Les origines secrètes
Ce tome fait suite à Cagliostro - La Chambre ardente (épisodes 2 & 3) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 4 & 5 initialement parus ensemble sous la forme d'un album catonné en 2009, coécrits par Serge Lehman & Fabrice Colin, dessinés et encrés par Gess, avec une mise en couleurs réalisée par Céline Bessonneau. Cette histoire a bénéficié d'une réédition en intégrale La Brigade Chimérique, Intégrale agrémentée de précieuses et volumineuses notes de Serge Lehman.
Chapitre 4 : L'homme cassé - Après la manifestation de la Brigade Chimérique dans l'épisode précédent, Jean Séverac a accepté de participer à une batterie d'examens réalisés par Irène Joliot-Curie, étalés sur plusieurs semaines. Il évoque avec elle, la signification des armoiries sur sa chevalière. Diane, sa femme, lui prépare une grande fête pour son anniversaire. Théo Sinclair a une réunion de travail avec George Spad. Cette dernière renoue le contact avec Jean Séverac, et lui présente des amis surréalistes, Jacques Spitz et René Daumal.
Chapitre 5 : Bon anniversaire docteur Séverac - Alors que Jean Séverac dîne en compagnie de George Spad, Palmyre et Louis Querelle, plusieurs ampoules grillent à peu d'intervalle. Au cours de la soirée, alors que toutes les ampoules ont lâché, la radio annonce que la Xénodie (une entité extraterrestre évoquée dans le tome précédent) est réapparue dans Paris. Le journaliste conseille aux parisiens de rester chez eux et de garder leur calme.
Après 2 tomes de mise en place chargés en information, le lecteur éprouve l'impression que les coscénaristes rentrent dans le vif du sujet, avec une composante aventure plus prononcée. Avec un peu de recul, il se rappelle que les épisodes précédents contenaient déjà leur lot d'action et d'aventure, mais que la lecture était plus exigeante car la direction principale de l'intrigue ne se dévoilait qu'au fur et à mesure. Pour ces 2 épisodes, le lecteur retrouve les personnages principaux qu'il a identifiés précédemment. Il n'y a plus cet effet d'environnement en expansion, de multiplication des protagonistes, sans possibilité de savoir s'il s'agit d'apparitions secondaires, ou de l'entrée en scène d'un premier ou second rôle. L'intrigue est pour l'instant resserrée sur Jean Séverac et George Spad.
Le premier épisode confirme la réapparition de l'équipe d'individus dotés de pouvoirs extraordinaires qui donne son titre à l'ouvrage. Il s'agit de ce qui dans un comics serait qualifié d'origine secrète. Néanmoins, il ne s'agit pas d'un simple accident de laboratoire, ou de l'intervention d'une entité surnaturelle. L'ambition des auteurs est plus élevée, et ils y mêlent des éléments historiques, ainsi que psychanalytiques. Ainsi Lehman et Colin continuent de tisser des liens étroits et organiques entre leurs personnages et l'Histoire. Dans cet épisode, il s'agit entre autres de faire apparaître le lien unissant la Brigade Chimérique avec l'essor de la psychanalyse. Dans le deuxième épisode, ils mentionnent le mouvement du surréalisme avec la participation de 2 artistes.
Comme dans les tomes précédents, le lecteur peut continuer de jouer à reconnaître les références historiques et culturelles, ou de les ignorer. Comme dans les tomes précédents, certaines sont accessibles (surtout parce qu'elles ont été mentionnées dans les épisodes précédents, par exemple l'Accélérateur), mais la plupart relève d'une culture pointue. Le lecteur peut déjà avoir entendu parler de Thomas Carnacki (par exemple dans la Ligue des Gentlemen extraordinaires, d'Alan Moore & Kevin O'Neill), par contre il ouvrira de grands yeux en découvrant un superhéros (en costume moulant) et son chien à Londres, ou la prolifération de vampyres. Comme pour les tomes précédents, ces personnages révèlent toute leur saveur grâce aux explications de Serge Lehman qui se trouvent dans l'édition en intégrale.
Le lecteur prend plaisir à découvrir les origines secrètes de la Brigade Chimérique trouvant ses racines dans la drôle de guerre. Il apprend à connaître Jean Séverac dont les auteurs développent le caractère et les motivations. Il apprécie au premier degré le spectacle que constitue l'intervention de la Brigade Chimérique contre la Xénodie. Il savoure d'autant mieux ces péripéties que les auteurs ont ménagé une respiration dans la peinture de la toile de fond politique. L'empilement de mystères et de machinations connaît une rémission (le lecteur a même le temps d'en apprendre plus sur Louis Querelle), même si le comportement passé de Marie Curie laisse songeur et crée une attente d'explication pour le lecteur (qu'a-t-elle fait réellement de Jean Séverac, 16 années durant ?).
