Comment a-t-il pu me mentir, me trahir, me tromper, me berner, me blouser, m’embobiner à ce point…
Ce tome contient une histoire indépendante de toute autre. Il peut aussi s’envisager comme le premier d’une trilogie, avec Le Démon d'après-midi… (2005), et Le Démon du soir ou la Ménopause héroïque (2013). Il s’agit d’une bande dessinée en couleurs comprenant 58 planches en couleurs, écrite, dessinée et mise en couleurs par Florence Cestac, avec l’aide d’Alexis Cestac pour les couleurs. La première édition date de 1996. Ces trois œuvres ont été rééditées dans Les démons de l’existence, avec une introduction supplémentaire de trois pages en bandes dessinées.
Noémie a eu une enfance campagnarde, entourée d’animaux de tout poil. Très vite elle a entendu jaspiner de la sale bête, c’est-à-dire : le démon ! Dans sa tête de petite fille, c’était une espèce de fantôme maléfique qui s’abattait sur les bêtes et les rendait cinglées. Et quand le fantôme s’attaquait aux gros gabarit, genre taureaux, bovidés, chevaux, ça devenait spectaculaire !!! Elle et son frère devaient faire avec le comportement parfois étrange de leur chien Youki s’excitant sur leur jambe. Ils observaient le père en train de séparer le taureau Popol et la vache Marguerite, à coup de fouet. Pour une raison inexpliquée, leurs parents ne souhaitaient pas en parler. Un jour, alors qu’ils venaient chercher leur quatre heures, les femmes étaient rassemblées dans la cuisine : l’ambiance n’était pas à la rigolade, et la cousine Cécile pleurait dans son torchon. Au tour d’elle, cinq autres femmes de la famille qui essayaient toutes de la consoler. Les enfants comprirent que c’était l’oncle Henry dont il était question, le mari de Cécile, et le mot fut lâché : c’est le démon de midi. Noémie comprend que ce démon s’attaque aussi aux hommes, sans savoir pourquoi celui-là est qualifié de démon de midi, pourquoi midi ?
Quelques années plus tard, Noémie allait être confrontée à la bête et comprendrait enfin la signification du midi : la moitié de la vie. Imaginer un gentil couple : elle 40 ans, lui 45. Ils ont fait un bon bout de chemin ensemble. Le nid est construit : le ou les enfants sont là (elle va n’en mettre qu’un pour simplifier), beau comme leur maman, vif et intelligent comme leur papa. Lorsqu’il rentrait de sa journée de travail, le papa avait des idées, il se montrait tendre et affectueux, délicat, câlin, chou quoi. Bouquet de fleurs, restaurant, cadeau. Il était content de retrouver son foyer. Mais surtout, il parlait, il racontait, le couple se racontait, partageait jusque tard dans la nuit. Mais depuis quelque temps, le papa est plutôt aimanté par le poste de TV lorsqu’il rentre. Gerbé au fond de son fauteuil, les pieds au chaud dans ses charentaises, il est comme hypnotisé par l’écran, et là son épouse peut tout essayer. Le gâteau préféré, la mise en pli avec une robe neuve et des chaussures neuves, la tenue affriolante. Et le mari ne sait que répondre excédé, qu’elle se pousse car son équipe mène trois à deux.
Cette bande dessinée a été adaptée deux fois : la première sous la forme d’une pièce de théâtre par Michèle Bernier avec le même titre (2000), la seconde fois sous la forme d’un film en 2015, réalisé par Marie-Pascale Osterrieth, avec Michèle Bernier dans le premier rôle d’Anne Cestac. Elle a reçu le prix de l’Alph-Art de l'humour en 1997, au festival international de la bande dessinée à Angoulême. Le lecteur découvre une narration de nature humoristique, avec des exagérations de mouvement, d’expression de visage, des situations comiques, et une acceptation douce-amère de la situation dramatique, très adulte. Cette situation est exposée du point de vue de l’épouse qui est trompée par son mari, et qui doit faire avec cette découverte à une époque de publication où le divorce commence à se répandre. De ce point de vue, la présentation faite de la situation peut s’apparenter à des évidences du fait de l’évolution de la société sur ce plan. Le lecteur peut également être désorienté par la manière dont le sujet est illustré, c’est-à-dire avec des personnages dit de type Gros Nez.
