Ma liste de blogs

mardi 24 octobre 2023

War and dreams T02 Le code enigma

Tous ces étrangers qui font des milliers de kilomètres pour retrouver leur passé !


Ce tome fait suite à War and dreams T01 La terre entre les deux caps (2007) qu’il faut avoir lu avant. L’édition originale date de 2008. Il a été réalisé par Maryse Charles pour le scénario, et par Jean-François Charles pour les dessins et la couleur. Il compte quarante-six pages de bande dessinée.


Arizona, le sept décembre 1941. Joe Bubble, un cascadeur à moto, s’apprête à se lancer dans un dangereux parcours, sur un circuit de bois échafaudé à plusieurs mètres du sol, avec des pentes abruptes, un looping et même un saut au-dessus du vide en passant par des anneaux enflammés. En contrebas, la foule s’est déplacée pour voir cet acrobate sur sa puissante moto, dans son blouson en cuir avec son casque et ses lunettes. À l’arrière d’un pick-up, l’organisateur beugle dans un porte-voix monté sur un trépied pour conseiller à Joe de recommander son âme à Dieu, et de donner le signal du départ. L’homme s’élance et accomplit le parcours périlleux à la perfection sous les vivats de la foule. L’organisateur continue pour le bénéfice des spectateurs : Joe s’est surpassé aujourd’hui ; et il en profite pour rappeler que des photographies et des posters de Joe sont disponibles dans le stand, le fabuleux Joe Bubble. Ce dernier arrête sa bécane à proximité de sa roulotte, et la confie aux bons soins de Wutpaki, son assistant. Il se hâte ensuite dans sa caravane avant que les jeunes femmes qui lui courent après ne le rattrapent. Le soir venu, Joe Bubble va se détendre en compagnie de Wutpaki dans le bar local pour faire la fête. Il a une bonne descente, alors que son assistant ne boit pas d’alcool. Il va conter fleurette à Charleen, une belle jeune femme, qui est accompagnée par Andy. Joe s’embrouille avec lui et lui décoche une droite qui l’envoie au sol. Puis il embrasse Charleen d’autorité. Mais sur scène, le chanteur du groupe de country annonce que ce matin les Japonais ont attaqué Pearl Harbor !!



1942. Une flotte de B17, bombardiers américains de la 8e Air Force, en mission de jour, s’approche de Schweinfurt, ville allemande connue pour ses fabriques de roulements à billes. Le responsable d’escadrille indique que les pilotes doivent se mettre en formation d’attaque et rester groupés : un groupe d’avions ennemis approchent à deux heures. Joe Bubble occupe un poste de mitrailleur et il parvient à abattre son septième avion ennemi. Le copilote commente que Bubble est un cas : indiscipliné, grossier, une vraie tête de mule. Le pilote ajoute qu’il ne le prendrait pas pour témoin à son mariage, mais comme mitrailleur il préfère l’avoir avec lui. Les avions rentrent à la base, celui de Bubble a un peu de retard sur les autres, ce qui inquiète le colonel. Finalement il atterrit et Bubble en descend en indiquant au mécano qu’il peut peindre deux autres croix gammées sur la vieille carcasse de l’avion. John Mapples, un journaliste du Times, l’approche pour l’interviewer : il lui répond qu’il faut d’abord qu’il fasse connaissance avec une jeune militaire qui vient de passer.


Le premier tome présentait succinctement les principaux personnages à la fois dans le présent du récit, fin des années 1960 ou début des années 1970, et dans le passé, pendant la seconde guerre mondiale : Erwin soldat allemand ayant été affecté sur une plage de Normandie et sa nièce Marian, Archie Wyeth gradé britannique ayant servi en Égypte et son épouse Kate, Joe Bubble et son petit-fils Frankie, Julien un Français et son épouse Laure. Ce deuxième tome reprend cette alternance entre les différents personnages et les deux époques correspondantes, à savoir le temps présent du récit et celui des souvenirs de la seconde guerre mondiale. Dans la première séquence de cinq pages, les auteurs présentent Joe Bubble et en particulier son caractère de mâle dominant prenant ce qui lui plaît par la force et se mettant en danger. L’artiste fait revivre ces spectacles de cascade à moto, avec les prises de risque, l’improbable circuit en hauteur construit en planches et semblant bien fragile. Il s’amuse bien avec le comportement des groupies prêtes à se jeter dans les bras de l’alpha-mâle ayant défié la mort. Le portrait de Joe touche le lecteur, à la fois par son comportement à risque, sa concentration pendant son spectacle, son attitude extravertie dans le bar, son absence totale d’égard vis-à-vis des autres qu’il s’agisse de Charleen non consentante ou de son compagnon humilié d’un coup de poing.



