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vendredi 6 août 2021

L'Onde Dolto 1/2

Le danger serait de croire à des solutions toutes faites.


Ce tome et le premier d'un diptyque consacré à la vie de Françoise Dolto (1908-1988), quand elle animait l'émission de radio Lorsque l'enfant paraît, sur France Inter. Sa première édition date de 2019. Cette bande dessinée a été réalisée par Séverine Vidal pour le scénario, Alicia Jaraba pour les dessins et les couleurs, avec la participation de Catherine Dolto, la fille de la psychothérapeute.


À Antibes, en août 1976, Françoise Dolto est en train de préparer une citronnade dans la cuisine avec sa fille Catherine qui prend le café, attablée. Une fois prêtes, elles sortent dans le jardin pour apporter la boisson et les verres sur la table du jardin, son époux Boris étant en train de lire dans une chaise longue. Françoise évoque le fait que France Inter lui ait proposé de réaliser une émission de radio quotidienne, mais qu'elle ne se voit pas renoncer à ses consultations. Elle se souvient encore de l'émission à laquelle participait sur Europe 1, entrecoupée de publicités intempestives. Sa fille lui fait remarquer qu'il n'y a pas de coupures de publicité sur France Inter : sa mère est catégorique, c'est non. En septembre 1976, Pierre Wiehn, le directeur de Radio France, l'appelle pour discuter du projet avec elle : elle explique quelles seraient ses conditions si elle acceptait. Un fois le coup de fil terminé, elle va demander l'avis de son époux et elle trouve qu'il ne l'aide pas beaucoup. Sa fille arrive et entre dans le salon, tout en écoutant. En réfléchissant à haute voix, Françoise a fini par changer d'avis et par se décider à accepter cette émission. Elle se fera sur la base de lettres envoyées par des parents, et sa fille supervisera le courrier, ainsi que les réponses.



En octobre 1976, en marchant dans la rue, Françoise Dolto explique l'organisation de l'émission. Sa fille s'occupera du courrier, car elle tient à ce que les auditeurs n'interviennent pas en direct, mais écrivent. En mettant les choses noir sur blanc, ils commencent à réfléchir, à travailler. Catherine triera les lettres par thème et les résumera, et elles répondront à tout. Chaque personne qui aura écrit sera prévenue du jour où ils répondront à sa lettre à l'antenne. L'émission dure trois heures chaque après-midi, et sa rubrique environ dix-douze minutes. Elle aura un jeune journaliste avec elle : Jacques Pradel, un débutant très sympathique paraît-il. Son rôle sera de présenter le courrier du jour, de raconter ce qui dit la lettre, puis elle répondra et ils échangeront. Ce sera un dialogue, plutôt qu'une psychanalyse radiophonique. Elles arrivent à l'immeuble où se trouve le cabinet de consultation et le journaliste les salue car il est arrivé en même temps qu'elles au pied du bâtiment. Une fois dans le cabinet, il dit toute son admiration pour le franc-parler de la psychanalyste, tout ce qu'elle a mis en place autour de la psychanalyse des enfants. Elle répond que le titre de l'émission lui plaît beaucoup : Lorsque l'enfant paraît. Jacques ajoute qu'il s'agit d'une idée de Jean Chouquet, conseiller des programmes.


