Très, très, très ailleurs
Ce tome fait suite à Capricorne - Tome 16 - Vu de près (2012) qu'il faut avoir lu avant. Il est recommandé d'avoir commencé par le premier tome pour comprendre toutes les péripéties. Sa première parution date de 2013 et il compte 46 planches de bande dessinée. Il a été réalisé par Andreas Martens pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il a été réédité en noir & blanc dans Intégrale Capricorne - Tome 4 qui regroupe les tomes 15 à 20, c’est-à-dire le quatrième et dernier cycle.
Le navire Cornwell avance tant bien que mal sur une mer démontée, avec des vagues de plusieurs étages de haut. Puisque Drake a, en quelque sorte, rendu son tablier. Puisque le capitaine Onslow n’est pas revenu de là-bas. Puisque le Passager et Ash sont impossibles à contacter. C’est sur les témoignages des matelots Remsen et Momsen que s’appuie cette partie du récit. D’après les deux marins, une ambiance tendue régnait sur le navire dès le départ. Ash et le Passager s’enfermaient dans leur cabine. Drake et Onslow restaient sur le pont en permanence à s’observer en permanence. L’équipage fait son travail en silence. Enfin, presque… Les deux marins constatent qu’il fait de plus en plus chaud. Momsen se demande pourquoi ils transportent autant de matériel de plongée s’ils vont sur une île. Remsen lui répond qu’il s’agit d’une île volcanique et que ces bouts de rocher-là ont tendance à disparaître sous les flots pour un oui, pour un non. C’est pour ça qu’ils ont une petite dame à bord, une plongeuse. Dans la salle de pilotage, le capitaine Duncan Onslow et Gordon Drake se tiennent côte à côte dans un mutisme entêté.
Pendant ce temps-là, à New York, Astor, Fay O’Mara et le nouveau Capricorne se dirigent vers une plaque d’égout. Ils enlèvent la plaque et descendent les barreaux métalliques. La dame s’interroge de savoir si elle est en train de bien faire, car s’ils s’en aperçoivent, ça peut lui coûter cher. Elle estime qu’elle n’est pas en train de guider le vrai Capricorne, mais son remplaçant qu’elle qualifie d’ersatz. En marchant sur la banquette de l’ovoïde, ils arrivent devant des objets domestiques à même le sol, et le cadavre d’Isaak. Une silhouette les informe qu’il a été assassiné. Un homme haineux et détestable est venu. Isaak n’a pas voulu donner ce que l’homme demandait, alors l’homme l’a tué. Et il a pris ce qu’il était venu chercher. L’homme s’en va. Les trois compagnons se remettent en marche. Bientôt O’Mara indiquent qu’ils arrivent à l’endroit voulu. Elle les laisse là. Capricorne et Astor se tourne vers la silhouette qui se tient dans la pénombre. Le premier demande à l’individu ce qu’il sait des cavaliers. L’autre se présente : il s’appelle Ira Zeus et il n’est pas mort. Aucune pointe n’a transpercé un organe vital : un hasard. Capricorne repose sa question : les cavaliers ? Puis il comprend son rôle de Capricorne, bien plus qu’un nom, bien plus qu’une fonction. New York se dote d’un Capricorne quand elle en a besoin. Elle peut rester sans lui durant des siècles. À la seconde où la nécessité se faisant sentir, elle choisit son défenseur.
Direct dès la première page : au plein cœur de l’intrigue. Donc, d’un côté : le Passager et Ash Grey continuent leur collaboration plutôt contrainte pour la seconde, en accompagnant Gordon Drake chef des Mentors, et le capitaine Duncan Onslow mystérieusement revenu. De l’autre côté, le nouveau Capricorne et Astor essayent de découvrir ce qu’ils doivent faire pour arrêter une mystérieuse menace dont ils ne connaissent pas la nature, tout d’abord avec l’aide de Fay O’Mara. Ensuite, le scénariste continue d’ajouter des pièces au puzzle, révélant ainsi des liens et des motifs qui avaient été présentés comme autant de mystères. Le lecteur s’en rend compte par lui-même, et il est également aidé par l’auteur. Ce dernier fait référence de manière explicite aux faits déjà racontés, en indiquant le numéro du tome correspondant dans la gouttière entre deux cases. Il cite ainsi les tomes 3, 9, 14, 15 et même le premier. En fonction de son degré d’implication depuis le début de la série et au fil des tomes, lecteur se souvient bien de certains, moins bien d’autres. Il peut prendre le temps d’aller chercher le tome correspondant pour se remettre la séquence visée en tête. D’un côté, il se souvient encore des deux marins Remsen et Monsen ; de l’autre cela fait une dizaine de tomes qu’il n’a plus croisé le chemin de Ron Dominic.
