Mon grand-père disait qu’il fallait attaquer le cougar quand il a le ventre plein.
Ce tome fait suite à Molly West - Tome 01: Le Diable en jupons (2022) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant, mais qui éclaire des remarques éparses dans cette suite. Il a été publié en 2022. Le scénario est de Philippe Charlot, les dessins de Xavier Fourquemin, et la mise en couleurs a été réalisée par Chiara Zeppegno. Cette bande dessinée comporte quarante-six planches.
Dans un petit village du Texas, quatre pistoleros visent un fuyard. L’un d’eux explique à l’autre que le chicano Diego a des dollars plein les poches, et qu’il a fait le vantard la vieille au soir à la cantina. Des bons du trésor yankee qu’il a vendu à la banque centrale de Chihuahua. Encore un péon qui ne tient pas la tequila et qui parle trop. Diego court en zigzagant pour éviter les balles, mais il se prend les pieds dans des débris au sol et chute en avant. Il repère un cheval à quelques mètres, se relève et monte sur le canasson, réussissant ainsi à prendre la fuite. À Fort Stockton une ville du Texas, le major Hood se tient sur le perron de sa luxueuse demeure par une belle nuit claire. Arti s’approche en catimini derrière lui, à son insu et il l’estourbit d’un coup de bâton. Un peu plus tard, en ville, à Fort Stockton, le shérif sort du bar, en état d’ébriété. Il marche très content de lui, en sifflotant, sans se rendre compte qu’il est observé depuis une ruelle, par un jeune garçon avec un bâton dans les mains. Le lendemain, le juge et le shérif sont attachés à un des poteaux du saloon, affublés d’une robe, avec un écriteau sur lequel est écrit : Nous, juge et shérif de Fort Stockton travestissons la justice. L’ami, ne t’avise pas de libérer ces deux imbéciles avant la fin de la fête ! Un citoyen s’approche, un coup de feu éclate et une balle se fiche à ses pieds.
Après avoir tiré, Molly West part sur son cheval, accompagné par Arti sur le sien. Plus tard, il écrira : à ses débuts, Molly a eu la réputation d’une simple tueuse, sans état d’âme. Elle pouvait l’être. Mais elle savait aussi que la balle qui tue le renard dans le poulailler est parfois une punition un peu trop tendre… comme disait le grand-père. Dans la demeure des Hood, la mère est en train de repasser, cigare au bec. Son fils le major Hood entre dans la pièce. Ils évoquent les malles perdues : une a été retrouvée, l’autre a dû être récupérée par Molly West. La mère tend la tenue qu’elle vient de terminer à son fils : une longue tunique blanche et une cagoule pointue blanche également, ornée d’une moustache. Elle lui rappelle qu’il doit bien faire attention à contenter les partisans, mais aussi les tièdes. Il doit jouer sur les deux tableaux car il aura aussi besoin d’eux s’il veut être élu. Pendant ce temps-là, Diego cavale toujours avec quelques longueurs d’avance sur ses poursuivants, mais la distance diminue. Il plonge la main dans une de ses sacoches et il sème des poignées de billets au vent. Le résultat est immédiat, et il peut continuer sa chevauchée tranquille. Il rejoint Molly West et Arti.
Le lecteur savoure à l’avance de retrouver Isabelle Talbot, jeune veuve ayant pris le nom de Molly West, et de savoir ce qu’elle va faire de sa vie. Les auteurs ont décidé d’introduire des éléments de continuité. Le jeune garçon Artemus, surnommé Arti, reste donc à ses côtés, étant orphelin. Diego, Mexicain émigré aux États-Unis, décide également de s’en remettre à cette dame au fort caractère, ou en tout cas de contribuer à son nouveau projet. Elle a décidé de s’installer dans la petite ville de Lajitas et d’organiser une bibliothèque itinérante, à l’instar de celle dont elle était la responsable dans le premier tome. Le major Hood est également de retour avec sa mère. Le lecteur comprend donc qu’il découvre le deuxième tome d’une série au long cours. Il assiste à l’arrivée de trois nouvelles femmes, recrutées par Molly pour aller de ville en ville, et même de ferme en ferme, avec leur chargement de livres. Étonnamment, seule une d’entre elles indique son nom : Annie, une afro-américaine. Tout aussi déconcertant, ce tome ne comprend pas de tournée de la bibliothèque itinérante, et il n’est pas question de son fonctionnement économique. Le lecteur se serait attendu à ce que ces éléments soient plus mis à contribution au cours de l’intrigue, ou plus exploité.
