Voici la preuve vivante que la femme est bien l’avenir de l’homme.
Ce tome est le deuxième d’une série de quatre albums, indépendante de toute autre. Il fait suite à Une femme dans la peau (2000) qu’il faut avoir lu avant. Sa première édition date de 2001. Il a été réalisé par François Walthéry, avec l’aide de Bruno di Sano, et un scénario de Mythic (Jean-Claude Smit-le-Bénédicte). Il compte quarante-six pages de bande dessinée. Cette série se compose de quatre albums : Une femme dans la peau (2000) par Walthéry, Georges van Linthout et Fritax, Dans la peau d’une femme (2001), Au malheur des dames (2002), Johanna la dame des sables (2005), ces trois derniers ayant été réalisés par Walthéry, di Sano et Mythic. Ces quatre albums ont fait l’objet d’une intégrale intitulée Au bonheur des dames (2023).
Un mois a passé depuis que Antoine Aubert s’est retrouvé dans le corps d’Isabelle de Blaigny et qu’il se fait appeler Johanna. Il ou elle se prélasse dans un transat au bord d’une piscine d’une grande demeure. Il enlève son chapeau de paille et va piquer une tête dans l’eau accueillante. De l’autre côté de la haie de séparation, le voisin est justement en train de la tailler avec un sécateur et une belle vue sur son affriolante voisine peu vêtue. Sa femme lui fait remarquer que cela fait trois fois qu’il taille cette haie depuis lundi alors que le jardinier s’en était chargé la semaine dernière. Le voisin de l’autre côté monte sur une courte échelle pour s’occuper de son arbre et bénéficier d’une vue imprenable sur la piscine. Son épouse lui fait remarquer que le fait de grimper toutes les cinq minutes dans cet arbre n’accélèrera en rien le mûrissement des prunes. Elle lui enjoint de laisser la nature suivre son cours. Johanna s’est rafraîchie et elle regagne le salon en se séchant, tout en pensant qu’il ne doit pas lui rester loin de trois mille euros de ses quatre premières séances photos : de quoi profiter encore de ce petit coin de paradis. Elle consulte le calendrier : mercredi 15, c’est le jour où sort le numéro de Top Nude Magazine dont elle doit faire la couverture.
Johanna s’habille, monte dans son coupé sport et file au village. Elle se rend chez le marchand de journaux et achète le dernier numéro de Top Nude Magazine : elle n’y figure pas, ni en couverture, ni à l’intérieur. Elle rentre dans la villa et téléphone au rédacteur-en-chef : deux mecs pas très rigolos lui ont racheté les photographies de Johanna. Elle appelle les trois autres éditeurs, tout en se déshabillant, toujours épiée par les deux voisins, les deux premiers lui racontent la même histoire, le troisième ne répond pas, et pour cause ses locaux sont en train de brûler dans un incendie criminel. Johanna reprend sa séance de bronzage sur son transat. Deux hommes, Gurd et Gert l’attaquent par derrière, la neutralisent, l’emmaillotent dans sa serviette de bain et la mettent dans le coffre de leur voiture. Ils partent sur les chapeaux de roue, et traversent le village. Une passante entend des bruits d’appel à l’aide dans le coffre et interpelle le conducteur. Celui-ci descend, ouvre le coffre, prononce quelques paroles et le referme. Il provoque l’appel à l’aide suivant qui se termine par S’il vous plaît. La passante est satisfaite par cette preuve de politesse. Ils repartent.
Le premier tome se terminait abruptement après une séance photo qui permettait à Johanna de se faire des centaines d’euros en liquide, et par la mention : Pour Antoine Aubert, une nouvelle vie commençait ; avec elle, de nouveaux horizons, de nouvelles sensations. Le lecteur avait pu en sortir avec un goût de trop peu : une histoire rondement menée aboutissant à un homme, Antoine Aubert, dans le corps d’une jeune femme magnifique, Isabelle de Blaigny, et voilà. Sans oublier un savant fou pour faire bonne mesure. Il entame le deuxième tome et constate qu’il s’agit de la suite directe du premier, un véritable chapitre deux, qui s’arrête lui aussi abruptement en plein milieu de l’action, pour se poursuivre sans nul doute le tome suivant. En revanche, côté densité de l’intrigue, le nouveau scénariste Mythic, qui succède à Fritax, réalise quelque chose de beaucoup plus consistant. Il résume le premier tome en quatre planches, quatorze à dix-sept, en y intégrant autant d’informations supplémentaires. Du premier tome, il reprend la petite phrase sur l’origine du professeur Markus : Pendant la guerre, il aurait bien connu le docteur Mengele. Isabelle / Antoine croise donc le chemin de vieux nazis sur le retour, très vieux même car la seconde guerre mondiale s’est achevée plus de cinquante-cinq ans auparavant à la date de parution de cette BD. Ces vieillards ont financé les recherches du professeur Markus avec l’espoir de la découverte pour allonger leur espérance de vie, pourquoi pas en changeant de corps, fusse-t-il celui d’une jeune femme.