L’évocation de la seconde guerre mondiale continue avec une bataille aérienne entre Américains et Allemands. Le lecteur peut voir que le dessinateur s’est documenté sur les avions B17, sur le poste de mitrailleur avec l’arme et les munitions. Il sait également construire des vues permettant de juger du positionnement relatif des avions dans le ciel, les uns par rapport aux autres. Comme dans le premier tome, les uniformes des différentes armes sont conformes à la réalité historique, ainsi que les armes, les accessoires et les véhicules militaires. Le lecteur peut également voir les baraquements et le bar où vont se détendre les militaires le soir. Puis vient l’évocation du service d’Erwin posté sur une plage de Cotentin. Le lecteur retrouve les bunkers et les ringstands vus dans le premier tome, ainsi que la représentation de la côte avec sa plage, les couleurs de la Manche et sa houle, ainsi bien sûr que les uniformes allemands. Il sourit en voyant à quel point le jeune Erwin est impressionné de se retrouver en présence du général Rommel (1891-1944) avec qui il partage le même prénom, en seul à seul. Avec Archie Wyeth, les auteurs remmènent le lecteur au Caire : une illustration en pleine page en ouverture, une vue de dessus en oblique d’une artère très affairée avec ses marchands, ses tentures pour faire de l’ombre, etc., puis une belle demeure avec un grand jardin presqu’un parc. Dans cette séquence, le capitaine se retrouve dans une bibliothèque surchargée de livres où Pierre Landilec lui montre une machine Enigma et comment s’en servir pour décrypter des messages secrets allemands. Après une magnifique illustration en pleine page de la Manche vue à partir d’un champ, Julien et Laure bénéficient de leur première scène à Lille pendant le conflit mondial : les soldats allemands en uniforme dans la rue et l’évocation du recrutement pour le Service de Travail Obligatoire (STO, de juin 1942 à juillet 1944).


Le tome se termine avec une autre opération militaire évoquée sur six pages : l’opération Crusader qui s’est déroulée du seize novembre 1941 au dix-sept décembre 1942. La scénariste fait le nécessaire pour rendre compréhensible cette phase du conflit en seulement quatre pages, avec succès. Les personnages principaux de la série ne participent pas à l’action sur le champ de bataille ; en revanche Milton, un ami d’Archie Wyeth, y combat au sein de l’armée britannique. La narration visuelle permet de regarder la colonne de chars des brigades du XXXe Corps franchir la frontière libyenne et avancer dans le désert sous le commandement du général Alan Gordon Cunningham (1887-1983), puis l’aérodrome de Sidi Rezegh avec ses avions, ses blindés et les véhicules des mécaniciens. Soudainement, le lecteur se retrouve au milieu des soldats britanniques alors qu’ils sont attaqués par les troupes allemandes, avec l’explosion des obus, les chars qui arrivent, les tirs de mitrailleuses lourdes, la poussière. Fin novembre 1941, l’armée allemande donne l’assaut et le lecteur voit dans une case occupant la moitié de la planche quarante-trois, les Panzers arriver de toute part sur les dunes. Comme dans le tome un, les auteurs ne cherchent pas à glorifier les actes de bravoure d’un camp ou de l’autre, ni même le génie tactique ou stratégique des commandements en présence : ils montrent ces situations à hauteur d’homme, laissant imaginer au lecteur l’effet que de telles épreuves peuvent avoir sur les esprits, et les conséquences durables.



Au cours du premier tome, le lecteur pouvait ressentir comme un parfum romanesque émaner des personnages : des êtres humains normaux de bonne composition éprouvés par l’expérience de la guerre. Avec la séquence d’ouverture, les auteurs rendent patent les failles morales de Joe Bubble : individu à la forte carrure habitué à imposer sa volonté par l’intimidation, sans même penser à mal, parce que cela lui paraît normal. Erwin reste un chic type dont le hasard de la naissance a fait qu’il se retrouve dans l’armée allemande sans que son libre arbitre n’ait pu influer en quelque mesure que ce soit. Archie Wyeth continue à se comporter comme un héros flegmatique, blessé de guerre, toujours œuvrant pour l’armée et son pays, faisant tout son possible pour que les informations décryptées par la machine Enigma et Pierre Landilec permettent de sauver le plus vite possible. Mais ses convictions se heurtent au pragmatisme de Landilec plus âgé qui lui explique que ce travail de décryptage nécessite de grandes capacités intellectuelles, mais aussi une certaine froideur, c’est-à-dire faire abstraction de ses sentiments. En outre, Archie trompe son épouse, et accablé par la réalité du principe de sacrifier quelques vies pour en sauver de plus nombreuses, il finit par proférer sciemment des propos antisémites destinés à faire mal. Julien le Français se retrouve également dans une situation moralement intenable, ne lui offrant pas de choix qui ne soit pas discutable. Tout du long, en total contraste, le lecteur peut se repaître des superbes représentations des environnements : outre ceux cités plus haut, une magnifique formation rocheuse gigantesque dans le désert de l’Arizona au soleil couchant, la plage devant l’hôtel où est descendu Joe Bubble, les plages du Cotentin, la très belle maison louée par Archie & Kate, la très belle vue Caire en voiture à cheval, une rue pavée de Lille avec ses cafés, la décoration de la chambre de Miss Sahara, une vue du Caire par un hublot d’avion en vol, la vue depuis la terrasse du restaurant de l’hôtel en Normandie.


Un deuxième tome très riche, entre violence des champs de bataille de la seconde guerre mondiale, douceur des plages du Cotentin et des déserts égyptien et libyen. Au fur et à mesure, les personnages gagnent en épaisseur et en complexité : de vrais êtres humains ayant été confrontés à des situations qui se sont imposées à eux pendant la seconde guerre mondiale, sans bon choix, avec un coût émotionnel assuré sans pouvoir être mesurable. Le Français, l’Américain, le Britannique, l’Allemand, chacun a vécu des expériences différentes, dans des environnements différents, tous représentés avec une sensibilité chaleureuse, et tous en sont sortis marqués. Une narration qui semble douce, aussi bien par la fibre romanesque que par la douceur des dessins, des situations traumatisantes avec des conséquences à vie.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire