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jeudi 28 avril 2022

3 minutes pour comprendre 50 moments-clés de l'histoire de la bande dessinée

Promesse tenue


Comme le titre l'indique, il ne s’agit pas d'une bande dessinée mais d'un ouvrage sur la bande dessinée. Sa première édition date de 2022 et il a été écrit par Benoît Peeters, écrivain et essayiste, scénariste de bande dessinée, en particulier le cycle des Cités Obscures, dessiné par François Schuiten. En particulier il est le co-auteur d'un ouvrage sur Chris Ware, avec Jaques Samson : Chris Ware: La bande dessinée réinventée (2010, révisé pour une nouvelle édition en 2022).


L'ouvrage commence par une reproduction d'une planche de Little Nemo in Slumberland, devenu géant et descendant le long d'une façade de gratte-ciel. Le sommaire annonce sept chapitres : Les précurseurs, L'âge d'or américain, La BD belge, Vers l'âge adulte, Le mondes mangas, L'ascension du roman graphique, La bande dessinée aujourd'hui. Puis vient une introduction de trois pages dans laquelle l'auteur se présente, ainsi que ses deux liens avec la bande dessinée : l'un comme lecteur passionné s'interrogeant sur les œuvres qui l'avaient le plus marqué, l'autre comme complice et ami d'un merveilleux dessinateur avec qui il a réalisé des bandes dessinées. Il évoque ensuite son ouverture à des traditions de BD différentes : les classiques américains, les auteurs côtoyés lors du festival international de bandes dessinées, et les mangakas rencontrés lors de ses voyages au Japon. Il passe ensuite à l'histoire de cet art, moins courte qu'on ne le croit, et au fait que de nombreux médias se soient développés après elle, de la photographie à internet en passant par le cinéma et la télévision. Il conclut en indiquant que ce livre cherche à faire découvrir la richesse du neuvième art et quelques grands moments de son histoire. Cette introduction s'achève sur une magnifique illustration en pleine page de François Schuiten.


Les précurseurs. Chaque chapitre s'ouvre avec un glossaire. Le premier explique les termes : Album, autographie, bande dessinée, estampe feuilleton, gravure, histoire en images, illustrés, images d'Épinal, légende, littérature en estampes, neuvième art, phylactère, reproductibilité technique, séquence. Puis vient un article sur deux pages, la première évoquant la biographie du créateur concerné (Rodolphe Töpffer pour le premier chapitre), et l'autre sous la forme d'un article présentant et analysant l'importance de cet auteur pour la bande dessinée, avec une illustration sur chaque page. Viennent ensuite les articles du chapitre. Ils se présentent tous de la même façon : la page de droite contient la reproduction d'une planche. La page de gauche commence par le titre, le plus souvent le nom d'un bédéaste, sous le titre se trouve la colonne centrale qui contient le développement lisible en trois minutes, dans la colonne de gauche le condensé en trois secondes, et la réflexion en trente secondes, et dans la colonne de droite deux ou trois autres biographies en trois secondes, et une citation en trente secondes. L'ouvrage se termine avec une page de sources bibliographiques, un index de cinq pages, et une page avec les remerciements et les crédits iconographiques.



Le lecteur jette un coup d'œil au sommaire qui s'avère clair et structuré. Il découvre l'introduction qui le rassure sur la légitimité de l'auteur, si tant est qu'il ne dispose pas déjà d'une idée de son parcours professionnel. Puis il entame le premier chapitre consacré aux précurseurs. Il découvre le glossaire, ayant conscience que l'auteur souhaite s'adresser au public le plus large possible, du novice curieux, au lecteur chevronné. Le premier peut apprécier la concision et la clarté des définitions, par exemple celle du mot Phylactère. Le second se fait une idée positive de l'approche en voyant la distinction entre les estampes, les gravures, les histoires en images, les imagées d'Épinal, et voyant prise en compte la dimension de la reproductibilité technique. Il parcourt ensuite les deux pages consacrées à Rodolphe Töpffer, l'inventeur de la bande dessinée : une courte biographie en seize années marquantes, chacune présentée en une ou deux phrases, un exemple de bande dessinée de ce créateur en bas de page, et sur la page de droite un texte développant et contextualisant l'importance de ce bédéaste. Le novice apprécie la densité d'informations et leur concision ; le chevronné prend la mesure du degré de précision desdites informations et de l'esprit de synthèse de l'auteur. Il passe ensuite aux cinq articles en double page de ce chapitre : Cham, Nadar, Doré, les premiers continuateurs - De Punch à L'Assiette au Beurre - D'Albert Robida à Benjamin Rabier - La Famille Fenouillard, de Christophe - De Bécassine à Zig et Puce.


