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mercredi 29 novembre 2023

Au bonheur des dames T03 Au malheur des dames

On a beau avoir un corps de vingt ans, si le cerveau ne suit pas…


Ce tome est le troisième d’une série de quatre albums, indépendante de toute autre. Il fait suite à Dans la peau d’une femme (2001) qu’il faut avoir lu avant. Sa première édition date de 2002. Il a été réalisé par François Walthéry, avec l’aide de Bruno di Sano, et un scénario de Mythic (Jean-Claude Smit-le-Bénédicte). Il compte quarante-six pages de bande dessinée. Cette série se compose de quatre albums : Une femme dans la peau (2000) par Walthéry, Georges van Linthout et Fritax, Dans la peau d’une femme (2001), Au malheur des dames (2002), Johanna la dame des sables (2005), ces trois derniers ayant été réalisés par Walthéry, di Sano et Mythic. Ces quatre albums ont fait l’objet d’une intégrale intitulée Au bonheur des dames (2023).


De nuit, Johanna conduit sa BMW décapotable à vive allure dans la campagne française et arrive au village de Curon. Elle sonne à la porte de la clinique vétérinaire, et elle parvient à réveiller le propriétaire. Celui-ci ouvre le volet de sa chambre en faisant remarquer que ça se voit que c’est fermé. Johanna insiste et montre Satan et ses blessures. Le vétérinaire s’offusque : il s’agit de blessures par balle, il faut prévenir la police. Johanna le convainc que la police a d’autres affaires pus importantes comme priorité. Le vétérinaire soigne Satan et elle lui demande de le garder, tout en précisant qu’elle ne dispose pas d’argent, ouvrant son corsage pour montrer qu’elle ne cache rien. Sous le charme, le vétérinaire accepte de garder le chien en l’échange d’une rétribution en nature quand elle viendra le rechercher. Dans la grande demeure des Goldstein, Rebecca en nuisette fait sa toilette, mais elle éprouve soudain la sensation d’être transportée sur le front russe en hiver pendant la seconde guerre mondiale, ce qui la laisse grelottante de froid sur le carrelage. Son fiancé appelle depuis la chambre : elle prend sur elle et le rejoint dans le lit où il l’attend impatient de débuter leurs ébats.



Résignée, Rebecca s’apprête à faire son devoir conjugal, mais le téléphone sonne et c’est pour elle. Ingrid, l’assistante du professeur Brandt, la met au courant des derniers événements : le sort de la famille de Blaigny, la fuite d’Isabelle de Blaigny. Rebecca la remercie, puis elle appelle Martine pour qu’elle se serve de ses connexions afin que la police se mette à la recherche de de la fuyarde qu’elles font accuser du meurtre de la famille. Johanna s’est présentée à un palace et a demandé une chambre, acceptée sans question car elle possède une belle voiture et une tenue présentable. Le matin, Nancy, une femme de chambre, lui apporte son petit déjeuner, et Johanna en profite pour l’attirer dans son lit. Après le départ de Nancy, Johanna se douche et s’habille puis descend à la réception où elle jette un coup d’œil aux gros titres et découvre qu’elle est recherchée. Elle constate la présence de la police dans le hall, et elle parvient à se cacher et à leur échapper, avec l’aide de Nancy qui lui propose de se mettre à l’abri dans son appartement. À la fin de sa journée de travail, Nancy rentre chez elle, retrouve Johanna et elles font l’amour. Puis Antoine Aubert raconte toute son histoire à son hôte. De leur côté, Gurd et Gert interrogent d’autres femmes de ménage de l’hôtel : ils comprennent que Johanna doit se trouver avec Nancy. Dans une somptueuse demeure au Havre, un docteur rend visite à monsieur Giraud : ce dernier trouve que sa fille se comporte de bien étrange manière, parlant en allemand, une langue qu’elle n’a jamais apprise.


À l’identique du tome deux, ce tome trois commence par résoudre le suspense du tome précédent : Johanna, enfin Antoine Aubert, ou plutôt Isabelle de Blaigny (enfin, c’est compliqué), vient d’échapper aux deux tueurs Gurd & Gert, et s’enfuit dans une voiture. En deux pages, la situation est résolue. Suivent trois pages consacrées au général, enfin à Rebecca Goldstein (bon, c’est compliqué), avec un résumé de la situation du tome précédent en trois cases. L’intrigue conserve ce rythme rapide tout du long du tome, avec une bonne quantité de péripéties : une première course-poursuite entre Johanna et la police, une évolution inattendue dans la situation des cerveaux nazis transplantés, une enquête de journaliste, une enquête menée par deux tueurs à gages, un complot pour déstabiliser le gouvernement, des expériences sur des êtres humains (non consentants), une agression canine, un changement de tenue dans les toilettes d’un aéroport, une opération commando dans un vieux château, et un spectacle de danse érotique, etc. À sa grande surprise, le lecteur assiste à la résolution d’une intrigue majeure de la série. Le tome se termine avec la promesse d’une nouvelle aventure pour Johanna (enfin bon, l’héroïne, ou plutôt non le héros…), mais pas sur une scène qui donne la sensation d’un chapitre incomplet comme pour les tomes précédents.



