Debout, Disciple ! Une fois de plus, la science a besoin que vous la serviez dans la joie.
Ce tome fait suite à Léonard T51 Génie du crime (2020) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant, mais ce serait dommage de s’en priver car il est excellent. Les gags ont été écrits par Zidrou (Benoit Drousie), dessinés et encrés par Turk (Philippe Liégeois) et mis en couleurs par Kaël. Il contient dix-sept gags d'une à six pages. La première édition date de 2021.
Léo sur la montagne, six pages. Comme à son habitude, Léonard entre en coup de vent dans la chambre de Basile Landouille, en hurlant à plein poumon : Debout disciple ! Raoul Chatigré est projeté à un bon mètre au-dessus du lit. Il déploie son parachute pour redescendre en douceur. Léonard expose la raison de son enthousiasme : le gouvernement italien lui a confié la prestigieuse mission de réactiver le tourisme dans les Alpes. Raoul se tient bien tranquillement, ses deux pattes sur le sol, en indiquant au lecteur que maintenant ce dernier sait comment les chats retombent toujours sur leurs pattes. Léonard gravit le flanc d’une montagne d’un bon pas, Raoul juste derrière lui, le disciple à la traîne derrière avec, sur le dos, une caisse cinq fois plus grosse que lui. - Woody haleine, trois pages. Mathurine Montorchon de la Serpillière s’affaire aux fourneaux ; Mozza avec son cartable sur le dos va faire un bisou à son père adoptif, puis lui indique qu’il ne sent pas bon de la bouche. On dirait qu’il a croqué des boules puantes. Léonard teste en soufflant sur ses mains, puis en les sentant : elle n’exagère pas. – Conteur de nuit, une page. Léonard entre en trombe dans la chambre de Basile en hurlant : Debout disciple ! Ce dernier lui fait observer qu’il est dix heures… du soir. Léonard répond qu’il s’agit d’une urgence.
Rock en stock, deux pages. Léonard entre en trombe dans la chambre de Basile en hurlant : Debout disciple ! Puis il le traîne par un pied pour lui faire descendre l’escalier. En bas, il lui montre une affiche pour le premier festival de musique rock au monde. Il lui demande d’imaginer : dix scènes à travers la ville de Vinci, des spectateurs par milliers, une orgie de décibels, les jeunes groupies en folie faisant tournoyer au-dessus leurs têtes leur souti… - Quelle bave petite, une page. Mozza entre en courant dans l’atelier en criant : tonton Basile ! Celui-ci se réveille difficilement alors qu’il avait la tête collé contre son oreiller posé sur le mur. Mozza lui demande d’admirer la jolie fleur que son papa Léonard lui a offerte, alors que ce dernier entre dans la pièce. - Chef de rayon, six pages. Il pleut et il vente fort dans la bonne ville de Vinci. Léonard entre en trombe dans la chambre de Basile en hurlant : Debout disciple ! Ce dernier répond : non merci. Pour encore se faire maltraiter tout le temps ? Il a déjà donné. Léonard avait prévu cette éventualité : il sort un étrange appareil en ferraille de sa barbe, l’actionne et une infirmière apparaît. Basile se lève d’un bond et court vers elle : il sert la science et c’est sa libidineuse joie.
Quand il ouvre un album de cette série, le lecteur sait ce qu’il vient chercher : Léonard qui se comporte en tyran, Basile toujours flemmard, servant la science (et c’est sa joie) et subissant maltraitance sur maltraitance, des inventions anachroniques, des remarques en coin de Raoul Chatigré, Bernadette, Yorick, une ou deux remarques bien senties de Mathurine, et une énergie communicative de la part de Mozza. Peut-être qu’avant tout, il vient chercher l’épatante narration visuelle de Turk : cet entrain communicatif dans chaque case, cette verve dans les expressions et les postures des personnages, la description solide et tangible de chaque lieu, sans oublier la petite touche de loufoquerie sur chaque invention. Son horizon d’attente est comblé à chaque page, et c’est un vrai bonheur. Il est visible que Philippe Liégeois continue de prendre un vrai plaisir à dessiner ces gags et à y intégrer des éléments visuels. Dans le pied de page de chaque dernière page de gag, le lecteur retrouve Raoul en train de prendre la pose. Dès la première case du premier gag, Raoul est là en train d’être violemment éjecté de l’édredon du lit de Basile. Page 12, l’oreiller personnalisé de Mozza est recouvert d’un motif de petits cœurs roses, sans oublier son petit tricycle dans un coin de la chambre. Dans l’atelier de Léonard, les outils abondent, ainsi que quelques inventions délaissées, et parfois Yorick posé négligemment sur une malle. Il ne manque ni un projecteur ni haut-parleur sur la scène du festival de rock. À l’occasion d’une pluie diluvienne, le lecteur attentif remarque en arrière-plan un habitant en bottes et ciré assis sur le rebord de sa fenêtre et ayant pêché un poisson, en page 16.
