Ce tome fait suite à Double Masque - Tome 4 - Les Deux sauterelles (2008) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il faut avoir commencé la série par le premier tome. Sa première parution date de 2011. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Martin Jamar pour les dessins, et Denoulet pour les couleurs. Il compte 46 planches de bande dessinée. Le scénariste et le dessinateur avaient déjà collaboré sur la série Voleurs d'empires en 7 tomes de 1993 à 2002. Tous les tomes ont été regroupés dans Double Masque - Intégrale complète en 2021 à l'occasion du bicentenaire de ca mort de Napoléon (1769-1821). Sur la quatrième de couverture, le scénariste a placé une citation de Jean-Antoine Chaptal (1756-1832) rapportant une anecdote sur le comportement de Napoléon, destructeur par habitude et par caractère. Il indique que ces anecdotes peuvent enrichir le contenu de ce volume en sachant que des milliers d'anecdotes de ce genre ne suffiront jamais à cerner ce personnage. Certains grands hommes, ou monstres de bel acabit, échapperont toujours au cadre.
Juillet 1804. Chute brutale de la température. Temps maussade. Ciel tourmenté. Une berline s'arrête sur les falaises de Bretagne. Le pays se débarrasse de ses espions, de ses comploteurs, de ses âmes damnées… Celle-ci l'est particulièrement. Il s'agit du sinistre abbé Sathanase qui fomenta avec Cadoudal un complot visant à éliminer le premier consul Bonaparte. Les deux soldats napoléoniens servant d'escorte font descendre l'abbé de la calèche, lui indiquant qu'il est libre. Mais l'un d'eux sort son pistolet pour l'abattre dans le dos, sur les ordres de Fouché. L'autre tire son couteau de sa botte et le plante dans le cœur du premier. Une troupe d'une dizaine de rebelles surgit de derrière les rochers, venant prendre en charge l'abbé : une embarcation l'attend en bas de la falaise pour lui faire traverser la Manche. Il refuse : le Sénat vient de proclamer l'usurpateur empereur des Français. Il y a pire : La dignité impériale sera héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon Bonaparte, de mâle en mâle, par ordre de progéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance. Sathanase sait qui recruter comme allié à la capitale.
À Paris, en face de l'île de la Cité, devant une baraque sur pilotis, la Fourmi et ses hommes s'occupent de monsieur Lenormand qui les a trahis. Pour essayer de sauver sa peau, celui-ci indique que la personne qui est venue le trouver était une femme rousse, travaillant pour Fouché et s'intéressant la Fourmi. Ce dernier le remercie, et le fait jeter à l'eau pour qu'il se noie. Il sait que la jeune femme est surnommée l'Écureuil. Il va lui tendre un piège en profitant de ce que Lenormand a fourni comme information. Le lendemain en fin de journée, l'Écureuil et quelques hommes de Fouché sont en planque devant l'adresse où la Fourmi rend visite à mademoiselle Sophie pour bénéficier de ses faveurs. Cette dernière arrive en calèche mais n'en descend pas : c'est louche. L'Écureuil décide d'intervenir.
Nouvelle phase pour la série : après la conspiration de Georges Cadoudal (1771-1804) et l'affaire du duc d'Enghien, voilà que l'abbé Sathanase décide de retenter sa chance contre Napoléon Bonaparte dont le projet de se faire sacrer empereur vient d'être annoncé. Le lecteur s'attend à ce que le scénariste poursuive sur la lancée et mêle ses personnages fictifs à un événement historique. Il retrouve effectivement Napoléon Bonaparte présent dans 19 pages, Joseph Fouché (3 pages), Jean-Jacques-Régis de Cambacérès (3 pages également). Dans ce tome, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838) fait une apparition le temps de 3 pages. Alors qu'une des premières réunions sur les préparatifs de la cérémonie de couronnement a lieu, Napoléon passe en revue les grands de ce monde présents, chacun luttant pied à pied pour assurer ses prérogatives : Cambacérès, Murat, Beauharnais, Kellermann, Paisiello et Le Sueur, Talleyrand, et des grandes dames dont seul le prénom est mentionné, Caroline, Pauline, Hortense. Dufaux continue d'aménager les silences de l'Histoire comme bon lui semble, que ce soient les manigances de l'abbé Sathanase (personnage inspiré de l'abbé Wenborm), le projet de crime monté par Joséphine Fouché, et bien sûr la séquence de six pages au cours de laquelle Napoléon âgé de 12 ans (en 1781) reçoit la visite de la dame voilée qui lui attribue un masque et le somme de choisir un nom d'animal ou d'insecte. Il accorde également une grande place à ses propres personnages.
