Mais c’était appeler le diable pour secourir Dieu.
Ce tome est le dernier du second cycle de la série Croisade. Il fait à suite Croisade - tome 7 - Le maître des sables (2013) qu’il faut avoir lu avant. Sa première édition date de 2014. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Philippe Xavier pour les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Jean-Jacques Chagnaud. Il compte cinquante-trois planches de bande dessinée.
Ils trouvèrent le corps de messire d’Aubois au petit matin. Le corps transpercé, son sang bu par le sable. Un croisé vient rendre compte à messire d’Aost : d’après les traces, ils devaient être quatre ou cinq, venant de l’est, de Hiérus Halem. Comme semble l’indiquer les lances sarrasines. Curieux de les avoir laissées auprès de leur victime. Le crime est signé comme s’ils le revendiquaient. Un autre croisé intervient : la mort d’un chrétien reste une réjouissance pour un Sarrasin. Ils doivent s’enorgueillir de leur acte. Sire d’Aost s’étonne que le maître des sables ne tienne pas mieux ses hommes, car il sait que ce meurtre risque de remettre en question la paix établie entre leurs deux communautés. Il prend là un risque. Reste le plus difficile : apprendre à dame Sybille qu’elle vient de perdre son époux bien-aimé.
À la forteresse des croisés, Guy de Lusignan en côte de maille frappe à la porte de la jeune veuve et entre. Sybille d’Aubois indique qu’elle veut qu’on la laisse, elle veut être seule. Guy de Lusignan entre quand même et lui tient ce langage. Si elle désirait être seule, il aurait fallu qu’elle ferme sa porte. Il ne lui avait pas encore présenté ses condoléances. Il voit qu’elle souffre d’un chagrin bien profond, chagrin qui le surprend. Il est rare de voir une femme mariée pleurer ainsi son époux défunt. D’habitude, c’est plutôt un soulagement. Surtout lorsque l’épouse est aussi belle, aussi désirable. Oui, il ose, car il ne veut point la décevoir. Il estime qu’il y a eu assez temps perdu avec ce mari débile dont elle s’amusait. Ce que réclame le corps de Sybille, c’est la force, c’est la laideur d’un Lusignan. Il la renverse sur le lit et ils font l’amour. De l’autre côté de la porte, Renaud de Châtillon a parfaitement compris ce qui se passe. Il décide de s’éloigner, tout en se disant que la force de Lusignan n’est plus à prouver, mais que sa sensualité le pousse aux excès et qu’elle pourrait lui nuire plus tôt que prévu, ce qui l’arrange. D’Aost est revenu à la forteresse et il rend compte à Renaud de Châtillon : tous ses chevaliers sont outrés par le meurtre de messire d’Aubois et ils veulent se rendre séance tenante à Hierus Halem pour demander des explications au maître des sables. Il croit qu’il vaut mieux que de Châtillon se mette à leur tête afin d’éviter tout débordement. Les deux hommes se rendent à la fenêtre et voient les croisés armés s’exhortant à se rendre à Hiérus Halem. Dans la ville sainte, accompagné par le soldat Gollo, le sultan Ab’dul Razim se rend dans les appartements du vizir Zalkan pour exiger des explications. Ce dernier indique qu’il n’a fait qu’obéir aux ordres du mufti d’Alkar.
Ultime tome de ce second cycle qui fut également le dernier. Le lecteur retrouve avec grand plaisir la narration visuelle : claire, efficace, avec un savant dosage de densité d’éléments entre ceux minutieusement détourés, ceux esquissés et ceux apportés par la couleur. Le spectacle est au rendez-vous : ces pauvres croisés en lourde cotte de maille en plein désert, le bel aménagement de la chambre de Sybille d’Aubois (tapisserie figurative au mur, objets sur la tête de lit ouvragée, coussins brodés, coffre en bois avec des armatures métalliques, etc.), grande case de la hauteur de la page montrant la tour et les remparts fortifiés avec les croisés en arme brandissant leurs étendards, grand divan avec des broderies dans la pièce à vivre du vizir, grand portail en bois pour le palais du vizir (avec sa tête clouée dessus), vastes couloirs souterrains menant à la cellule du mufti d’Alkar, splendide vue générale de Hiérus Halem dans une case s’étalant sur les deux pages en vis-à-vis (planches 12 & 13), les arches du pont en pierre permettant d’accéder à la porte d’entrée de la cité, murs en pierre des geôles de la forteresse, architecture inoubliable du Djebel Tarr (inspirée par celle de l’église Saint-Georges de Lalibela en Éthiopie), etc. Chaque fois qu’il tourne une page, le lecteur découvre un ou plusieurs décors mémorables. Il n’est pas près d’oublier ce sphinx immense dans une pièce souterraine.