L’histoire commence avec Diego : une scène entre cliché et humour visuel. Le personnage parvient à courir en évitant les balles de quatre tireurs. Il se prend les pieds dans des débris, mais parvient à se relever sans difficulté, à reprendre sa course, à atteindre un cheval et à s’enfuir, toujours sans être touché. Les dessins s’inscrivent dans un registre descriptif, avec une exagération légère des postures pour la course de Diego, un bon niveau de détails dans les décors. Planche suivante, le lecteur apprécie la mise en couleurs avec l’ambiance nocturne, le halo dégagé par les lumières du salon, celles du bar. La coloriste sait nourrir chaque case, sans nuire à sa lisibilité. Elle rend compte de la luminosité des zones désertiques, de celle moindre d’une pièce éclairée par les lampes à huile, de la grande salle du saloon légèrement plus sombre, du désert au soleil couchant, des lueurs de l’incendie, etc. Grâce aux légères déformations humoristiques, les personnages apparaissent pleins de vie. L’artiste ne pousse pas jusqu’à la caricature. Il donne un visage très lisse à Molly West, ce qui lui donne peut-être une apparence un peu trop jeune. Elle donne souvent l’impression de maîtriser la situation : le lecteur finit par remarquer que cela découle d’une représentation où elle bénéficie souvent d’une légère contreplongée, dominant ainsi son environnement. Arti fait preuve d’une légère candeur et d’un entrain transcrivant bien sa joie de vivre, mais aussi parfois sa profonde tristesse, des émotions plus intenses. Diego fait plus son âge, avec une forme de fausse assurance savoureuse.
Xavier Fourquemin donne vie à plusieurs autres personnages : la mère Hood avec son menton en galoche, le major lui-même visiblement très confiant dans son importance, les trois nouvelles femmes à la morphologie, au visage et à la tenue bien différenciés. Le lecteur se rend compte qu’il ralentit régulièrement son rythme de lecture pour prendre le temps de regarder un visage ou un autre d’un figurant dans une scène de foule. De même, les environnements valent le coup d’œil : les différents types de construction, de la maison la plus modeste, à la plus luxueuse, en passant par le saloon, jusqu’à la ville de Palmito Ranch. Les personnages voyagent d’un endroit à un autre, ce qui est l’occasion de pouvoir profiter des espaces naturels comme le désert rocheux, ou le désert de sable avec cactus, d’une descente de rivière sur un grand radeau et des falaises rocheuses qui l’encadrent par endroit. Le lecteur peut ne pas prêter plus d’attention que ça à la mise en scène ou à la construction des prises de vue, estimant que les cases racontent l’histoire de manière claire, ce qui est le minimum. Son avis évolue avec la planche sept qui ne comporte qu’un seul phylactère de quatre mots, et pourtant qui raconte beaucoup de choses, avec une scène plus complexe qu’il n’y paraît. Il s’en fait à nouveau la remarque dans les pages vingt-quatre et vingt-cinq dont seule la première comporte un unique phylactère. La narration visuelle ne joue pas sur l’esbrouffe : sa solidité devient palpable par moment, la rendant ainsi visible au lecteur.
Dans le premier tome, le scénariste faisait attention à bien situer son récit dans un cadre historique : juste après la fin de la guerre de Sécession. Il ne s’agissait pas pour lui de se livrer à une reconstitution historique pour aboutir à un exposé ou une analyse, mais de montrer que le sort de ses personnages est tributaire de la réalité historique, en particulier le sort à peine amélioré des esclaves qui n’étaient toujours pas les bienvenus dans les états du sud. Le lecteur comprend que le présent récit se déroule quelques jours après la fin du premier tome. Isabelle Talbot a bel et bien laissé son nom de baptême derrière elle, et les blancs regardent toujours les afro-américains et les latinos d’un air condescendant voire pire. Le suprématisme blanc reste à l’œuvre, montrant parfois son vrai visage sous une cagoule blanche avec un sommet pointu. Il apparaît rapidement que l’enjeu de l’intrigue est de contrer la nouvelle entreprise du major Hood qui a commis l’erreur tactique grossière de se rappeler au bon souvenir de Molly West en la menaçant. Dès la planche 6, les auteurs révèlent qu’il appartient à la société secrète terroriste suprémaciste blanche des États-Unis, la plus célèbre.