L’autrice adopte donc le point de vue de l’épouse pour évoquer plusieurs phases de cet adultère. Son avatar a bien conscience de ne pas être parfaite, et que leur couple a évolué depuis leur première rencontre, et leur mise en ménage. Il semble, même si ce n’est pas dit explicitement que Noémie soit une mère au foyer, sans beaucoup d’activités à côté, mais avec des amies. Cestac met en scène l’amour intense des débuts de la relation, et la conviction des deux tourtereaux qu’au départ, ils étaient persuadés de ne pas être un couple ordinaire. Puis vient la réalité du travail pour monsieur qui rentre fatigué, qui s’empâte, qui est de plus en plus souvent de mauvaise humeur, qui rentre de plus en plus tard, qui trouve que tout est nul, la dégradation des liens affectifs, et sa volonté de se remettre en forme et de changer de garde-robe et d’apparence. Il est bien sûr question de sa maîtresse même si elle n’apparaît pas dans les cases, qui est plus jeune que Noémie. Comme il s’agit d’adultes installés, la situation s’avère compliquée et elle ne se règle pas par une simple séparation une fois la tromperie mise à jour.
La lecture s’avère fort divertissante car la dessinatrice utilise des caractéristiques de la bande dessinée humoristique et même tout public. Les personnages sont affublés de gros nez très ronds et trop gros. Le lecteur est conquis par l’expressivité de leur visage, toutefois quand il prend un instant pour les regarder, il se rend compte de leur composition très exagérée éloignée du photoréalisme. Le nez est tellement gros, que l’artiste doit placer la bouche complètement sur l’un ou l’autre côté du visage, quasiment en bas d’une joue, et avec une forme soit réduite à un trait, soit évoquant celle d’un fer à cheval. Les yeux sont tous déformés : pas d’iris, le blanc des deux yeux qui peuvent se toucher, voire ne former qu’une seule et même surface, un trait pour chaque sourcil, quatre doigts à chaque main (avec quelques exceptions quand la dessinatrice leur en représente cinq), des lèvres trop grosses pour les femmes, des corps parfois un peu caoutchouteux permettant aux personnages d’adopter des positions d’une rare souplesse. Florence Cestac fait usage d’autres conventions graphiques humoristiques comme l’énergie inépuisable des enfants, les onomatopées comiques, les petits cœurs pour exprimer le sentiment amoureux, et même un petit Cupidon avec son arc et ses flèches, sans oublier un cœur brisé, un personnage dessiné la tête réellement dans le postérieur, Noémie avec un magnétoscope à la place du front, un personnage en forme de cochon dans le lit d’Anne, etc.
De même, dans la narration, l’autrice utilise des dispositifs comiques tels qu’une petite chaumière perdue au fond des bois pour évoquer un conte de fée, l’intervention d’un réalisateur pour critiquer un emploi trop poussé de la licence artistique, une femme en chapeau haut de forme et en juste-au-corps passant la tête entre deux rideaux rouges comme sur une scène de spectacle, faire la gourde dans un magasin de bricolage, un défilé de huit amants en deux pages, ou encore une possibilité multiple de fins. Le lecteur sourit du début à la fin, que ce soit devant le comportement pitoyable du mari ne sachant plus trop où il en est entre sa jeune conquête et son foyer, les conseils de ses copines pour se refaire une beauté afin de dégoter un amant, la reprise de contact avec ses amoureux de jeunesse, les différentes possibilités de fin sous forme de recombinaison de familles recomposées. Il est touché par des comportements très justes et sensibles : la dépression de l’épouse trompée, le constat du temps qui a passé en essayant de sortir à nouveau en boîte, les troubles chez l’enfant, etc. D’un autre côté, le temps a fait son effet : la situation d’une femme trompée, l’indécision du mari entre la nouvelle et l’ancienne, le retour sur le marché des célibataires et la position inconfortable de l’enfant sont devenus monnaie courante dans la société qui a lâché la bride aux possibilités de divorce. Le récit n’apparaît pas tant daté, que plutôt charriant des lieux communs qui n’en étaient pas à l’époque de sa publication.
