Connaître, c’est excuser. Et si excuser n’est pas absoudre, c’est déjà résoudre.
Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, dont la première édition date de 2022. Aurélien Ducoudray en a écrit le scénario, Nicolas Dumontheuil a réalisé les dessins et les couleurs. L’ouvrage comporte soixante-dix-huit pages de bande dessinée.
Pendant la Renaissance, le Marquis se rend chez son ami le comte François de Dardille, en carrosse. Prologue : un moine sur son âne arrive en ville. Il passe devant les femmes au lavoir, en train de s’affairer sur la lessive de leur linge. Il descend de son âne, et soulève sa bure pour constater que son kiki est au repos. Il sonne à une porte et attend qu’on lui réponde, alors que la maîtresse de céans est occupée avec un gentilhomme le sabre au clair, et qu’un ménestrel chante au Clair de la Lune, en faisant ressortir le double sens des paroles. Finalement, la femme finit par ouvrir la porte et le moine peut donner libre cours à sa libido. Le carrosse du Marquis passe devant une église, et son passager demande au cocher comment ce dernier a trouvé le comte. Il répond qu’il ne saurait dire, car la continuité de compagnie ne favorise pas le discernement des différences. Tout ce qu’il sait, c’est qu’un courrier reçu semaine passée a fait appeler le Marquis semaine séante. Le passager arrête là la conversation et reprend sa place sur la banquette à l’intérieur de l’habitacle. Il se demande depuis quand les cochers parlent comme Molière. Va-t-il manier alexandrin en étrillant son bourrin ? Décidément ce siècle des Lumières les dispense vraiment sans discernement. À quoi bon donner talent à fonction qui n’en a pas usage ? Bientôt ils arrivent à destination et le Marquis descend du carrosse, puis monte les marches jusqu’au perron. Il est fort surpris que les deux laquais présents n’annoncent pas au propriétaire que son visiteur attendu est arrivé.
Le Marquis rentre dans la grande demeure et il va trouver par lui-même le comte François de Dardille dans son bureau. Son ami le remercie d’être venu et lui tend un acte notarié copieux, en lui indiquant quel paragraphe lire à quelle page. Le marquis se rend donc page huit, paragraphe quatre et lit : susnommé et en présence convenue sous l’égide du juge de Dieu monseigneur Soutiran convoque son mari François de Dardille à l’épreuve du Congrès. Tout en lisant, il a suivi le comte qui est entré dans son atelier. Il se met à couler un soldat de plomb tout indiquant au Marquis de poursuivre sa lecture avec le paragraphe six de la page treize. Le Marquis s’exécute : En cas d’insuccès, la comtesse votre épouse sera gratifiée de la moitié des terres, propriétés ainsi qu’une rente donnée à vie. Il s’interrompt saisissant bien la portée de ce qu’il vient de lire et indiquant à haute voix la nature de l’épreuve : Le congrès, c’est bien cette épreuve sous l’œil de Dieu où l’on doit prouver son adresse à contenter bibliquement sa bien-aimée ? Le comte répond qu’il n’est point d’adresse à s’ériger, il n’est que volonté, or lui n’en a plus. Il reste mou.
Si un doute plane dans son esprit, le lecteur peut consulter une encyclopédie et avoir la confirmation que la pratique du congrès a bel et bien existé pendant une centaine d’années, que le Parlement de Paris l’a supprimée le 18 février 1677. Le scénariste s’amuse donc à raconter comment un ami s’ingénie à revigorer l’ardeur d’un comte qui doit prouver sa virilité en public avec sa charmante épouse, au risque d’être dépossédé de la moitié de sa fortune en cas d’échec, en faveur de son épouse qui acquerrait ainsi un divorce. Dès la première page, le lecteur constate que les dessins présentent une forte personnalité. En effet l’artiste a décidé de proscrire sciemment la ligne droite, même pour les constructions humaines. Ainsi, les ailes du moulin à vent apparaissent de guingois, les essieux du carrosse sont fléchis, les pics de la fourche sont incurvés, les bâtiments de la ville en arrière-plan présentent également des contours légèrement courbés. Cela apporte un petit air de croquis réalisé à main levée, sans avoir bénéficié d’un encrage bien régulier pour une apparence finie et soignée. Cette page d’ouverture comporte également trois médaillons, chacun avec le visage d’un des principaux protagonistes, le comte, le Marquis, la comtesse. La carricature est de mise pour leur apporter un petit air comique, avec un nez trop long, ou une perruque improbable, ou encore des yeux trop grands. Le lettrage lui-même présente des irrégularités. L’ensemble semble comme animé d’un petit air dansant qui ne fait pas très sérieux. Pourtant cette page comporte de nombreux détails, à l’opposé d’une illustration exécutée à la va-vite.