Pour chacune de ces entrées, le lecteur retrouve la même structure. Il ne se demande pas dans quel ordre lire la page de gauche : il se rend vite compte qu'il peut y naviguer au gré de sa fantaisie. D'abord le texte principal en colonne au milieu : il y retrouve le même esprit de synthèse, à la fois très factuel, à la fois porteur du ressenti de l'auteur sur l'œuvre ou le thème qu'il développe. Il peut ensuite passer à la colonne de droite pour y déguster de petites bouchées : présentation de deux ou trois autres auteurs de la même époque, ou du même genre, et une citation soit du créateur présenté sur cette page, soit d'une autorité ou d'une célébrité apportant un éclairage différent et complémentaire en une remarque concise d'une ou deux phrases. Puis il passe à la colonne de gauche, avec ces deux parties : Condensé en 3 secondes, suivi de Réflexion en 30 secondes. Il est à nouveau frappé par l'intelligence des remarques, leur remarquable esprit de synthèse et d'à-propos. S'il est novice, il y découvre des observations éclairantes, d'une évidence étonnante. S'il est un amateur de bande dessinée s'étant déjà intéressé au sujet développé, il hoche la tête en se disant que ça reprend ce qu'il savait déjà, en l'exprimant d'une manière limpide. Il pense alors à la maxime de Nicolas Boileau, dit Boileau-Despréaux (1636-1711) : Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément. S'il possède quelques connaissances sur le sujet, il peut ainsi voir comment l'auteur a procédé pour synthétiser son propos, le structurer, et mettre en valeur les éléments qu'il a retenus et choisi d'exposer. Il ne peut ne pas être entièrement d'accord avec ses choix, tout en faisant le constat de la logique retenue et ce qu'ils apportent à l'exposé.



Le lecteur passe alors à la découverte de la page de bande dessinée reproduite sur la page de droite. Il peut bien sûr être un peu déçu par les dimensions de la reprographie, plus petite et par le fait qu'il n'y ait qu'une seule page. S'il est vraiment difficile, il ira jusqu'à se dire qu'il aurait choisi une autre page que celle retenue, parce que ce n'est pas sa page préférée de Spirou, d'Alix, ou de la Rubrique-à-brac. Même en se montrant ainsi pinailleur, il se dit que ça n'a pas dû être une partie de plaisir de pouvoir ainsi obtenir les autorisations pour pouvoir montrer ces planches. En effet, il n'éprouve jamais la sensation que les entrées ont été choisies en fonction d'un éditeur ou d'une autorisation, mais que la démarche s'est effectuée dans l'autre sens, et que l'auteur et les éditeurs ont obtenu les droits pour chacun des articles que Peeters avait au préalable conçus et rédigés.


Le lecteur est donc vite convaincu à la fois par la forme qui peut paraître un peu éclatée de prime abord, et par les choix effectués pour que l'ouvrage conserve un format qui ne fasse pas fuir le lecteur de passage. En effet, au gré de son envie du moment ou du sens du vent, le lecteur commence par la colonne ou le morceau d'article qu'il veut, les lit dans l'ordre que lui souffle son inspiration, et revient même lire les parties les plus courtes après le texte de développement pour relever un lien qu'il n'avait pas perçu de prime abord. En jetant un nouveau coup d'œil au sommaire, il perçoit comment l'auteur a composé son ouvrage, parvenant à trouver un ordre logique, à la fois d'un point de vue chronologique, à la fois d'un point de vue géographique. À l'évidence, un ouvrage de 160 pages ne peut pas passer en revue tous les bédéastes, ni toutes les déclinaisons de ce média. L'auteur a retenu sept axes de développement, chacun constituant un chapitre : Les précurseurs, L'âge d'or américain, La BD belge, Vers l'âge adulte, le monde des mangas, L'ascension du roman graphique, La bande dessinée aujourd'hui. Là encore, le lecteur peut estimer que certains choix sont sujet à discussion, et qu'il y a des oublis manifestes, et donc forcément scandaleux. Pour chaque chapitre, Peeters a sélectionné un créateur qu'il a estimé être le plus emblématique, dans l'ordre : Rodolphe Töpffer (1799-1846), Windsor McCay (1871-1934), Hergé (1907-1983), René Goscinny (1926-1977), Osama Tezuka (1928-1989), Alan Moore (1953-), Chris Ware (1967-). Mais bon, avec un peu d'honnêteté intellectuelle, le lecteur se rend compte que les auteurs qu'il tient comme essentiels, non pas pour lui sur le plan affectif, mais pour leur apport à la bande dessinée figurent dans les pages suivantes, soit bénéficiant d'une entrée en leur nom, soit d'un bref encart dans la colonne de droite.