Florence Cestac évoque l’usure du couple et l’infidélité de l’époux avec une femme plus jeune, vu du côté de l’épouse. Ses dessins très vivants donnent de l’entrain aux situations, les dédramatisant, sans pour autant neutraliser leur dimension dramatique. Quand Noémie passe par une phase de dépression, le lecteur ressent sa détresse et la disparition de ses envies. Du fait du point de vue féminin, l’épouse a plutôt le beau rôle, et le benêt de mari, le mauvais, même si elle évoque la pulsion sexuelle impérieuse ce qui le dédouane pour partie. D’un autre côté, il se conduit comme un individu immature, pas satisfait de sa situation présente, sans jamais se demander s’il ne va pas répéter les mêmes schémas avec une épouse plus jeune. La verve de l’autrice emporte le lecteur, même si l’évolution de la société a banalisé nombre des situations qui sont dépeintes.
Le style de la couverture me rappelle invariablement la série "Les Bidochon". Je ne sais pas pourquoi, parce qu'on en est quand même assez éloigné. C'est sans doute une couverture que j'ai en tête...
RépondreSupprimer"Cette bande dessinée a été adaptée deux fois : la première sous la forme d’une pièce de théâtre par Michèle Bernier avec le même titre (2000), la seconde fois sous la forme d’un film" - Alors là, surprise ; je sais que je suis déconnecté d'une certaine actualité culturelle et que ne m'intéressais sans doute pas au théâtre en 2000, mais je n'ai jamais entendu parler du film non plus. As-tu vu l'un ou l'autre ?
Je vois que nous sommes à nouveau chez Futuropolis. Je ne connaissais pas Cestac. Cet album inaugure-t-il un cycle ? Vas-tu lire "Harry Mickson" comme tu as lu "Dick Hérisson" ?
Les Bidochon : il n'y a pas le cynisme ou l'amertume de Binet chez Cestac, du coup mon esprit ne rapproche pas les deux.
SupprimerJe n'ai vu ni la pièce de théâtre, ni le film. J'avais vu Michèle Bernier en parler à la télé.
Chez Futuropolis : oui et non. Florence Cestac a co-fondé avec Étienne Robial la maison d’édition Futuropolis. En revanche, ce tome a été publié par Dargaud. Concernant cette autrice, mon intention de lecture ne s'étend qu'aux deux autres tomes Le Démon d'après-midi… et Le Démon du soir ou la Ménopause héroïque. Je suis allé voir quelques planches de Harry Mickson, ce qui n'a pas suffi (pour l'instant 😅) à susciter une envie de lecture.
Et bien merci pour le tour d'horizon de cette bd (pourtant adaptée deux fois !) dont je n'avais jamais entendu parler, ni de ses suites. Je note dans un coin.
RépondreSupprimerDe ce que j'ai pu reconstituer, Florence Cestac est une actrice importante dans le milieu de la bande dessinée en tant que co-fondatrice des éditions Futuropolis avec Étienne Robial, et en tant que bédéiste.
SupprimerVisiblement ses séries Harry Mickson et Les Déblok ont marqué leur époque (je ne les ai pas lues). J'avais souvent entendu parler du Démon de midi (la BD) et j'étais très curieux de voir une femme parler de ce sursaut de conquêtes chez les hommes. Je présume qu'à part Claire Bretécher, il ne devait pas y avoir beaucoup d'autrices à s'aventurer dans ce sujet dans ces années-là, en bande dessinée. Du coup, j'ai lu les deux tomes suivants qui évoquent la cinquantaine, puis la soixantaine chez la femme.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Harry_Mickson
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_D%C3%A9blok
Merci pour les liens et les explications !
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