Le lecteur retrouve ainsi la Torpille (François), l'Écureuil (Camille de Lestac), la Fourmi, monsieur Lecanet, la préposée au Mont de Piété, et un ou deux personnages secondaires supplémentaires. Le lecteur ne regrette pas l'absence de Fer-Blanc, artifice narratif un peu désinvolte. Il revoit passer la dame voilée et ses masques. Il est un peu surpris de la longueur de la scène au cours de laquelle Napoléon se voit attribuer son propre masque : 6 pages, mais en fait celle où la Fourmi obtenait le sien dans le premier tome se déroulait sur le même nombre de pages. Il constate que le scénariste semble bien s'amuser à construire son intrigue en mettant en mouvement plusieurs personnages, chacun avec leur stratégie et leur objectif, la plupart incompatibles entre eux, et ne progressant pas à la même allure. Le lecteur se retrouve alors incapable d'anticiper comment les événements vont tourner, ce qui augmente le suspense. L'abbé Sathanase parviendra-t-il à convaincre un allié assez puissant pour nuire à Napoléon Bonaparte ? Ça peut sembler vain puisque que le lecteur connaît vraisemblablement les grandes lignes de la vie du grand homme, mais le scénariste donne l'impression de ne pas se sentir tenu par la véracité historique. Le projet criminel de Joséphine Fouché aboutira-t-il et avec quelles conséquences pour la Torpille ? L'Écureuil va-t-elle se laisser gagner par l'attirance qu'elle éprouve pour la Torpille, ou est-ce qu'elle ne pourra pas passer outre l'affront qu'il lui a fait subir ? Quel rôle vont jouer la préposée du Mont de Piété, les boîtes qu'elle recevait à la fin du tome 3 ? En outre, le lecteur commence à douter que le scénariste ait quelque intention que ce soit de fournir une explication à ces mystères, que son projet est plus de jouer sur les éléments non connus de la vie de Bonaparte, plus ou moins incarnés par la Fourmi.
D'un autre côté, impossible de résister au plaisir éprouvé à retourner auprès de ces personnages : François essayant de ne pas perdre pied face aux puissants, l'Écureuil cherchant à ne pas se compromettre, la Fourmi refusant de se laisser intimider ou de perdre sa position, Bonaparte essayant de donner un sens au masque blanc, tous bénéficient d'une réelle présence, d'une personnalité grâce aux dessins de Martin Jamar. Outre une narration visuelle précise et minutieuse, et des découpages de page classiques et efficaces, quel plaisir que de pouvoir voir chaque lieu par ses dessins. Le lecteur commence par sentir le vent et la pluie cingler son visage sur cette côte bretonne, avec ces rochers massifs, et il en profite pour prendre son temps et détailler la carriole et son attelage, ainsi que les uniformes des soldats napoléoniens. Il passe en coup de vent dans un salon où Napoléon Bonaparte écoute un officiel en tenue lui expliquer la nature héréditaire de la dignité impériale. Il s'arrête sciemment pour prendre le temps de se repaître de chaque détail du dessin en pleine page montrant une vue de l'île de la Cité depuis la berge opposée, en légère surélévation, avec deux mouettes volant au premier plan, un pont, des embarcations, une maison sur pilotis, Note Dame en arrière-plan. Une belle reconstitution historique, réalisée avec soin et minutie.
Par la suite, le lecteur monte les escaliers derrière l'Écureuil dans un immeuble de rapport. Il regarde Fouché en train de s'admirer devant un miroir en pied. Il assiste à une rencontre entre la Torpille et Lecanet sur un autre pont de Paris, avec les immeubles de part et d'autre de la Seine. Il se rend au Mont de Piété, où il attend avec tous les autres. Il regarde le fouillis qui règne dans le cabinet d'étude de Bonaparte. Il se retrouve sur les quais bas de la Seine sous les arches lors de l'entrevue entre Bonaparte et la Fourmi, puis dans la cour de l'école militaire de Brienne en 1781. Il regarde François alité dans une chambre sous les combles. Il entre avec Joséphine Fouché dans l'échoppe d'un apothicaire. Il attend avec un cortège dans une grande allée de Fontainebleau.il prend grand plaisir à assister à un spectacle de montreur d'ours. L'implication et le plaisir de l'artiste transparaissent à chaque page, dans la qualité et la clarté de chaque représentation, dans la volonté de retranscrire au plus juste et au plus précis, ces lieux et cette époque. Le lecteur en vient à se dire que le scénariste a peut-être construit son histoire dans le but principal de fournir à l'artiste des séquences qu'il prendrait plaisir à dessiner, et qu'il a lié ça avec les mécanismes conventionnels du genre romanesque.
Le sacre de Napoléon Bonaparte approche et le futur empereur souhaite résoudre un mystère lié au chef du crime organisé à Paris, auquel il est lié par un mystérieux masque dont chacun possède un exemplaire. Le lecteur n'est pas bien sûr que le scénariste sache où il aille avec les différentes composantes de son intrigue, mais elles constituent une trame de fond parfaitement adéquate pour l'artiste qui emmène le lecteur à cette époque et dans ses lieux avec une force de conviction enchanteresse.
La première chose qui m'intrigue est la couverture, dont l'étrangeté me surprend. Je vois dans cet œil blanc et torve quelque chose de surnaturel.
RépondreSupprimerJean-Antoine Chaptal - Je ne connaissais pas cet homme. Un chimiste qui devient ministre de l'Intérieur ? Pourquoi pas ?... Tout aussi surprenant : "Il meurt dans la pauvreté en 1832".
Je t'avoue que jusqu'ici, j'étais resté plus ou moins insensible aux planches de Jamar. Mais là, de celles que tu proposes, j'admets bien volontiers que je suis épaté. Que ce soit la scène des falaises de Bretagne, cette vue sur l'île de la Cité, les arches, ou la forêt de Fontainebleau, je suis pantois d'admiration.
J'inclus les planches que je parviens à dénicher sur internet et qui ne sont pas forcément celles que j'aurais retenues si j'avais pu choisir en toute liberté. Je trouve que Martin Jamar peaufine de plus en plus ses planches au fur et à mesure des tomes.
SupprimerLes couvertures de la série ne m'avaient pas attiré : peu représentatives du contenu, sauf pour ce qui est du personnage qui est mis en avant dans le tome concerné.