Mythic confirme son investissement dans la série, et sa volonté de raconter une vraie histoire conséquente, plutôt que d’aligner des séquences amenant au dénuement du personnage principal. Son récit s’inscrit toujours dans le registre de la série B, ou peut-être Z par moments du fait de la présence de nazis sur le retour et d’un savant fou effectuant des transplantations de conscience d’un corps à un autre. Mais non, finalement plutôt série B parce que ces tenants d’un ordre fasciste finissent par être rattrapés par une facette de leur condition qui n’est pas forcément celle que le lecteur avait anticipé. En quarante-six pages, le scénariste a à cœur tout du long de divertir le lecteur, que ce soit avec les nombreuses péripéties, avec l’absence de temps mort, et même avec une évolution du personnage principal, en cohérence avec la genèse particulière de sa situation et avec son comportement plutôt libéré des deux tomes précédents. Antoine Aubert n’avait pas réagi à son nouveau corps comme le lecteur aurait pu le présupposer : il se montre une femme peu farouche et prenant plaisir aux ébats sexuels, sans pour autant que cela ne remette en cause sa personnalité. Il s’est habitué à son corps d’un sexe différent sans effort, une adaptation à un genre différent, comme si ça allait de soi. Le lecteur se retrouve tout aussi surpris par le comportement de la plupart des autres transplantés, soit comme si le corps n’est finalement qu’un instrument comme un autre, soit comme si la chimie de leurs hormones leur rendait évidente leur nouvelle sexualité, un parti pris provocateur ou un modèle de tolérance ?


Les caractéristiques de la narration graphique restent à l’identique, à commencer par la représentation des femmes : des poupées à la forte poitrine, aux fesses rebondies et à la taille mince. Treize pages comportent une forme de nudité féminine, soit la poitrine, soit les fesses, ou les deux, mais jamais le sexe. De même, le sexe des hommes n’est pas représenté de manière frontale ou même en ombre. Le ton de la narration se positionne dans un registre amusé, semblant indiquer qu’il convient ne pas prendre ces aventures au sérieux. En planche deux, Johanna découvre un de ses seins au profit du vétérinaire, pour l’aguicher, et elle lui promet une récompense charnelle pour plus tard, les auteurs ne laissant planer aucun doute sur le fait qu’elle ne reviendra jamais. S’ensuivent une scène saphique et une scène de douche finalement bien chaste pour un rapport entièrement consenti où le plaisir guide les deux femmes. À nouveau, il ne s’agit pas d’une scène à caractère pornographique, plutôt d’un érotisme très gentil, le registre graphique faisant penser à une bande dessinée tout public, indépendamment de ce qui est représenté. En outre, le récit comporte quatre rapports sexuels : le premier en quatre cases sur une page qui en compte dix, le deuxième en deux cases sur une page qui en compte également dix, le troisième en deux sur une page de neuf, et le dernier se déroule entre deux pages. La nudité relève de la titillation, tout en mettant en scène des femmes libre de leur sexualité, éventuellement se jouant des hommes.



Comme dans les tomes précédents, les artistes réalisent des planches soignées, regorgeant de détails, avec un soin impressionnant apportés aux décors, aux tenues vestimentaires, et aux prises de vue. À nouveau, le lecteur constate que l’ambition des auteurs dépassent largement les apparitions de jeunes femmes dévêtues intercalées entre des scènes prétextes et bâclées. Dès la première case, de la largeur de la page, le lecteur voit la BMW avancer sur une route de campagne, avec le faisceau des phares, les arbres au bord de la route, les petits murets de part et d’autre de la route, les réverbères éclairant la rue à partir de l’entrée du village, un groupe de maisons, le clocher de l’église qui dépasse, et la silhouette de Johanna en train de conduire la décapotable, tout ça dans une seule case. L’attention du lecteur se reporte sur des éléments divers, des scènes étonnantes et sur des détails copieux : la concupiscence du vétérinaire totalement sous le charme, les soldats avançant dans la neige, une cabine téléphonique, un vase avec une délicate décoration, des colombes en train de de roucouler, les fourneaux d’un cuisinier, une luxueuse demeure avec ses deux tourelles, des affaires entassées au sommet d’une armoire, des fleurs dans un pot en étain, des plantes vertes de part et d’autre d’un canapé, une troupe de scouts marchant en groupe pour pénétrer dans l’aéroport, une vue en élévation d’un quartier du Caire, les tenues de scène des danseuses, la lampe d’Aladin (une contrefaçon pour touriste), etc. L’ensemble de ces accessoires très divers produit un effet d’accumulation d’une grande richesse, une narration visuelle généreuse qui ne se prend pas au sérieux.


Cette série avait débuté sous des auspices de prétexte avec un scénario peu consistant, une forme de divertissement amusant permettant à l’artiste de dénuder son héroïne (enfin héros, enfin pas exactement). Le scénariste Mythic avait apporté une intrigue plus fournie, tout autant dépourvue de prétention. Ce troisième tome poursuit dans cette veine : une honnête série B, avec une solide narration visuelle enjouée, et quelques passages dénudés. En filigrane, les auteurs s’amusent avec cet homme dans un corps de femme, sans être graveleux, mais plutôt insidieusement provocateur. Amusant.



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