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mardi 5 novembre 2024

Le monde de Sophie T01 La philo de Socrate à Galilée

N’oublie jamais que tout est éphémère.


Ce tome est le premier d’un diptyque constituant l’adaptation du roman du même nom, écrit par Jostein Gaarder, publié en 1991. Il a été réalisé par Vincent Zabus pour l’adaptation en scénario, par Nicoby pour les dessins, et Philippe Ory pour les dessins. Son édition originale date de 2022. Il comprend deux-cent-cinquante pages de bande dessinée.


Dans une petite ville de banlieue, Sophie Amundsen et sa copine Coline marchent tranquillement sur la route, en se demandant s’il y aura beaucoup de personnes à la manifestation. Coline sait qu’il y a une centaine d’inscrits. Son oncle s’est même amusé à écrire des slogans. Par exemple : On est plus chaud que le climat, Les dinosaures aussi pensaient avoir le temps, Les calottes sont cuites. Elles se séparent alors que Sophie arrive devant chez elle, en se donnant rendez-vous dans trois jours pour la manifestation. L’adolescente entre et se rend à la cuisine pour donner à manger à son chat Shere Khan, prendre une pomme et regarder le courrier. Elle trouve une enveloppe marron avec son nom. Dedans se trouve un petit morceau de papier où il est écrit : Qui es-tu ? Elle trouve ça bizarre, ne sachant pas qui a pu lui envoyer cette carte. Elle se rend devant un miroir en pied et se tire la langue. Elle se dit que si elle avait pu choisir, elle se serait bien vue avec un autre nez et des cheveux bouclés par exemple. Elle se fait la réflexion que c’est dommage qu’on ne puisse pas choisir qui on est. En revenant dans la cuisine, elle découvre une autre enveloppe marron, plus grande, également à son nom. Elle se rend dans le jardin pour la lire. Son esprit fait remonter un souvenir d’elle enfant à six ans, sur la balançoire, poussée par son père. Cela l’attriste car elle n’a toujours pas compris pourquoi son papa était mort. Une petite fille bien triste de ne se souvenir ni de son visage, ni de sa voix. Elle s’allonge dans l’herbe et se rend compte qu’il y a une autre question au dos du carton : D’où vient le monde ?



Sophie ouvre la grande enveloppe : à l’intérieur se trouvent les premiers feuillets d’un cours de philosophie, avec la précision À manipuler avec grande précaution. Elle éternue dessus, et les lettres sautent de la page pour se retrouver flottant dans l’air. Elle est prise par surprise. Les lettres se réarrangent pour former un message : Bravo Sophie ! la première qualité du philosophe, c’est de s’étonner. Le texte flottant continue à s’assembler en répondant à ses réactions : Pour devenir philosophe, il faut commencer par se poser des questions. Ça continue : Il y a des questions que devraient se poser tous les êtres humains, c’est précisément l’objet de ce cours. Savoir qui nous sommes et pourquoi nous vivons, par exemple. Toutes les générations se sont posé ces questions et ont essayé d’y répondre d’une façon ou d’une autre. La meilleure façon de faire de la philosophie est de se poser des questions philosophiques. Comment le monde a-t-il été créé ? Y a-t-il une volonté ou un sens derrière ce qui arrive ? Existe-t-il une vie après la mort ? Comment faut-il vivre ?


Une belle gageure : adapter en bande dessinée une roman philosophique, un succès littéraire remarquable traduit en cinquante-quatre langues, qui se veut une introduction à la philosophie, à ses différents mouvements et à son évolution. Tout d’abord il s’agit d’un ouvrage ambitieux qui dépasse la simple vulgarisation, ensuite le lecteur pressent qu’il s’agira essentiellement de personnages en train de parler, c’est-à-dire un dispositif qui constitue un défi pour le rendre visuellement intéressant, pour aboutir à une vraie bande dessinée, plutôt qu’une enfilade de cases d’exposition de noms, de dates et de théories. Les auteurs disposent de cinq cents pages pour réaliser leur adaptation en deux tomes, et d’une accroche de nature à permettre la projection du lecteur ou son identification : Sophie, adolescente curieuse et refusant d’être cantonnée au rôle d’écolière docile recevant la bonne parole, béate d’admiration. Le lecteur relève également qu’il s’agit d’une adaptation, par des remarques de Sophie qui constituent un marqueur temporel postérieur à la date de parution originelle du roman. Ainsi, elle et son amie Coline se préparent pour participer à une manifestation pour éveiller les consciences à la réalité du réchauffement climatique et à la nécessité d’agir. S’il conserve quelques doutes sur la prégnance de ce sujet en 1991, le lecteur n’en conserve aucun quand il est question de l’épidémie de COVID en page soixante-seize, pandémie s’étant répandue en 2020.