C’est parti pour une plongée qui ramène à une cité engloutie, elle-même pas visitée depuis une dizaine de tomes, et pour une descente en égout comme lors du deuxième cycle, celui consacré au Concept. Astor emmène même le nouveau Capricorne dans les tréfonds de l’immeuble au 701 Seventh Avenue à New York, un mystère laissé de côté depuis bien trop longtemps, car incroyablement prometteur. Wattman Worm est de retour de manière fort opportune. Il est à nouveau question des pierres d’apocalypse et de leur fragment manquant. Le Passager continue ses manipulations et ses projets secrets aux dépens de tous ceux dont il croise la route. Et bien sûr, comme à son habitude, le scénariste introduit deux ou trois nouveaux mystères, mais quand même moins nombreux que les révélations : les cavaliers, un individu au visage bandé, Fay O’Mara qui fausse compagnie à Capricorne et Astor dans les égouts, l’existence d’un gardien des pierres d’apocalypse. L’auteur continue de nourrir la dynamique du récit d’aventure. Il alterne entre les deux fils d’intrigue, Ash Grey d’un côté et le nouveau Capricorne de l’autre, et réalise des scènes d’action mémorables dans des lieux variés.
Le lecteur est également revenu pour l’inventivité de la narration visuelle. Dans ce tome, Andreas ne s’astreint pas à un exercice de style aussi contraignant que celui du tome précédent, où toutes les séquences à l’exception d’une seule étaient racontées en gros plan et en très gros plan. D’une certaine manière, il revient à une narration visuelle plus classique, ce qui ne veut pas dire plus morne. Dans un premier temps, le lecteur guette les planches à la composition extraordinaire. Cela commence dès la première où il lui faut un peu de temps pour prendre la mesure de la taille des vagues. Par la suite, il ralentit sa lecture pour savourer les très gros plans sur le visage d’Ira Zeus, la vision en plongée inclinée sur la pierre monumentale sous le gratte-ciel 701 Seventh Avenue, une disposition de cases en V très originale dans la planche 18 et fonctionnant parfaitement, un dessin occupant 80% d’une double planche et montrant une cité engloutie en vue du dessus, la planche 27 avec l’approche très cinématographique des cavaliers tout en préservant le mystère de leur apparence, un vol très gracieux d’oiseaux aux ailes effilées démesurées rendant leur corps minuscule dans une autre dimension. Le spectacle à couper le souffle est bien au rendez-vous.
Au fil des pages, le lecteur prend également conscience de la rigueur de la narration visuelle, même si elle ne saute pas aux yeux, même si elle n’en met pas plein la vue. Celle-ci est tellement naturelle et évidente qu’elle apparaît comme étant facile et fluide. Pour autant, s’il s’arrête un instant pour prendre du recul, ou pour refeuilleter le tome une fois qu’il l’a terminé, il voit comment l’artiste a joué sur les ombres portées, sur l’épaisseur des traits de contour ou de texture pour donner une identité visuelle différente à chaque séquence. Il perçoit à quel point chaque planche, chaque suite de cases est conçue pour sa part de la narration en harmonie avec les dialogues, et comment la narration visuelle en raconte beaucoup plus que les paroles. Il lui apparaît alors évident le chemin parcouru en termes d’expressivité par les postures et les visages. En planche deux, il faut voir Onslow et Drake côte à côte : il est évident qu’ils se défient l’un de l’autre, et qu’ils préfèreraient ne pas dépendre de l’autre. En planche trente, le Passager déclare à Ash Grey qu’il est indifférent envers les autres. Elle lui demande s’il en va de même envers elle. Suivent deux cases silencieuses avec le visage du Passager de profil au premier plan, et celui de Ash au second plan. Le lecteur comprend parfaitement ce qui se joue dans l’esprit de l’un et l’autre.