En fonction de ses attentes, le lecteur peut trouver cet opposant incontournable, se situant dans la droite lignée du comportement d’une partie de la population vis-à-vis des afro-américains après l’abolition de l’esclavage. D’autres pouvaient attendre plus d’informations sur les lois Jim Crow. Toutefois, passée la première moitié, le scénariste retrouve le bon dosage, l’équilibre entre le récit d’aventures tout public, et le contexte social façonnant les individus, la réalité de la ségrégation, des lynchages, et les réactions en conséquence de personnes comme Molly West. Comme le premier tome, celui-ci revêt des atours tout public, tout en montrant la cruauté abjecte de certains individus, et l’effet que cela produit sur la manière d’agir des personnages principaux qui ne sauraient être des héros lisses et sans reproche. En outre, Charlot intègre bien un élément historique : John Jefferson Williams (1843-1865, étrangement appelé John William Jefferson dans la BD), militaire de l'Union, mort à la bataille de Palmito Ranch, la dernière bataille de la guerre de Sécession, considéré comme le dernier soldat tué lors de ce conflit.
Après un premier tome déconcertant par son alliance d’apparence tout public, et de réalités plus pragmatiques et plus sordides, le lecteur espère bien que Molly West continuera sur cette lancée. Il peut sentir poindre une forme de frustration alors que le scénariste ne semble pas vouloir développer les ingrédients pleins de potentiel comme l’histoire du Ku Klux Klan, ou la personnalité des trois nouvelles femmes qui s’associent à Molly West. Dans le même temps, il finit par remarquer la qualité du travail d’artisan du dessinateur, les qualités d’une narration visuelle discrète et pourtant remarquable. Petit à petit, l’intrigue trouve une direction plus nette et l’histoire revient au niveau de celle du premier tome. Le lecteur sait qu’il reviendra pour le tome suivant.
"Diego court en zigzagant pour éviter les balles" - Un effet comique dont je n'ai jamais été fana. Ici ça va, ce n'est pas encore trop exagéré.
RépondreSupprimer"le sort de ses personnages est tributaire de la réalité historique, en particulier le sort à peine amélioré des esclaves qui n’étaient toujours pas les bienvenus dans les états du sud" - J'ai vérifié l'année de la fondation du Ku Klux Klan : 1865. C'est curieux, j'avais oublié. Cela a pourtant tout son sens.
"la dernière bataille de la guerre de Sécession" - De ce que je lis, cette bataille a même eu lieu plus d'un mois après que Lee eut déposé les armes (en avril).
"la qualité du travail d’artisan du dessinateur, les qualités d’une narration visuelle discrète et pourtant remarquable." - En examinant les planches, je ne pense pas que c'est le type de trait qui m'aurait convaincu d'acheter l'album. Cela n'engage que moi, évidemment.
Courir en zigzagant pour éviter les balles : une des conventions les plus éculées qui soit, avec les méchants qui canardent le gentil et aucune balle qui ne l'atteint. Il suffit de citer l'exemple des Stormtroopers de Star Wars.
SupprimerMerci pour ta remarque sur la date de fondation du Ku Klux Klan : je ne m'étais jamais posé la question. Effectivement, c'est plus qu'une simple coïncidence ou de la synchronicité.
Les planches de l'album : j'ai constaté que c'est une de mes limites quand je feuillète un album pour savoir si j'ai envie de le lire. Regarder les pages à la va-vite ne me permet pas de me faire une idée de la qualité de la narration visuelle, savoir si leur composition, la succession des cases, les prises de vue racontent l'histoire avec conviction, ou juste de manière plan-plan.