Le lecteur confronte vite ses a priori sur la narration à ce qu’il voit, et lève ou non les réserves qu’il pouvait entretenir. L’artiste réalise des dessins dans un registre descriptif, avec un degré de simplification qui l’éloigne du photoréalisme, sans aller jusqu’au dessin tout public pour enfant. Cela induit une facilité de lecture, l’œil captant immédiat les éléments d’une case. Dans le même temps, les dessins montrent une grande diversité d’environnement : l’avenue principale d’une petite ville de banlieue avec quelques habitations et les champs alentours, un pavillon à l’écart avec son jardin et sa balançoire, la cachette douillette au milieu de la haie, plusieurs pièces du pavillon dont la chambre de Sophie, la cuisine, le salon, un chalet isolé au bord d’un lac avec sa barque, dans lequel se trouve un studio de dessinateur. Au fil des rencontres chronologiques avec des philosophes, l’artiste représente des décors épurés correspondant à chaque époque : des champs pour commencer, un temple grec avec une inscription sur son frontispice (Connais-toi toi-même), une vue du ciel de l’Acropole, du Parthénon, du théâtre de Dionysos, la cour de justice sur l’Aréopage, l’Académie de Platon à Athènes, une grande avenue à Alexandrie, une abbaye, une église et des catacombes, un château de la Renaissance, un tribunal de l’Inquisition, une grande bibliothèque, etc. Les traits de contours sont fins et fragiles, avec quelques irrégularités imperceptibles, un niveau de détail simplifié, avec assez de particularités pour rendre compte des volumes, des dimensions, des époques, etc.


D’un autre côté, le lecteur se retrouve également rapidement devant des pages où Sophie Amundsen et son guide Alberto Knox devisent ensemble, où Knox expose le contexte historique, présente des pensées philosophiques, et bien évidemment ils rencontrent des philosophes avec lesquels ils discutent ou ces derniers expliquent leur système de pensée. En fait, elle commence par se retrouver devant les sept philosophes de la nature qui apparaissent comme des géants assis, par rapport à elle toute petite qui sautille sur leur tête et sur leurs épaules. La seconde apparition revêt une forme originale : Démocrite (-460 à -370) est jugé sur le dos d’un éléphant dans la chambre de la demoiselle, l’homme et l’animal étant composés de Lego. Puis elle rencontre Socrate et ils devisent en marchant. Alors qu’il s’éloigne, elle est rejointe par Platon, et ils réfléchissent en marchant. Le dispositif de la marche se retrouve dans la plupart des rencontres, celle-ci apparaissant propice à la réflexion, et permettant également de passer d’un décor à un autre, d’interagir avec des accessoires, de se retrouver dans des environnements métaphoriques (par exemple pour le mythe de la caverne) ou de se retrouver dans une mise en scène conçue pour l’occasion (par exemple des enluminures comme suspendues dans l’air pendant que Saint Thomas d’Aquin parle), allant jusqu’à un cas très singulier (une double en page avec un arbre au milieu, à gauche les neuf racines indo-européennes de la philosophie, à droite les neuf racines sémitiques de la philosophie). Bien sûr, le lecteur peut avoir l’impression que cette bande dessinée constitue une longue enfilade de discussions en marchant, toutefois un peu de recul permet de voir la diversité des mises en scène.