Comme il s'agit du troisième tome, le lecteur s'est habitué aux particularités des dessins de Gess. Il y a donc ces traits de contour pas très lisses, pas très réguliers, avec un degré d'imprécision dans le tracé (des muscles ou des silhouettes présentant des bosses bizarres). De temps à autre, les revêtements de sol disparaissent totalement, comme s'ils n'avaient pas de consistance. Par exemple quand la Brigade Chimérique se retrouve sur la Place de l'Arc de Triomphe, les pavés ne sont représentés que sur quelques endroits très limités, laissant le reste du sol vide de toute information visuelle. De la même manière, le sol du laboratoire d'Irène Joliot-Curie est également vide de toute information visuelle. Ce choix graphique est assez déconcertant car il prive ces endroits de substance, il prive les personnages d'un support sur lequel prendre pied, et il n'est pas systématique. Par exemple, lors du repas au restaurant entre Jean Séverac, George Spad et Louis Querelle, Céline Bessonneau ajoute des motifs sur le tapis, donnant de la consistance au sol.
Gess poursuit son effort pour représenter les décors en arrière-plan. La proportion de leur présence est plus élevée que dans un comics industriel de superhéros. Il n'y a que lors de certains dialogues que les plans poitrine sont dépourvus d'arrière-plan. À l'opposé, Gess représente avec une belle exactitude des lieux connus, comme une vision de Notre Dame depuis la Seine, une rue de Montmartre, la Tour Eiffel, ou encore les lions de Trafalgar Square ou l'arche art nouveau indiquant une bouche de métro parisien. Il est également apparent qu'il a effectué des recherches de référence pour représenter l'orchestre de Django Reinhardt, ou Marie Curie. Le lecteur a même l'impression de reconnaître Milou interprétant Sirius, le chien de John l'étrange, l'homme cosmique.
Le lecteur constate que Gess assure une cohérence entre les éléments graphiques d'un tome à l'autre. Ainsi il retrouve la chambre ardente, l'apparence des personnages de Théo Saint-Clair à George Spad. Il apprécie que l'artiste sache aussi concevoir de nouveaux éléments comme la chevalière de Jean Séverac. Gess continue à jouer avec la composition des pages, pouvant contenir 16 cases, comme un seul dessin pleine page. Il s'amuse bien avec l'apparence de Xénodie et avec son positionnement sur la Tour Eiffel, pour une image pleine page entre comics et BD francobelge (avec un petit goût de King Kong accroché à l'Empire State Building). Il reprend le découpage en gaufrier de 16 cases pour les souvenirs de Jean Séverac. Le lecteur apprécie l'intelligence de ce choix. Dans la mesure où il s'agit de souvenirs, la petite taille des cases montre des dessins se concentrant plus sur la situation globale que sur les détails, comme si le temps avait effacé les plus petits détails. Ces cadrages et l'utilisation des aplats de noir tirent la représentation vers l'expressionisme. Cette direction visuelle est au diapason du scénario qui évoque la strate des mythes et la pensée de l'espèce qui sommeille dans le subconscient de chaque individu de l'espèce humaine.
Par contraste avec ces souvenirs ayant acquis une dimension mythologique, les apparitions des membres de la Brigade Chimérique sont très prosaïques. Gess choisit de les représenter comme des individus de chair et d'os, malgré leurs pouvoirs. Il est assez déconcertant de voir Irène Joliot-Curie prendre une des plumes du Soldat Inconnu avec une pince, et de la mettre à la lumière comme un objet matériel normal. Au vu de la dimension mythologique des origines de la Brigade Chimérique, le lecteur est décontenancé par ce revirement graphique. De la même manière, la représentation très premier degré d'un bras sortant d'une bouche d'égout située sur le trottoir a du mal à convaincre le lecteur de son sérieux. Du coup les vampyres restent une menace cachée, à la crédibilité très faible. Par contre les 2 pages de la fin confèrent une dimension mythologique à Jean Séverac, en l'absence de tout artifice pyrotechnique.
Pour ce troisième tome, les coauteurs se concentrent sur le personnage de Jean Séverac, sur les origines de la Brigade Chimérique et sur une de leur intervention. Ce changement de focal de l'intrigue permet au lecteur de pleinement apprécier ce qui est raconté, au premier degré, sans essayer de se lancer dans des déductions sur les sous-entendus et les implications des événements à l'échelle de la planète Terre. Cela lui laisse également le temps de profiter du contexte historique et des nombreux détails. Les dessins de Gess présentent toujours cet aspect parfois un peu grossier, ce qui ne les empêchent pas de porter la narration dans toute sa complexité.
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