Au bout de deux pages, le lecteur est à nouveau complètement pris par l’intrigue, sans plus se soucier de faire preuve d’un esprit critique. Il prend plaisir à cette aventure de grande ampleur, à ces mystères dont certains trouvent une explication, à d’autres qui naissent. Il se laisse bien volontiers surprendre par les ressources déployées dans la narration visuelle, jamais répétitive, jamais se laissant aller à la facilité. Il ne cherche même pas à se demander si ce qu’il lit entretient un rapport avec l’expérience humaine quotidienne. L’auteur réussit ce tour de force de donner l’impression de réussir un plat inédit à partir d’ingrédients classiques. Bien sûr, après coup, il serait possible d’évoquer des ingrédients comme le voyage maritime, l’existence de créatures dépassant l’entendement humain, une relation abusive entre un homme et une femme, la difficulté de succéder à un autre, une forme d’égocentrisme tellement avancé qu’il ne permet aucune empathie, l’inéluctabilité de la fin du monde à (très, on l’espère) long terme. Mais l’art de conteur de Andreas est tel que le lecteur se défait bien volontiers ces considérations avant de commencer sa découverte d’un nouveau tome, ou au bout de trois pages au plus. Arrivé à la fin, il est rassasié, tout en se demandant combien de temps il va pouvoir résister à l’envie de découvrir la suite.
Je suis fasciné par ta conclusion que j'avais déjà lue sur FB. C'est tellement juste et tellement concis. Totale admiration. Pour le reste, je te rejoins mais là, il faut vraiment que je relise car bizarrement, à partir de ce tome, les histoires me sont moins resté en mémoire que les précédents, sans doute ai-je été trop rapide dans mes lectures car tout comme toi, j'avais très envie de lire la suite.
RépondreSupprimerMerci. Quand je suis arrivé à la conclusion, j'ai dû me creuser les méninges pour trouver quoi dire que je n'ai pas déjà écrit dans les tomes précédents.
SupprimerA ce stade de la série, je dois me faire violence pour ne pas enchaîner les tomes et prendre le temps de laisser reposer pour ne pas dévorer au lieu de déguster.
"Le navire Cornwell avance tant bien que mal sur une mer démontée, avec des vagues de plusieurs étages de haut." - Quelle superbe mer... Quelle planche incroyable... Je suis dans l'admiration la plus béate.
RépondreSupprimer"D’une certaine manière, il revient à une narration visuelle plus classique, ce qui ne veut pas dire plus morne." - Effectivement. Ton enthousiasme à propos de la partie graphique est très communicatif.
Je remarque la présence des canalisations et tuyaux dans les planches. Un élément récurrent qui me ramène au tome 8. Je suppose qu'Andreas estime que les souterrains urbains sont des paysages à part entière et que l'enchevêtrement de tuyaux et de canalisations offre un reflet aux masses de béton du dessus.
J'ai également été pris par surprises avec cette planche qui donne l'impression de ne pas porter la marque des tics graphiques propres à Andreas, en particulier les contours un peu anguleux.
SupprimerLa série conserve sa qualité spectaculaire, ce qui lui confère un entrain communicatif et c'est un beau compliment que tu me fais en m'indiquant que j'ai réussi à le faire passer.
Les canalisations et les tuyaux : d'un côté une forme de conceptualisation de ces éléments qui s'éloignent de la réalité, de l'autre côté un identifiant visuel fort d'un lieu qui permet de le reconnaître du 1er coup d’œil et de se souvenir de la séquence du tome 8... au point que même toi qui ne l'a pas lu fasse le lien !
A la lecture, je vois dans ces canalisations une incarnation de la dimension labyrinthique des tunnels souterrains, ainsi que le rappel de leur artificialité puisqu'ils comportent tous la preuve de l'activité industrielle (et urbaine comme tu l'exprimes) de l'homme. Je comprends bien que ce n'est que mon interprétation personnelle, et que ces enchevêtrements se prêtent bien à d'autres interprétations tout aussi valides.
Bon, j'ai les quatre noms des cavaliers de l'apocalypse. Ils proviennent tous de la série Rork, des personnages autrefois vivants. J'en avais reconnu un mais pas les autres avant ce tome 17. Il y a donc Yosta, Lévec, Shamah et Pharass.
RépondreSupprimerMerci pour ces liens que je n'avais bien sûr pas vu faute d'avoir lu Rork.
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