Les auteurs ont choisi de réaliser une transposition fidèle et très proche du roman : mêmes personnages, même dispositif des missives apparaissant comme par enchantement, et passage en revue par ordre chronologique des grands philosophes. Ce premier tome comprend onze chapitres : 1. Qui es-tu ?, 2. Mythes et philosophes de la nature, 3. Atome et destin, 4. Athènes et Socrate, 5. Platon, 6. Aristote, 7. L’Hellénisme, 8. Deux cultures, 9. Saint Augustin et Averroès et Saint Thomas, 10. La Renaissance, 11. Le Baroque, ce qui correspond au dix-sept premiers chapitres du livre. Sophie Amudsen rencontre les trois philosophes de Milet, Parménide, Héraclite, Empédocle, Anaxagore, puis Démocrite, Hérodote, Socrate, Platon, Aristote, Diogène, la pensée des stoïciens, Épicure, Saint Augustin, Averroès, Saint Thomas, Galilée. Le lecteur bénéficie ainsi d’une remise dans l’ordre de ces philosophes, d’une indication de la filiation de pensée qui peut exister, et de la mise en perspective de l’importance déterminante des penseurs grecs. Il peut s’interroger sur cette vision très européenne de ce domaine. En fin et en début de chapitre, Sophie revient au temps présent, ce qui est pour elle l’occasion de se poser d’autres questions. À commencer par se demander qui lui adresse ces lettres. Puis à s’interroger sur son mystérieux guide, et vers la fin de ce tome sur ces lettres alphabétiques qui flottent dans l’air, sur ces mises en scène commodément pédagogiques, etc. Le processus philosophique fait son œuvre et elle questionne son environnement, et même un peu plus.


Il est probable que le lecteur ait choisi cette bande dessinée en toute connaissance de cause, c’est-à-dire qu’il sait qu’elle constitue un exposé sur la philosophie, qu’elle fait œuvre de vulgarisation, et que la narration visuelle sera assujettie dans sa forme à ce principe didactique. La lecture au fil de l’eau le conforte dans cet a priori : un ouvrage pédagogique, avec des discussions régulières, en marchant. Progressivement il se rend compte que la narration visuelle s’avère plus variée que cette première impression, mettant à profit les possibilités infinies de mises en scène offerte par des effets spéciaux qui ne coûtent pas un centime de plus. Il prend également conscience petit à petit que le cadre de départ, une adolescente contemporaine, ne sert pas qu’à incarner un dispositif d’identification pour le lecteur. Le mystère du guide inconnu incite incidemment Sophie à questionner cette situation, à adopter d’autres points de vue pour considérer son expérience de vie, et donc sa réalité.



lundi 4 novembre 2024

Lefranc T27 L'homme-oiseau

Les hommes de conviction sont rarement appréciés par les esprits chagrins.


Ce tome fait suite à Lefranc - Tome 26 - Mission Antarctique (2015, par François Corteggiani & Christophe Alvès) qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu avant, mais ce serait dommage de s’en priver. Sa première édition date de 2016. Il a été réalisé par Roger Seiter pour le scénario, par Régric (Frédéric Legrain) pour les dessins, et la mise en couleurs a été réalisée par Bonaventure. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. Il met en scène le héros créé en 1952 par Jacques Martin (1921-2010) dont les aventures ont commencé avec La grande menace.


Novembre 1969, dans le Pacifique Sud, à plusieurs milliers de kilomètres des côtes chiliennes… L’Arturo Prat, un petit cargo en provenance de Valparaiso, fait route vers l’île de Pâques… Le cargo, transformé en navire scientifique, a été affrété par Antoine Lasalle, un archéologue français qui se rend à Rapa Nui pour une campagne de fouilles. Lefranc a rejoint l’expédition à la demande son amie Julie Lasalle. La jeune ethnologue accompagne son père pour étudier la civilisation des Pascuans et le journaliste entend bien profiter de l’opportunité pour faire un reportage sur cette ile fascinante. Après avoir demandé à Antoine Lassalle où elle se trouve, Guy Lefranc se dirige vers le pont arrière pour aller retrouver sa fille Julie. Elle est confortablement installée dans une chilienne, lisant l’ouvrage de Thor Heyerdahl qui est la plus récente publication scientifique consacrée à l’île de Pâques. Elle en recommande la lecture au journaliste. Ce dernier lui fait observer que Heyerdahl n’est ni un archéologue, ni un ethnologue, et ses travaux sont largement contestés. Elle balaye ces objections d’une remarque : Les hommes de conviction sont rarement appréciés par les esprits chagrins.