Viennent ensuite les deux pages consacrées aux frasques du moine, dessinées dans le même registre avec des caractéristiques exagérées pour un effet comique. Pour autant le niveau de détails reste très élevé. En fonction de son envie, le lecteur peut passer rapidement sur chaque case, si l’histoire l’intéresse plus que son aspect visuel. Ou il peut prend son temps de déguster la saveur de la tonalité de la narration. Il commence par remarquer que l’arrière-plan est représenté dans chaque case, et pas juste par deux ou trois traits. Le dessinateur a investi le temps nécessaire pour délimiter chaque pavé de la voie empruntée par l’âne et son cavalier, chaque pale de la roue du moulin à aube, chaque tuile du toit protégeant le lavoir, chaque lame du plancher de la chambre où le moine donne libre cours à sa libido, chaque torsade des montants du lit à baldaquin. Ce parti pris de la narration visuelle se retrouve à chaque, à chaque case. Nicolas Dumontheuil en donne pour son argent au lecteur et même plus. Page 7, le carrosse pénètre dans le parc du château du comte François de Dardille et le lecteur peut admirer la façade du château, sa dépendance, la grille de la propriété en fer forgé, le mur d’enceinte en pierre, le jardin à la française avec les arbustes soigneusement taillés. Tout du long de l’album, il laisse son regard se promener pour profiter des différents environnements en extérieur ou en intérieur, du bureau du comte à une maison close haut de gamme, des rues de Paris à une escapade nocturne dans les bois. La richesse de la narration visuelle peut surprendre du fait des traits un peu lâches qui laissaient supposer une volonté de laisser l’entrain l’emporter sur la rigueur. En fait l’artiste sait marier ces deux caractéristiques sans en sacrifier aucune des deux, sans qu’elles ne s’annulent ou ne se contrecarrent.
Cette capacité peu commune de réussir des dessins alliant haut niveau de détails descriptifs et exagération amusante se retrouve avec la même élégance dans la représentation des personnages. L’artiste allonge un peu les nez et les rend plus pointus, les mentons souvent en galoche, exagère la finesse des chevilles et des mollets, agrandit les yeux écarquillés, de temps à autre accentue les expressions de visage. Dans le même temps, il prend grand soin de représenter les tenues vestimentaires en cohérence avec l’époque, en les variant en fonction du statut social du personnage. Il réalise des postures parlantes, sans que les mouvements soient grotesques. Le lecteur éprouve tout de suite de la sympathie pour François de Dardille, sa petite taille, son air gentil et un peu peiné par la situation dans laquelle il se retrouve, pour le Marquis avec son assurance et sa réelle sympathie et sa sollicitude pour son ami, les bonnes manières de de la comtesse Amélie de Figule. Il apprécie que la narration visuelle ne se pare pas d’hypocrisie, que la nudité soit représentée de manière franche, que ce soit celle des hommes ou des femmes, même un sexe masculin en érection. Pour autant le lecteur ne doit pas s’attendre à un ouvrage érotique ou pornographique. La question des capacités sexuelles du comte est au cœur de l’intrigue, et son ami fait tout pour l’aider à retrouver le désir et sa fonction érectile, sans que les images ne versent dans la prouesse pornographique.