Ce premier album d'un diptyque raconte la première année de l'émission Lorsque l'enfant paraît, diffusée sur France Inter, au cours de laquelle la psychanalyste Françoise Dolto répond à des questions rédigées par des parents et envoyées par courrier. C'est le format qu'elle a elle-même choisi. Le récit se partage en deux types de scènes : celles correspondant à la vie de la psychanalyste autour de l'émission et trois séquences de souvenirs d'enfance, et celles mettant en scène le courrier d'une auditrice et la réponse de Dolto par le biais d'une discussion avec le coanimateur Jacques Pradel. L'artiste a choisi de réaliser des dessins doux, agréables à l'œil, avec une forme de simplification et d'exagération de certaines émotions, que ce soient celles des enfants sans filtre, ou celles des parents éprouvant des difficultés à élever leur progéniture. Il peut également s'agir de l'enthousiasme des adultes écoutant l'émission de radio. Ainsi le lecteur peut voir l'entrain des jeunes enfants et leur énergie qui semble inépuisable, un acte agressif tel que la morsure d'un autre enfant, la sérénité absolue de l'enfant en train de dormir, sa colère figurée par des dents en pointe (un code graphique emprunté aux mangas), le rire franc des enfants en train de dire des gros mots, le rouge qui monte à la figure de la mère en même temps que la colère, le désarroi quand le parent ne sait pas comment faire (avec une goutte proche du front, un autre code manga), sans oublier la tendresse sans réserve entre l'enfant et son parent.



L'apparence douce et gentille des dessins n'obère pas la qualité et la densité de la narration visuelle. Alicia Jaraba réalise des dessins descriptifs avec un bon niveau de détails. Elle recrée les deux époques concernées par le récit : l'année allant de l'automne 1976 à l'été 1977, ainsi que les souvenirs d'enfance de Françoise coloriés en sépia pour marquer la différence. En fonction de sa familiarité avec la fin des années 1970, le lecteur peut reconnaître certains types de vêtements (les robes et les jupes de Dolto, identiques à celles qu'elle porte sur les photographies), le matériel à bande pour enregistrer les émissions dans le cabinet de la psychologue, la machine à écrire de Blanchette, un numéro de Paris-Match évoquant le divorce de Donna Summer (1948-2012), le tourne-disque. En revanche, il n'est pas bien sûr que les voitures correspondent à des modèles ayant vraiment existé. La dessinatrice représente également avec soin l'immeuble abritant le cabinet de Dolto, ainsi que sa villa d'Antibes. Le lecteur aimerait bien pouvoir se détendre à l'ombre des arbres du jardin, et siroter lui aussi la citronnade à l'ombre.


La représentation des individus, adultes comme enfants, montre des personnes sympathiques, même quand elles s'énervent, sans forme de critique ou de mépris, et souvent avec le sourire. De ce point de vue, les autrices ont fait en sorte d'appliquer l'un des principes de vie de la psychanalyste : ne pas juger les gens, ne pas avoir d'opinion personnelle autour de ce que les gens lui exposent. Dans un premier temps, le lecteur peut trouver cette approche un peu insipide, sans réelle tension autre que les conflits entre parents et enfants, sans beaucoup de critique. D'un autre côté, il s'agit avant d'exposer ce qu'était cette émission, comment elle a été conçue et pourquoi elle a été conçue comme ça, et d'évoquer plusieurs sujets de ces émissions. Le lecteur peut ainsi voir expliqué en des séquences d'une à quatre pages les thèmes suivants : l'arrivée d'un bébé, un enfant qui pleure vers 17h00, l'importance de parler au bébé, la fatigue et l'énervement du parent, la jalousie de la plus jeune pour l'aînée, la fessée, la jalousie, l'obéissance, ranger sa chambre, l'heure du coucher, les gros mots, l'apprentissage de la propreté (vers deux ans et demi), le sommeil (et la contestation d'une auditrice sur les recommandations faites), l'arrivée d'un deuxième bébé, l'âge pour parler (avec un développement sur le fait que tout est langage chez le bébé), la mort, les relations avec les grands-parents, les jumeaux, une famille bilingue, un enfant autiste.



