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mercredi 13 novembre 2024

Bruce J. Hawker T06 Les bourreaux de la nuit

L’aube se lèvera-t-elle demain ?


Ce tome est le sixième d’une heptalogie. Il fait suite à Bruce J. Hawker tome 5 Tout ou rien (1988). Cet album a été réalisé par William Vance (1935-2018) pour le dessin, par Petra Coria (1937-2024) pour les couleurs, avec André-Paul Duchâteau (1925-2020, créateur de la série Ric Hochet) pour le scénario. Il a été prépublié dans les numéros 59 à 70 du journal de Tintin fin 1990, début 1991. La première édition en album date de 1991. Il comprend quarante-cinq pages de bande dessinée.


La Tamise… Un fleuve aux eaux changeantes, soumis à l’influence de la marée avec plus de sept cents flux et reflux par an… La Tamise, appelée souvent l’épine dorsale de Londres… En ce début de soirée recouvert par le fog, une famille de miséreux fait griller un petit animal sur un feu de fortune. Un coupé passe dans la rue : Lord Hawker rentre chez lui, conduit par son cocher James. Il lui demande d’aller plus vite car ce n’est pas une heure pour les honnêtes gens, et il se dit qu’il aurait mieux fait de se faire accompagner par Bruce, son fils adoptif, tout en se morigénant pour ces craintes stupides de vieil homme. Le cocher doit arrêter le coupé car un homme en habit de ville, cagoulé, se tient au milieu de la voie, avec un pistolet dans la main. Il s’avance et il indique que lui et ses compagnons en ont après le Lord. Il continue : ils vont lui offrir l’hospitalité pour cette nuit, et peut-être encore d’autres… James en profite pour baisser discrètement sa main vers son propre pistolet, mais un des bourreaux de la nuit est plus rapide et lui tire dessus. Le cocher est blessé, l’homme donne une tape sur le cheval pour que celui rentre à la maison et que l’homme blessé serve de message et d’avertissement. Ils emmènent le juge vers les bas-fonds de la ville.



Au Lock’s Club, Bruce J. Hawker indique à son ami George Lund qu’il trouve que ces endroits où l’on s’amuse sont désespérément sinistres, le temps lui paraît long. Lund s’étonne que son ami regrette déjà les loisirs bien mérités qui leur ont été octroyés. Il continue en faisant observer que tout dans ce club à la mode est fait pour retarder le temps : c’est le seul endroit de Londres où les aiguilles de l’horloge marchent à l’envers ! Il lui suggère d’admirer les jolies femmes dehors, et ici les gentlemen avec leurs chapeaux hauts-de-forme. D’ailleurs James Heatherson est présent et il prend la parole pour indiquer que c’est lui qui a introduit le haut-de-forme en 1797, et il a dû payer une amende de cinquante livres pour avoir délibérément effrayé des gens timides. C’est au tour de lord Thomas Bentley de se mêler à la conversation. Il leur propose d’organiser un pari. Ils sont interrompus par l’arrivée de la voiture de lord Hawker, et de son cocher blessé. Bruce J. Hawker va l’interroger pour en savoir plus. Le cocher s’écroule inconscient en moins de cinq secondes, ce qu’avait parié Lord Bentley.


Nouveau diptyque pour ce personnage récurrent : cette fois-ci le tome se déroule à terre, à l’exception d’une poursuite dans le gréement lors d’un bref passage dans un navire échoué. Le lecteur retrouve le héros : toujours aussi beau avec sa chevelure argentée qui a peut-être pris un peu de volume Il a donc été réintégré dans les bonnes grâces de l’armée, après les prouesses de sa précédente aventure, et il bénéficie même de temps libre… dont il ne sait pas quoi faire. Sa personnalité est toujours réduite à quelques traits de caractère : le courage, athlétique et combattif, une forme d’honneur et d’altruisme. D’ailleurs le lecteur est pris de court par ce dernier, car finalement Bruce a retrouvé de l’estime pour ses parents adoptifs Lady & Lord Hawker, alors qu’ils s’étaient mutuellement reniés à la suite de sa disgrâce. George Lund ne fait pas montre de plus de personnalité, et a droit à moins de répliques. Percy Reeves apparaît plus défini, avec son attitude rebelle et sa fréquentation de milieux criminels. Le lecteur attend avec impatience de revoir Diana Summerville, l’agent de liaison apparue dans l’aventure précédente, car il s’agissait d’un personnage complexe, doté d’une charme extraordinaire… mais les auteurs ont opté pour un nouveau personnage féminin : Red Lady, la petite rousse qui accompagnait Margie, la gouvernante de Lord et Lady Hawker, celle-là même que Bruce a sortie plusieurs fois du pétrin. À nouveau, scénariste et dessinateur insufflent un sacré caractère à ce personnage féminin.