Comme dans le tome précédent, l’artiste dose avec élégance et une incroyable justesse le niveau de détails de chaque élément qu’il représente. Il peut descendre jusqu’à la représentation de chaque ornement doré sur un mur, comme il peut s’arrêter à donner l’impression donné par des motifs en haut relief sur un parement sans pour autant en détourer le tracé exact. Comme dans chaque tome de cette série, il bénéficie de la complémentarité de la mise en couleurs : là aussi un savant dosage entre approche naturaliste, installation d’une ambiance par une palette avec un ton majoritaire, éléments visuels supplémentaires apportés par les couleurs (texture du sol, nuages, etc.), jeu sur le contraste entre les différents éléments détourés pour qu’ils ressortent bien les uns par rapport aux autres, et rehausse de la profondeur de champ, de la distinction entre les différents plans. Le lecteur éprouve un grand plaisir à retrouver les personnages : l’armoire à glace doublée d’une montagne de muscle qu’est Guy de Lusignan sans oublier son atroce cicatrice lui défigurant la moitié du visage, la beauté parfaite de Sybille d’Aubois, le visage de Renaud de Châtillon marqué par le poids des responsabilités, la beauté plus sèche et plus altière du sultan Ab’dul Razim, le mufti d’Alkar à la constitution plus chétive, l’allure traditionnelle du héros pour Gauthier de Flandres, l’apparence passe-partout d’Osarias fidèle et discret compagnon du héros, la dégaine pouilleuse des flagellants, l’innocence de Nabhu la petite sœur de Lhianes, l’étrange consistance de la peau du visage d’Ottar Benk, etc.
Le lecteur ressent dès le début que le scénariste souhaite intégrer de nombreux éléments à son intrigue, ce qui donne un récit à la fois dense et rapide. Dufaux fait preuve d’une confiance totale en son artiste et son coloriste pour réussir tout type de scène : examen d’une scène d’assassinat, coucherie, manifestation de colère de toute une troupe de croisés, scène de rue dans Hiérus Halem, acrobaties dans une cité rupestre, propagation d’une entité spectrale nuageuse, et aussi des séquences reposant sur le jeu des acteurs pour l’aveu d’échec du mufti d’Alkar qui en assume la responsabilité de façon dramatique, échange tendu à haut risque entre le sultan Ab’duk Razim et Renaud de Châtillon en présence de leur armée respective, explication de la situation par le flagellant appelé Ultime Blessure, annonce de décisions entre Syria d’Arcos et le sultan, etc. Sans oublier les différents voyages à travers des étendues désertiques. Les fils de l’intrigue sont tellement bien intriqués, que le scénariste peut se permettre de ne faire apparaître son personnage principal qu’en planche vingt, sans même que son lecteur ne s’en aperçoive. Sachant qu’il s’agit du dernier tome de la série, l’horizon d’attente de celui-ci comprend la résolution des principaux mystères et des principaux conflits. Le scénariste ramène ses principaux personnages à Hiérus Halem, et le lecteur sait ce qu’il advient d’eux. Il délivre la dose d’actions attendues : exécution sommaire, chevauchée sur Hiérus Halem, infiltration dans le Djebel Tar, découverte d’une statue monumentale de sphinx, fuite éperdue pour échapper au Simoun Dja, et bien sûr une confrontation avec le Qua’dj. Contrat rempli.
D’un certain côté, le lecteur peut être surpris que X3 brille par son absence, mais finalement comme dans la plupart des tomes. D’un autre côté, le thème de la tentation court tout du long de ce tome : celle de puissance de Guy de Lusignan, celle mystique du mufti d’Alkar, celle temporelle du vizir, celle de faire plier les lois naturelles pour Ottar Benk, celle affective de Syria d’Arcos. Le lecteur constate que le scénariste a choisi de s’en tenir à une résolution morale pour le devenir de ses personnages, ceux ayant succombé à la tentation connaissant une fin prématurée, sauf peut-être pour Sybille de Lusignac. Les deux dernières pages apportent une conclusion claire sur le thème de la croisade en lui-même : La Croix et le Croissant repartirent en guerre. Il n’est pas donné de fin à notre histoire car elle parle de la folie des hommes… qui est éternelle. Et ainsi au soir des batailles vaines, passe toujours la lumière des martyrs. Sur son passage, crient les armures et les os. Comme s’ils répondaient à son appel : je cherche des martyrs. La guerre sainte. Encore. Et toujours.
Dans ce dernier tome, le lecteur retrouve le niveau de qualité des précédents : une narration visuelle alliant efficacité et spectacle, clarté et détails, avec un dosage admirable. Le scénariste mène à bien ses différents fils narratifs de manière satisfaisante, concluant sur la pérennité de la guerre pour ce second cycle, à l’instar de la conclusion sur le pillage des ressources pour le premier cycle. Sous couvert de la Croisade, se joue la tentation des hommes, le risque de se fourvoyer dans un comportement ou une voie dictée par la vanité d’une sorte ou d’une autre. Ces deux créateurs ont également collaboré pour réaliser la série Conquistador en 4 tomes.
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