Au même moment, au Grand Hotel Bolivar à Lima, monsieur Di Marco accueille monsieur Zhang qui trouve que son interlocuteur ne se refuse rien, car il a pris la suite la plus chère de l’hôtel. Il ajoute que dans son pays les hommes se battent par conviction, pas pour de l’argent. Zhang ouvre sa mallette qui est pleine de billets de banque. Il en sort également un dossier intitulé : Novembre 1987, Spoutnik II, Laïka. Di Marco indique que tout est en place : il a acheté le navire et recruté les hommes. Zhang indique que de son côté, son gouvernement a retourné ou gagné à leur cause, tous les scientifiques indispensables à la réussite du plan. Di Marco propose de trinquer, il lève son verre à la réussite de leur entreprise. Un crépuscule adoucit la lumière de l’île de Pâques. Longeant les falaises escarpées de la côte nord, un cavalier flanqué d’une mule chevauche vers l’est. Il s’arrête devant un moai, et descend de sa monture. Il prend une lampe et dirige vers un rocher qu’il fait glisser. Il va prendre les fagots chargés sur le dos de la mule, et il descend dans la caverne, celle-ci présentant une ouverture vers l’océan. Un quart d’heure plus tard, un Pascuan arrive à la hauteur du cheval et de la mule. Il calme le cheval, et il entend un craquement dans son dos.


La couverture promet une aventure sur l’île de Pâques, et la chute d’une comète, ou d’un autre objet céleste, venant se confondre avec le mythe de l’homme-oiseau. Pour son deuxième album de la série (après Lefranc T25 Cuba libre, 2014), le scénariste reste fidèle au principe d’envoyer le reporter dans un endroit éloigné du monde, et de le confronter à un mystère qui pourrait contenir une part d’anticipation ou de surnaturel. Enfin, pour cette deuxième caractéristique, surtout sur la couverture. Le lecteur s’est préparé à une narration dense, aussi bien en phylactères qu’en nombre de cases par page… et c’est bien le cas. Pour autant, les auteurs ont conscience de cette caractéristique intrinsèque de la série, et ils ménagent quelques planches comprenant moins d’une demi-douzaine de cellules de texte ou de dialogues, à commencer par la planche trois avec un seul cartouche. Le lecteur s’attend également à un exposé sur l’île de Pâques, avec les connaissances de l’époque, c’est-à-dire des années 1950. Dès la première page, le scénariste utilise le terme consacré de Rapa Nui pour désigner cette île, et le livre de Thor Heyerdahl (1914-2002, anthropologue, archéologue et navigateur norvégien) que Julie Lassalle tient dans ses mains est certainement Aku-Aku, Le secret de l'île de Pâques (1958). Par la suite, il emploie le terme de Pascuan, et il évoque les Aku Aku, il désigne plusieurs moais par le nom qui leur a été donné pour les identifier, et il explique le mode de gouvernance mis en place. En page sept, Antoine Lassalle effectue un bref rappel historique sur la découverte de l’île, d’abord par les Hollandais, puis par les Espagnols, et enfin l’arrivée de La Pérouse en 1786 lors de sa circumnavigation. Le récit se trouve ancré dans la réalité historique de l’île à cette époque. En page treize, Lucie Lassalle évoque très rapidement le mythe de l’homme-oiseau : Jadis, les Pascuans plongeaient de la falaise dans les eaux infestées de requins pour parcourir à la nage les deux kilomètres qui les séparaient de Motu Nui. Le guerrier qui réussissait l’exploite de ramener le premier œuf de sterne pondu dans l’année devenait pour un an, le nouvel homme-oiseau, c’est-à-dire le représentant sur Terre du Dieu Make Make.



