lecteur est immédiatement projeté devant ce manoir, en début de
soirée, avec des teintes amalgamant un bleu nuit avec un vert profond, celui de
la nature. Tout du long de ces 72 planches l'artiste combine des formes
détourées par un trait encré avec de la couleur directe pour des visuels
saisissants. Sur cette première page, la couleur directe permet d'apporter la
texture mouillée avec un peu de mousse sur les pierres composant l'allée pavée
qui mène au manoir, d'évoquer l'ombre des arbres en arrière-plan, l'aspect
luisant de la grille en fer forgée, la texture composite du sol devant
l'entrée. Au fil des séquences, le lecteur prend soin de ralentir sa lecture
pour savourer des visuels rendus encore plus extraordinaires par la peinture :
la brume envahissant les pentes rocheuses ou le blanc devient couleur, la
texture des nuages avec seul le sommet de la colline qui émerge planche 9 comme
une île, un endroit coupé du reste du monde réel. Alors que Segwarides évoque
la fameuse nuit, Sorel reprend l'idée des êtres féériques en blanc se détachant
sur le bleu nuit, soulignant ainsi leur caractère surnaturel. Le rouge des
draperies du boudoir forme les plis et les replis, et répond au rouge du cœur
de Keridwen. Ce motif rouge est repris en plus carmin quand Alisandre finit par
se précipiter sur son invitée, puis quand Deirdre et Browne se déchaînent contre
les gobelins, devenant alors expressionniste pour matérialiser la fureur des
combattants.
L'artiste joue un peu avec la mise en page. Le lecteur retrouve le principe d'une case occupant le quart supérieur de deux pages en vis-à-vis, pour un effet panoramique élargi, mettant en valeur le décor naturel. Lorsque Segwarides raconte son histoire, le quart inférieur de certaines pages montrent les gestes de la demoiselle chez Alisandre, pour établir un lien entre les fils narratifs. Lorsqu'il évoque le massacre des gobelins, le dessinateur passe en mode peinture rupestre pour montrer celle qui a été réalisée en commémoration de cet événement funèbre dans la planche 26. À plusieurs reprises, la narration se fait sans aucun mot : pour la beauté d'un paysage quand Deirdre approche du but de son voyage, pour les affrontements sauvages contre les gobelins zombies, le lecteur éprouvant alors l'impression d'être hypnotisé par la beauté et la sensibilité des pages. Les deux pages où apparaissent le tisseur et le faucheur diffusent une énergie surnaturelle fascinante et inquiétante. Encore une fois la narration visuelle transporte le lecteur dans cet endroit du monde où le lien avec la féérie n'est pas entièrement rompu, lui faisant ressentir ce terrible merveilleux.
Le scénariste a donc décidé de raconter
une autre facette de ce qui est arrivé à Keridwen, mystère qui était déjà au
cœur du diptyque précédent. D'une certaine manière, il revient au principe des
deux tomes des Contes de Hautes Terres, sauf qu'ici
Woodcock n'en est même par le narrateur. Pour autant, le lecteur ne se sent pas
floué car ce récit vient compléter ce qu'il avait appris sur le cœur de la
reine, et il développe d'autres éléments de la mythologie à laquelle Woodcock a
été exposé. Outre la reine, il est également question du roi, du rôle
d'Alisandre dans ce drame, et du très mystérieux chat-Mage. Le lecteur voit
également deux Sème-la-mort à l'œuvre, et apprend qu'ils auraient pu être
accompagnés d'un tisseur, un autre élément de la mythologie. Il a la surprise
de retrouver Browne, mystérieux personnage du diptyque précédent, et il en
apprend plus sur lui. Enfin d'autres races sont évoquées, tels que les
gobelins. Il voit aussi comment le petit peuple applique sa justice.
Effectivement au bout de trois pages, le lecteur a complètement oublié Algernon
Woodcock et ne s'intéresse qu'à cette histoire focalisée sur plusieurs
créatures surnaturelles, répondant finalement à son attente qu'elles soient plus
présentes que dans les tomes précédents.
Je dois avouer que la couverture me laisse pantois. Voilà un superbe félin, dont le regard semble traduire une certaine forme d'humanité ; ça en serait presque perturbant. Je suppose que c'est Guillaume Sorel qui a aussi réalisé les couvertures ?
RépondreSupprimer"Dilatoire" : Merci d'enrichir mon vocabulaire. Il faudra que je trouve une occasion de le placer, celui-là ☺ !
"Dès la première page, l'enchantement est total, grâce aux magnifiques pages peintes." Voilà un très, très beau paragraphe, qui matérialiserait presque les éléments que tu décris. Gouache ou aquarelle, à ton avis ?
C'est curieux, ton avant-dernier paragraphe semble beaucoup plus dense dans la forme ; les caractères y sont bien plus serrés que dans les autres et ça pique un peu aux yeux. Une différence involontaire de fonte ?
Guillaume Sorel réalise ses propres couvertures, et je suis tombé sous le charme de celle-ci. Je n'en ai pas voulu aux auteurs que cette couverture n'ait que peu de rapport avec l'histoire racontée, car ce chat n'est pas Alisandre le bel.
SupprimerGouache ou aquarelle ? Comme ça sans réfléchir, j'aurais dit gouache, mais j'ai fini par me rendre compte, en regardant des vidéos, que les artistes combinent souvent plusieurs techniques pour nourrir leurs dessins, par exemple peinture + crayons de couleurs. Au vu de la richesse de chaque planche, je reconnais bien volontiers que je suis incapable de déterminer les outils utilisés.
L'avant-dernier paragraphe : j'ai été tenté de m'arracher les cheveux, mais il ne m'en reste déjà pas énormément. Je me suis aperçu de ce décalage après avoir posté, à ceci près que sur mon écran, c'est le dernier paragraphe qui semble être dans une police plus petite. J'ai repris tout ça une première fois en sélectionnant l'intégralité du texte et en appliquant, la même police, la même taille de caractère, le même format de paragraphe... et rien n'y fait. Je viens de le refaire, mais je n'ai pas beaucoup d'espoir.