De même, en fonction de son parcours de BD, le lecteur peut percevoir vers quoi les goûts de Benoît Peeters le portent plus, et par différence, le portent un peu moins. Par exemple, la page consacrée aux Shonen peut paraitre un peu légère. Il peut paraître surprenant que les fumetti n'aient pas droit à une entrée, ni les manhwas, même s'il reste entendu qu'un tel ouvrage n'est pas de nature encyclopédique. Pour autant chapitre après chapitre, il voit se dessiner une image historique et de grande envergure sur ce média, qui ne se contente pas de lieux communs ou de superlatifs, qui contient une densité d'informations extraordinaires, et qui se nourrit d'une lecture assidue de BD en tout genre, et de réflexions poussées. Le lecteur novice s'en rend compte quand il se dit que l'auteur vient d'exprimer clairement ce que lui lecteur a déjà confusément ressenti. Le lecteur expérimenté s'en rend compte quand il parcourt une entrée sur un auteur ou un sujet qu'il connaît bien et que dans une phrase simple, il identifie une réflexion pointue et pénétrante sur un élément technique ou historique qui n'a rien de trivial.


Le titre de l'ouvrage sonne comme une promesse creuse, comme un slogan marketing. En entamant ce tome, le lecteur découvre un ouvrage d'une grande rigueur, d'une grande richesse, rendant accessible des principes, des idées et des concepts qui n'ont rien d'évident avec une clarté peu commune. Il lui suffit de se livre à l'exercice de reformuler ce qu'il a lu, à un interlocuteur, pour se rendre compte de la précision du vocabulaire employé, et de l'intelligence des phrases, car y changer ne serait-ce qu'un mot revient à modifier le sens et devenir confus. Il prend un grand plaisir à lire chaque entrée, avec sa structure en apparence éclatée qui génère une lecture rapide et savoureuse, car le texte n'a rien de l'aridité d'un article encyclopédique, et il a tout de l'entrain d'un vrai amateur de BD partageant sa passion. Pour le novice, ce livre ouvre des horizons insoupçonnés, générant une soif de lecture devant tant de merveilles qui ne demandent qu'à être lues. Pour un lecteur expérimenté, il remet en place quelques notions dans une perspective historique, il en clarifie d'autres, et en approfondit même certaines, avec une iconographie d'une rare richesse, et d'une pertinence extraordinaire. Indispensable.



4 commentaires:

  1. "Rodolphe Töpffer, l'inventeur de la bande dessinée" - S'il est présenté tel quel, c'est qu'il est légitime et qu'il fait l'unanimité. Je dois avouer avec humilité que je n'avais encore jamais entendu parler de Rodolphe Töppfer. L'inventeur de la bande dessinée n'est donc ni belge ni français : il est suisse. Cet ouvrage lui rend au moins la place qu'il mérite.

    "le lecteur se rend compte que les auteurs qu'il tient comme essentiels, non pas pour lui sur le plan affectif, mais pour leur apport à la bande dessinée figurent dans les pages suivantes" - Je sais déjà que ne lirai probablement jamais cet ouvrage, car je n'y trouverai pas les auteurs que j'affectionne et que j'y trouverai bon nombre d'autres qui ne me parlent pas. Je suis pourtant conscient de mon entière subjectivité, mais rien à faire. Un ouvrage comme celui-là me ferait trop penser à une liste de lecture que l'on m'impose, et cette idée m'est presque insupportable.

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    1. "Anonyme" étant Barbüz...

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    2. Il me semble que j'avais déjà vu passer le nom de Rodolphe Töpffer, mais sans qu'il soit reconnu comme le père de la bande dessinée. Ici Peeters se montre plus catégorique, en cohérence, je présume, avec la plupart des historiens de la BD.

      Je n'ai pas pris cet ouvrage comme une liste de lectures imposées, mais c'est aussi lié à ma personnalité. Je l'ai pris comme des références quasi académiques, que je peux très bien ne pas apprécier, et que je n'ai pas envie de lire. Malgré ma solide curiosité, je n'en dispose pas d'assez pour avoir envie de lire les BD de Rodolphe Töppfer, sans ressentir ni culpabilité, ni manque, parce que je ne suis pas un historien de la BD, et je n'ai l'intention de le devenir. J'ai trouvé intéressant de pouvoir comparer mon panthéon à celui proposé. Je ne me sens pas tenu d'une manière ou d'une autre, de me conformer à cette liste. Dans le même temps, sa composante de chronologie de développement m'a remis plusieurs idées en place.

      Au-delà de cette comparaison, Benoît Peeters doit faire avec le nombre de pages alloué. Ce qui que certaines facettes de l'ouvrage s'inscrive plus dans la vulgarisation que dans l'encyclopédie. J'ai pris comme exemple dans mon commentaire, l'absence des fumetti, et d'autres types de BD comme les manhuas. Une fois ce livre fini, je me suis rendu compte que j'aurais bien aimé également un article comparatif entre le tronc commun des BD à l'échelle internationale, et leurs spécificités par pays d'origine.

      Je ne m'explique pas ta qualité d'anonyme car je n'ai pas touché aux paramètres du blog. Il me semble qu'il y a eu une mise à jour de blogger, avec quelques modifications visibles à l'affiche.

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    3. Je crois que le bogue d'identification trouve son origine dans mes paramètres et pas dans les tiens.

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