L’artiste s’amuse également avec la graphie des onomatopées, comme à son habitude. À l’opposé d’un dessinateur se reposant sur ses lauriers ou sur sa gloire, il investit du temps dans chaque case de chaque planche, faisant preuve d’inventivité à la fois pour les éléments qu’il glisse çà et là, à la fois pour certains effets. Par exemple, lorsque Basile se met à bosser à toute allure, il le représente plusieurs fois dans une même case, accomplissant différentes tâches. Il n’hésite pas pour autant à faire preuve d’autodérision. En page 8, Raoul, encore en train de descendre à terre en parachute, fait observer que : Le dessinateur de cette série (un fainéant notoire) a recopié telle quelle la case d’ouverture de cette histoire. Il a cependant commis 7 erreurs en recopiant son propre dessin. Pourras-tu les retrouver ? Solution en fin d’album. Le scénariste participe bien volontiers à ces facéties, intégrant également un rébus en page 32, un phylactère moitié en mots, moitié en icônes. La complicité entre les deux atteint un niveau supplémentaire avec le gag Reality chaud : Basile récupère une invention qui lui permet de passer de cette série humoristique à une série de type réaliste, en l’occurrence celle de Ric Hochet. Turk imite de manière convaincante les caractéristiques des dessins de Tibet (1913-2010, de son vrai nom Gilbert Gascard), tandis que Zidrou s’autoparodie puisqu’il a été le scénariste de la série Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet.
Depuis sa reprise de la série, en fonction des albums, Zidrou file plus ou moins un thème sous-jacent tout du long, ou au contraire le cantonne à une unique histoire de plusieurs pages. Ici, il a choisi un entre-deux : cinq histoires sur dix-sept évoquent les vacances. Il n’y a aucune critique du tourisme de masse ou de l’impact écologique, tout juste la volonté de mettre en valeur des sites naturels (par exemple avec une passerelle transparente dans les Dolomites), ou d’offrir plus de facilités (avec un soleil portatif personnel pour bronzer, ou une assurance santé spécifique). Comme d’habitude, le génie invente, et il s’agit pour la plupart d’inventions anachroniques, allant de la passerelle panoramique au voyage lunaire, en passant par le festival de musique rock, la couette à motif personnalisé, ou encore la trottinette électrique. Le lecteur adulte remarque que le scénariste s’inspire d’éléments contemporains comme le développement de l’usage de la trottinette en milieu urbain, ou la commercialisation de voyages spatiaux par Space X ou par Virgin Galactic, une mention aux Fake News et une autre sur l’empreinte carbone, la définition du terme Low cost (cela signifie qu’afin de payer moins cher son trajet, on accepte d’être traité non pas comme un client, mais comme une vulgaire marchandise). Le lecteur n’en sourit que d’autant plus quand il voit une invention d’époque : Léonard se lançant dans la réalisation d’une toile de maître dont il sent qu’elle fera date, sans pour autant réussir à bien choisir son sujet (le lecteur identifie des variations sur La Joconde). Le scénariste se montre même iconoclaste puisqu’à plusieurs reprises le génie se fourvoie : il se retrouve obligé de reconsidérer son invention, par exemple un bain de bouche devenant un déboucheur liquide miracle.