Comme dans d’autres albums, Guy Lefranc se trouve au milieu d’une situation complexe, dans laquelle il va jouer un rôle déterminant, accomplissant des actes de bravoure, sans pour autant être de toutes les séquences, sans sauver tout le monde par des actes téméraires et spectaculaires. Il apparaît comme un jeune homme, entre vingt-cinq et trente ans, respecté par les personnes de son entourage, sans être meilleur que tout le monde, ne possédant pas de sens de l’humour. Le scénariste le place dans une expédition comprenant des scientifiques de haut niveau auxquels il fait confiance. Au cours de cette aventure, il n’hésite pas à plonger tout habillé dans l’océan pour sauver un homme à la mer, à convaincre le père Sebastian de l’accompagner sur le site de la météorite, à tenir tête au commandant Arnaldo Curti (ce qui lui vaut d’être emprisonné), à passer cinq pages les mains attachées dans le dos, et enfin à empêcher un mercenaire d’abattre un pilote. Il est représenté comme un jeune homme bien bâti, avec une constitution normale, sans musculature de culturiste ou même d’’athlète de haut niveau, un visage sérieux qui ne sourit que très rarement, des gestes assurés, vifs quand l’action le justifie. Il porte des vêtements simples, les mêmes du début à la fin : un pantalon de toile, des bottes (ce qui est adapté au terrain), un polo rouge et une veste kaki. Il est animé par des valeurs morales comme l’honnêteté, la vérité, un sens de la justice et un réflexe de protéger les plus faibles. Cela fait de lui à la fois un héros dans le sens noble du terme, à la fois un personnage un peu lisse, avec un comportement adulte dépourvu de naïveté ou d’altruisme trop élevé pour être crédible.


Les autres personnages présentent le même aspect ordinaire : des corps normaux, des tenues banales ou adaptées à leur fonction (la robe du prêtre, l’uniforme du commandant, les tenues noires des commandos). Ils se comportent essentiellement conformément à leur fonction, sans d’autre trait de caractère marqué. Deux exceptions : Julie Lassalle qui fait montre d’une pointe d’ironie, Axel Borg animé par son intérêt personnel et l’appât du gain, avec une animosité marquée contre Lefranc. La narration s’inscrit donc dans un registre réaliste qui rend très plausible ce qui est raconté. Le lecteur observe les cases avec l’assurance qu’elles montrent les choses avec un souci d’authenticité. Il prend le temps de détailler les vêtements des Pascuans, le navire affrété pour la recherche, les quelques bâtiments de l’île de Pâques, les lits de camp, le matériel militaire, etc. Il note que dans ce tome le dessinateur n’a que peu de véhicules à représenter : une Jeep et des motos (que Lefranc n’enfourche que le temps d’une unique case) ce qui rompt un peu avec l’une des composantes de la série. Et bien sûr : les représentations de Rapa Nui, des moais, des formations rocheuses. Il apprécie que le regard des statues soit bien tourné vers l’intérieur de l’île, comme dans la réalité.



Le lecteur s’immerge avec plaisir dans cette narration consistante, sans être pesante, se projetant dans cette région du globe qu’il ne visitera peut-être jamais, suivant les différentes péripéties allant de l’installation du camp des chercheurs jusqu’à un affrontement contre un commando ayant débarqué clandestinement sur l’île de Pâques. La narration visuelle reprend les caractéristiques de celle de Jacques Martin : une ligne claire avec quelques éléments supplémentaires comme de petits traits de texture et de très discrets dégradés dans la mise en couleurs, une moyenne de neuf ou dix cases par page, et une approche descriptive et réaliste qui ancre l’histoire dans un réel plausible. Le scénariste a construit une intrigue qui entremêle plusieurs intérêts (l’expédition d’Antoine Lassalle, les traditions des Pascuans, la représentation du gouvernement chilien, un commando financé par des puissances étrangères), inscrite dans le contexte géopolitique de l’époque (c’est-à-dire la guerre froide et la course à l’espace). En trame de fond, se trouvent plusieurs thèmes comme les expéditions européennes pour découvrir et comprendre le monde (celle du norvégien Thor Heyerdahl, celle de Lassalle), une population locale (les Pascuans) administrée par un pays d’une autre culture (le Chili), les opérations tenues secrètes pour raison d’état. Le narrateur omniscient fait observer dans la dernière page que les Russes (une forme de dictature à l’époque) ne communiquent que sur les missions réussies, jamais sur les échecs. En finissant la dernière page, le lecteur éprouve un sentiment fugace de regret que la culture de Rapa Nui n’ait pas été plus développée, que ce soient les moais ou le mythe de l’homme-oiseau.


Promesse tenue d’une nouvelle aventure de Guy Lefranc dans un endroit exotique, dans une situation complexe et adulte, modelée par le contexte historique et géopolitique. Le lecteur savoure la narration visuelle minutieuse et référencée pour une reconstitution historique authentique. Il se projette sur Rapa Nui (l’île de Pâques) et ces étonnantes statues, pris dans les intérêts de la course aux étoiles. Quelques jours très mouvementés.