Le lecteur ressent vite les effets de cette narration visuelle enlevée et qui ne se prend pas au sérieux, lui amenant un sourire sur les lèvres tout du long du récit, en même temps qu’un réel contentement du fait de la consistance détaillée de chaque élément représenté. Le fil directeur de l’histoire s’avère simple : le Marquis aide son ami par tous les moyens à retrouver sa dureté, tout en l’accompagnant lors des préparations, telle que l’examen de ses appareils génitaux par un médecin et un chirurgien et en lui montrant que son épouse la comtesse est examinée elle aussi. Tout cela culmine lors du congrès proprement dit, dans des conditions très publiques, avec un déroulement baignant dans la bonne humeur présente depuis le début, avec un rebondissement pour le moins cavalier. Arrivé au dénouement, le lecteur se rend compte que le scénariste lui a mis la solution sous le nez à plusieurs reprises de manière évidente et apparente. Au fil des séquences, il lui aura montré un individu noble très attachant, l’inventivité de mise dans une maison close pour varier les plaisirs des clients, une courte séquence avec des perversions fort surprenantes (comme l’agalmatophilie, ou la narratophilie), et donc les préparatifs de la cérémonie du Congrès. À l’évidence, l’union du comte François de Dardille et la comtesse Amélie de Figule ne relève pas du mariage d’amour, mais pour autant ce dernier n’est pas forcément impossible. L’acte charnel est montré comme existant tout autant à cette période qu’à l’époque contemporaine, même si les conditions sociales lui font prendre des circonstances différentes. Éprouvant une grande sympathie pour les personnages et amusé par la narration, le lecteur ne boude pas son plaisir. Avec un peu de recul, il se dit que l’évocation du Congrès rappelle de façon fort primesautière que les relations sexuelles, sous forme de tensions ou consommées, jouent un rôle central dans les relations entre hommes et femmes, et dans le fonctionnement de la société. Le Marquis évoque à deux reprises les nouveautés apportées par les progrès philosophique, littéraire et culturel du siècle des Lumières, ce qui contraste avec le caractère pérenne de l’acte sexuel, à la fois basique, et à la fois complexe au point que le comte n’en soit plus capable.
La couverture promet un conte coquin, avec un titre un peu sibyllin. Le plaisir de lecture est immédiat avec des dessins qui semblent ne pas se prendre au sérieux, pleins d’entrain, et très solides et généreux dans les détails. De la même manière, l’histoire se déroule de manière linéaire, placé sous le signe de la bonne humeur, sans pour autant tomber dans la farce, pour un divertissement fort bien écrit. En même temps, la page d’ouverture annonce une tragédie comédie en quatre actes et elle ne ment pas. Le titre est développé dans une réplique : Et réfléchissez bien, car si l’on tolère l’impudence des chiens, on est moins clément avec celle des humains. Le comte a une conscience aigüe de la réalité de son métier précédent : un soldat ne sert qu’à tuer. Et le congrès se déroule en public car La foule est le baromètre de la loi ; Une sentence comme un acquittement se gagne souvent à force d’applaudissements.
"la pratique du congrès a bel et bien existé pendant une centaine d’années" - J'apprends une chose. Je n'en avais jamais entendu parler. Une pratique "uniquement française", lis-je plus loin. Extraordinaire.
RépondreSupprimer"Pourtant cette page comporte de nombreux détails, à l’opposé d’une illustration exécutée à la va-vite." - Exact. Je dirais même que la densité de détail surprend.
"En effet l’artiste a décidé de proscrire sciemment la ligne droite, même pour les constructions humaines." - Un parti pris qui peut produire des résultats intéressants.
"sans que les images ne versent dans la prouesse pornographique." - Je pense que cela aurait été de mauvais goût, non ?
"agalmatophilie" et "narratophilie" - Encore d'autres choses que j'apprends.
"tout en rimes" - Je dois passer à côté, parce que je ne les vois pas dans les planches que tu proposes.
J'ai également découvert l'existence du Congrès avec cette BD.
SupprimerJ'ai également été surpris par la densité de détails car j'associais a priori ce genre de BD à un autre registre graphique, et ça apporte plus de consistance, ça rend les faits plus réels, à mes yeux.
Proscrire la ligne droite : dans mon cerveau et pour cette BD, ça produit un effet de style comme des intonations à l'oral qui font passer le message que tout ça est pour de rire, une blague.
La prouesse pornographique : je pense aussi que ça n'aurait pas été adapté à la tonalité générale du récit, ça aurait donné un autre sens à l'épreuve, une autre façon de l'envisager.
Agalmatophilie, narratophilie : je présume que le scénariste a laissé libre court à son imagination.
Tout en rimes : merci de me l'avoir fait remarquer : je viens de l'enlever. Je pense que je l'ai écrit avec la BD ouverte sous les yeux sur 2 pages, et que je n'ai pas vérifié pour toutes.