S'il connaît déjà un peu l'œuvre de Françoise Dolto, le lecteur retrouve ses principaux thèmes : l'enfant est une personne, tout est langage, le parler vrai. Sinon, il bénéficie d'une présentation en exemple des idées qu'elle a apportée dans la thérapie avec l'enfant, dans la manière de le considérer et de dialoguer avec lui, de l'élever. Les autrices résument son positionnement ainsi : les enfants ont besoin d'être accueillis par la société aussi bien à la naissance qu'à chaque stade de leur développement ensuite. Plus tard ce seront des citoyens. Le lecteur en apprend un peu sur la vie personnelle de Françoise Dolto : la mort de sa sœur, la réaction de sa mère, sa propre éducation, l'éducation de ses enfants, son internat à l'hôpital des enfants malades et sa découverte des modalités de leur traitement par les médecins, surtout ceux qui avaient des difficultés psychologiques. Au fil des séquences, le lecteur éprouve l'impression de lire une hagiographie, ou en tout cas un ouvrage ne présentant la psychanalyste que sous un angle positif. En 1976, elle est âgée de 68 ans et a déjà accompli la quasi-intégralité de sa carrière. Ses principales idées sont arrivées à maturité et ont été exposées dans de nombreuses institutions. Elles ont été validées par l'expérience, et acceptés par les milieux spécialisés. Il est donc légitime que dans un tel ouvrage entre vulgarisation et biographie les autrices la présentent sous un aspect positif. Par ailleurs, le lecteur ne peut pas résister longtemps à la gentillesse de la psychanalyste, et à son humilité, étant prête à entendre que certains parents ont très bien réussi en faisant différemment de ce qu'elle préconise.


Ce premier tome permet de (re)découvrir les apports de Françoise Dolto au travers de l'évocation de la première année de l'émission radiophonique Lorsque l'enfant paraît. La narration visuelle est douce et agréable à l'œil, avec une forme de prévenance pour les différentes personnes. L'évocation est respectueuse et pédagogique, avec une bonne restitution de l'entreprise que pouvait représenter une telle émission.



4 commentaires:

  1. C'est la même collection que l'album sur Ravel que j'avais lu. Dolto a le privilège d'avoir deux tomes. J'aimerais bien les lire, moi aussi.

    "Elle aura un jeune journaliste avec elle : Jacques Pradel, un débutant très sympathique paraît-il". Jacques Pradel, le même que "L'Odyssée de l’étrange" ? ☺ Mais oui, c'est bien le même ☺.

    "le lecteur éprouve l'impression de lire une hagiographie, ou en tout cas un ouvrage ne présentant la psychanalyste que sous un angle positif." En même temps, si sa propre fille participe à l'œuvre, quoi de plus normal. J'ai lu que Dolto était fortement remise en question aujourd'hui, voire attaquée sans pitié, et je me demande bien si les auteurs vont aborder cet aspect-là et comment ils vont le faire.

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    1. Je n'avais pas fait le rapprochement pour la collection : c'est à nouveau un prêt de Bruce.

      Jacques Pradel : l'inoubliable émission sur l'autopsie de Roswell. Mais aussi animateur de Perdu de vue, et de Témoin numéro 1, sans oublier L'amour en danger (1991-1993), dont le but est d'évoquer les problèmes rencontrés par des couples qui acceptent d'en parler publiquement. J'ai été très surpris de le découvrir dans ce rôle de coanimateur avec F. Dolto. D'après lui, elle n'a jamais porté de jugement de valeur sur la suite de sa carrière.

      Françoise Dolto fortement remise en question : vaste débat visiblement. En toute honnêteté, je n'ai pas lu de livre d'elle. Avant la naissance de mon premier enfant, j'avais lu Dolto expliquée aux parents, de Jean-Claude Liaudet, et ça m'avait beaucoup apporté. Je n'ai pas suivi toute la polémique récente sur les idées de Dolto. De ce que j'en ai compris, il y avait plusieurs accusations qui reposaient sur des phrases sorties de leur contexte, ce qui aboutit à des contresens par rapport à ses enseignements, et surtout par rapport à ses actes de psychiatre.

      La participation de la fille de Dolto aurait dû me faire me douter de ce point de vue positif, mais il aurait aussi pu être mis en perspective avec les développements de ce domaine de connaissance survenus après elle.

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    2. Tu as peut-être vu que France 2 diffusait ce soir un documentaire sur Dolto datant de 2018 ; c'est à 23h10.

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