Comme pour le dessinateur, les gags attestent du plaisir que prend le scénariste à les imaginer. Il manie la dérision et l’autodérision avec une élégance consommée. Ça commence très fort avec Basile qui raille la Belgique (un pays plat dépourvu de génie), et avec Raoul qui s’adresse au lecteur en brisant le quatrième pour sa remarque sur la façon dont les chats retombent toujours sur leurs pattes. Il glisse sans avoir l’air d’y toucher une remarque sur la bien-pensance et les gens qui s’offusquent de tout : Yorick s’insurge contre un gag qui constitue un affront à la communauté LGBTQ. Bernadette lui demande ce qu’est cette communauté et il répond qu’il n’en a aucune idée, mais qu’en se dédouanant ainsi, ils évitent un procès pour discrimination. Il continue dans la même veine avec Mozza qui fait remarquer aux frères Schippatore qu’ils ont un nom tellement compliqué que personne n’arrive à le retenir. Puis les deux frères remarquent qu’il est également difficile de savoir qui est Anastasio et qui est Atanasio, sous-entendant que le scénariste lui-même n’y arrive pas sans aide-mémoire. Il n’hésite pas à inventer un vrai conte, celui des trois petits lapins, que récite Léonard pour endormir Mozza. Le lecteur de longue date est aux anges en constatant que les auteurs n’ont en rien diminué la maltraitance comique et irréaliste infligée au disciple, une caractéristique de la série revendiquée par Zidrou dans un précédent album, et qui pousse le raffinement cruel jusqu’à inventer un tromblon silencieux pour Léonard. Il en rajoute une couche, avec Bernadette, la souris, constant que la société protectrice des animaux refuserait qu’un animal soit traité comme Basile. Il se montre assez taquin en évoquant l’album numéro 113 comme étant le dernier de la série, car il y a peu de chance qu’il paraisse un jour. Il comble le lecteur en concevant un gag au cours duquel Léonard vide sa barbe de tout son contenu.
Un album de plus dans la série Léonard ? Oui, bien sûr, un album avec des dessins toujours aussi irrésistibles portant la marque d’une implication sans faille du dessinateur. Des gags aux sujets variés respectant les caractéristiques qui sont la marque de fabrique de la série. Des gags qui jouent dans des registres variés d’humour. Une connivence entre artiste et scénariste remarquable, plusieurs gags fonctionnant sur une interaction fine entre dessins et texte, et une capacité de dérision et d’autodérision remarquable. Un excellent cru.
Sixième tome de "Leonard' que tu chroniques.
RépondreSupprimer"Comme à son habitude, Léonard entre en coup de vent dans la chambre de Basile Landouille, en hurlant à plein poumon : Debout disciple !" - J'ai l'impression que ces cases sont très attendues. De ce que je vois, elles représentent à elles seules un véritable petit exercice de créativité.
"Quand il ouvre un album de cette série, le lecteur sait ce qu’il vient chercher" - Une attente qui répond à la plupart des séries, mais c'est peut-être encore plus fort avec les titres à gags. Les attentes sont élevées, gare à la déception.
"Léo sur la montagne", "Rock en stock", "Reality chaud", et j'en passe - Cela va même jusqu'au calembour qu'il faut être suffisamment inspiré pour renouveler avec un minimum d'imagination.
"le gag Reality chaud : Basile récupère une invention qui lui permet de passer de cette série humoristique à une série de type réaliste, en l’occurrence celle de Ric Hochet. Turk imite de manière convaincante les caractéristiques des dessins de Tibet (1913-2010, de son vrai nom Gilbert Gascard), tandis que Zidrou s’autoparodie puisqu’il a été le scénariste de la série Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet." - En voilà un que j'aimerais beaucoup lire.
6ème album de Léonard : quand j'aime une série, j'ai tendance à me montrer fidèle.
RépondreSupprimerUn véritable petit exercice de créativité : je suppose que la tentation doit être grande de reproduire à l'identique une case d'un album précédent. C'est une chose que je ne détecte pas chez Turk : il n'y a pas de baisse de son implication, et ainsi que que tu le pointes ça exige un belle constance dans la créativité pour ne pas s'auto-plagier.
Les attentes sont élevées, gare à la déception : dans mon souvenir (car je n'en ai pas relu récemment), c'est un peu ce à quoi j'avais été confronté avec les scénarios de Groot sur les albums précédents.
Les titres en forme de calembour : Zidrou a embrassé toutes les caractéristiques de la série, avec une implication et une inventivité à la hauteur de celle de Turk, évoquée ci-dessus.
J'avoue : j'ai pensé à toi en écrivant cette phrase sur le passage dans la série Ric Hochet.