La première page met en scène la Tamise longeant un quartier défavorisé, avec le brouillard qui commence à s’installer. La mise en couleurs s’avère remarquable : un camaïeu de bleu-gris, estompant les traits de contour des habitations, gommant les autres couleurs. Dans les cases du bas, la vive lueur du feu repousse cette chape terne. Le coupé apporte des couleurs : la petite lanterne jaune sur le côté, le manteau vert du cocher, la chevelure argentée de Lord Hawker. De même, les bourreaux de la nuit amènent une couleur pourpre. Petra Coria navigue avec habileté et intelligence entre une mise en couleurs réaliste et des ambiances impressionnistes. À plusieurs reprises, le lecteur se rend compte qu’il prête attention à son apport soit pour l’ambiance d’une scène, soit pour une case particulière : la semi-pénombre du parc de la résidence des Hawker, l’effet orangé du feu de l’âtre dans une case de la planche douze, le retour du brouillard nocturne sur les quais mettant, par contraste, formidablement en valeur la chevelure rousse flamboyante et l’habit pourpre de Red Lady, l’aspect fantomatique du sommet du grand mât, le violet profond immaculé des cagoules des bourreaux de la nuit, l’éclairage cru de la fosse dans laquelle combattent les chiens, les draperies dans le repaire de Lord John, etc. Avec un feuilletage rapide, le lecteur peut ressentir l’impression d’une mise en couleurs un peu datée ; à la lecture il en va tout autrement, l’intelligence de la complémentarité avec les traits encrés apparaissant pleinement.


Une nouvelle fois, la narration surprend le lecteur par son ton adulte, ce qu’il n’attendait pas forcément d’une série tout public publiée dans le journal de Tintin. La petite famille s’apprêtant à manger ce qui pourrait bien être un chat au mieux, un rat au pire, cuit à la broche sur un feu de fortune sur un quai désaffecté d’un quartier abandonné de Londres produit un effet de misère et de dénuement. Les bourreaux de la nuit ressemblent de prime abord à une association de malfaiteurs, ou plutôt de Robins de bois, dérobant aux riches. Toutefois, il apparaît que leur chef appartient à la classe des nantis, que les richesses ne sont en rien redistribuées, mais acquises pour l’intérêt personnel de certains. La police s’avère incompétente pour pourchasser ces criminels qui exécutent leurs victimes avec une potence. Qui plus est un personnage explique que Londres ne dispose pas de justice organisée. Il continue en dressant le portrait catastrophique de la sécurité des citoyens : Londres, la City, les quartiers au nord constituent une véritable cité de malfaiteurs ! Tout les aide : le brouillard, la fumée du charbon de terre qui couvre la ville ! Le gouvernement paie bien des primes à des argousins privés… Mais ils sont aussi corrompus que ceux qu’ils doivent pourchasser ! Plus loin, un enfant des rues dépenaillé vient farfouiller dans la poche de Bruce J. Hawker, comme le premier pickpocket venu. Les combats de chiens clandestins attirent aussi bien la canaille des bas-fonds que des Lords venus parier gros. Un environnement qui n’est ni réjouissant, ni épanouissant.



Le lecteur prend tout de suite fait et cause pour le héros bien décidé à sauver son père adoptif, malgré le différend qui les oppose. L’intrigue contient son lot de péripéties : un enlèvement en bande organisée, une course pour rattraper Bunny qui s’enfuit avec le coupé, une autre poursuite dans les gréements d’un navire échoué, l’infiltration à haut risque dans une réunion des bourreaux de la nuit cagoulés (avec mot de passe et signe de reconnaissance), combats de chiens, et deux rapts supplémentaires, sans oublier la corde au cou pour le héros. Il s’agit donc bien d’un récit d’aventure, dans un contexte précis ayant une incidence sur l’intrigue (par opposition à un décor interchangeable), avec une narration visuelle impeccable, en termes de consistance et de lisibilité. Pour un peu, le lecteur éprouverait du vertige à monter derrière Bruce J. Hawker dans les gréements. Le scénariste s’amuse avec quelques conventions du genre comme le recours à une phrase servant de mot de passe (L’aube se lèvera-t-elle demain ?), et le passage secret reliant le navire échoué au repaire des bourreaux de la nuit. Il intègre quelques références historiques comme la mention d’Old Bailey, le terme de Lobsters (homards, surnom des soldats d’infanterie de marine), et la petite histoire macabre racontée par lord Heatherington sur le condamné à mort qui aurait dû accepter de boire un verre.


Cette fois-ci pas d’embarquement en mer : Bruce J. Hawker reste à terre pour un essayer de libérer son père adoptif qui a été enlevé par une bande organisée qui demande une rançon. La narration visuelle emporte le lecteur dans ce Londres régulièrement sujet au brouillard, dans les salons luxueux, et les rues sordides, et même un passage secret, avec une mise en couleurs aussi élaborée que discrète. Le scénario mêle harmonieusement les conventions du genre (une ou deux bagarres, le héros en péril, les bandits agressifs mais pas toujours efficaces, une femme magnifique entre victime et femme fatale) et des éléments sociaux adultes assez durs.



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