Ce deuxième tome reprend également la recette du premier en termes de nudité, car il serait impropre d’utiliser le terme d’érotisme. Walthéry & Di Sano représentent des femmes nues : Isabelle se baignant dans la piscine avec un monokini très réduit, se déshabillant dans son salon, la soubrette Laurette nue dans le bain, une douzaine de jeunes femmes se baignant nues dans une rivière, puis se réveillant en culotte après avoir été opérées, ou encore dormant nues. De cette nudité, les artistes représentent la poitrine et les fesses, jamais le pubis, encore moins le vagin. Des relations sexuelles sont représentées à deux reprises : Isabelle se faisant caresser ou frotter au bain dans la même baignoire le temps de deux cases, une jeune femme à quatre pattes sur le lit se faisant déchirer sa robe par son mari qui admire son postérieur, les deux occurrences dans des plans éloignés d’un mètre et demi. La narration visuelle reste dans un registre de titillation assez gentil pour des relations consenties, sans représenter la nudité masculine. Il en découle une sensation de femmes à l’aise avec leur corps, tous parfaits soit dit en passant avec d’amples poitrines, des fesses rebondies et une taille assez mince, insensibles à l’incapacité des hommes à contenir leur concupiscence, encore moins à la maîtriser.
Toujours aussi surpris, le lecteur constate à nouveau l’implication épatante des dessinateurs pour représenter avec minutie les décors. Le rendu apparaît tout public, faussement simple, alors que le niveau de détails épate. Tout commence avec cette vue en plongée oblique sur la villa : la grille d’entrée, la voiture garée devant le bâtiment, la haie, les bosquets, la pelouse bien tondue, le patio, la piscine, les deux cheminées, les fenêtres, la baie vitrée, toutes les tuiles du toit, les vasistas, la gouttière, l’antenne satellite. En faisant le tour de cette case de la largeur de la page, le lecteur se rend compte qu’il voit aussi le jardin du voisin de droite avec sa table de jardin, sa propre piscine, monté sur une échelle pour s’occuper de son arbre fruitier. Dans la partie inférieure de la case, se trouve le voisin de gauche occupé à tailler sa haie, et le lecteur constate qu’il y a sa tondeuse à gazon un peu plus loin sur la pelouse. Tout cela dans une seule case ! Dans les différents lieux, l’attention au détail impressionne : les présentoirs permettant aux livres d’être à la verticale dans la vitrine du libraire, le sous-main sur le bureau de Marie-Ange, le triangle de signalisation accroché à l’intérieur du couvercle du coffre de la voiture de Curt & Gerd, le portail en fer forgé de la demeure des De Blaigny, les cadres sur les murs à l’intérieur de ladite demeure, le vase avec les fleurs sur la table de jardin, les coussins dans les fauteuils, les différents modèles de lampe de chevet en fonction de la décoration de la chambre concernée, les perles du lustre en cristal, la soixantaine d’invités à une réception dans une seule case tous différents, tous avec une tenue différente, etc.
Dans les différentes séquences, le lecteur retrouve tout ce qui fait le charme de séries comme Natacha ou Rubina. Les seconds rôles apparaissent à la fois familiers, diversifiés et sympathiques, même s’ils ne sont présents que le temps d’une case comme ces joueurs de cartes à la terrasse d’un café, le temps d’une page comme les propriétaires de l’appartement que louait Antoine ou les mères de Stumpf & Trap, ou apparaissant régulièrement comme Gurd & Gert qui semblent être jumeaux. Les séquences de dialogue bénéficient d’un véritable plan de prise de vues qui montre les gestes et les actions des interlocuteurs, ainsi que le lieu dans lequel ils se trouvent ou ils évoluent. Les scènes d’action sont narrées de manière rapides et efficaces avec un bon degré de plausibilité : l’enlèvement d’Isabelle de Blaigny qui se retrouve dans le coffre d’une voiture, le gazage du groupe d’une douzaine de jeunes femmes, l’autocar qui traverse le parapet d’un pont et le déploiement des services de secours, ou encore la fuite en voiture d’Antoine Aubert. Cela génère une lecture agréable, roborative et divertissante, dont les atours fleurent bon la nostalgie de l’enfance.
L’intrigue emmène le lecteur dans un film de série Z avec vieux nazis à la limite de l’impotence et le secret de l’immortalité à leur portée. À l’instar d’Antoine Aubert dans le tome un, ces hommes âgés ne se révèlent pas être de vieux impuissants libidineux car ils ne montrent aucun signe de vouloir explorer leur corps de femme, ni la sexualité qui va avec. Dans le même temps, cette transposition d’hommes en femmes s’avère par moment transgressive, et les auteurs savent relever cette saveur avec une pointe d’humour bien dosé. Impossible de ne pas sourire en voyant Isabelle de Blaigny reluquer le haut des cuisses de sa sœur qui porte une jupe très courte, même si c’est Antoine qui les regarde. Le lecteur mâle compatira bien volontiers avec le professeur Brandt qui a accepté que ses assistants déshabillent Isabelle inconsciente à l’issue de la fin de l’expérience, pour leur octroyer une petite récréation visuelle, même si c’est abus de faiblesse inadmissible dans la vraie vie. Le sourire gagne en vigueur en voyant ces vieux nazis dans des corps de belles jeunes femmes accomplir leur devoir conjugal avec entrain pour les besoins de la cause : y prendraient-ils plaisir ? Ou se soumettraient-ils au schéma social qu’ils ont connu devenant une épouse soumise à son mari ? Quoi qu’il en soit, la situation est cocasse.
Deuxième tome de la série, l’équivalent d’un deuxième chapitre dans une histoire qui en compte plus, mais aussi un tome plus copieux en termes d’intrigue. Une série Z divertissante qui ne se prend pas au sérieux, une narration visuelle enjouée et gentiment coquine, tout en étant très détaillée grâce à l’investissement impressionnant des artistes. Une lecture très sympathique et très agréable.
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