À qui se méfie de tout le monde, il est toujours donné un traître à châtier.
Ce tome fait suite à Complainte des landes perdues - Cycle 4 - Tome 3 – La folie Seamus (2023). Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, par Paul Teng pour les dessins, et Bérengère Marquebreucq pour les couleurs. Il comprend cinquante-quatre planches de bande dessinée. Pour mémoire, la parution du cycle I Les sorcières (dessiné par Béatrice Tillier) a débuté en 2015, celle du cycle II Les chevaliers du Pardon (dessiné par Philippe Delaby) a débuté en 2014, celle du cycle III Sioban (dessiné par Grzegorz Rosiński) en 1993.
Il était tôt au matin mais déjà la rumeur se répandait : Sioban était de retour ! Elle avait demandé à être reçue par sa mère Lady O’Mara. Les nouvelles semblaient de mauvais augure, il était dit que certains clans se rebellaient contre l’autorité des Loups blancs, la famille de Sioban. La mère et la fille discutent ensemble. Lady O’Mara explique à Sioban que sa cousine Aylissa a pris la tête de la révolte, une Sudenne comme elles. La fille répond que sa cousine est très belle, très douce, qu’elle charme les hommes sans jamais s’attarder, elle reste légère même lorsqu’elle frappe à mort. Elle est dangereuse, comme tout ce qui séduit, l’envoûtement du venin. Et sa cousine est séduisante, même si une méchante blessure l’a marquée au visage. Dans sa salle de trône seigneurial, Aylissa reçoit une dizaine de chefs de clan. Ils lui expliquent qu’attaquer les Sudenne, sa famille, leur semble prématuré. Même s’ils sont déjà nombreux, ils ont encore besoin de temps pour s’organiser avant de… Elle interrompt son interlocuteur : est-ce que ses droits au trône ne leur semblent pas assez légitimes ? Il faut qu’ils frappent !
Lord Henry Gerfaut intervient dans la discussion : il estime que les craintes des chefs de clan sont justifiées, ils désirent tous que les couleurs d’Aylissa remportent un succès éclatant. Mais pour cela ils doivent mettre toutes les chances de leur côté. Il continue : certaines forces dorment qui appartiennent à l’histoire de cette île. Qui sait ce qu’elles pourraient révéler s’ils leur prêtaient plus d’attention. Il y a parfois dans l’ombre des mouvements qui ne demandent qu’à resurgir. Un autre chef intervient souhaitant savoir de quelles forces il parle, et Lord Henry répond qu’il ne peut préciser ses pensées qu’à la reine seule. Ce qu’il fait une fois qu’ils se retrouvent tous les deux seuls à l’extérieur. Après qu’ils se soient éloignés hors de portée des oreilles indiscrètes, il demande à la jeune femme si elle a entendu parler d’une étrange sculpture qui remonte, d’après certains documents, aux temps où les Moriganes régnaient sur l’Eruin Dulea. Elle représente celle que l’on nomme la Bien-Aimée. Elle paraît inaltérable. Les éléments et le temps ne semblent pas avoir de prise sur sa réelle beauté. D’après ce que racontait sa tante, il s’agirait d’une Morigane.
Après les événements du tome précédent, le lecteur se doutait bien que les deux cousines ne risquaient pas de se rabibocher, mais de là à imaginer l’ampleur de la discorde… L’intrigue continue de mêler lutte de clans et de seigneurs, histoire familiale et mythologie propre à la série. Dans les tomes précédents, les auteurs ont su faire exister Aylissa comme personnage autonome. Pourtant, elle partait avec une apparence de collection de clichés, peut-être un tantinet sexistes (ça se discute) : une jolie jeune femme blonde, pas farouche, couchant sans vergogne avec de beaux mâles pour son intérêt personnel, usant de ses charmes jusqu’à l’exhibitionnisme, n’hésitant pas à éliminer le beau mâle après avoir obtenu de lui ce qu’elle voulait, service ou bribe de pouvoir. Une belle preuve de leurs talents de conteurs d’avoir su en faire un être humain cohérent, avec des motivations crédibles (la soif du pouvoir, une forme de revanche), une absence d’empathie confinant à la sociopathie. Au travers de ses actions, le lecteur a pu observer son incapacité de se conformer aux normes sociales qui déterminent les comportements légaux, sa tendance à tromper pour son profit personnel et aussi par plaisir, son mépris inconsidéré pour la sécurité des autres, son absence totale de remords. Elle sait parfaitement ce qu’elle veut, et elle est prête à user de tous les moyens à sa disposition. Elle le dit sans ambages à Henry Gerfaut quand il lui demande si elle a déjà fait usage de sorcellerie, en lui répondant qu’elle n’est qu’une pauvre femme, il lui faut bien chercher quelques avantages là où ils se trouvent. Elle en fait encore la preuve en acte en violant de manière abject un homme ayant fait vœu de chasteté. Une séquence crédible et répugnante où elle utilise son corps comme un outil qu’elle maîtrise à la perfection, en sachant pertinemment qu’elle souille et avilie sa victime. Le lecteur est le témoin impuissant de cet acte, tout comme les hommes de la troupe d’Aylissa ne résistant pas à la pulsion de se rincer l’œil, ce qui déchaîne une violence animale répugnante.
Face à cet individu sans scrupule, l’union fait la force entre Lady O’Mara, Sioban et Seamus. Le lecteur éprouve tout de suite un vrai plaisir à les retrouver, se souvenant des souffrances endurées par la première dans le cycle Sioban, voyant en la seconde la vraie héroïne tout en se souvenant qu’elle n’est pas parfaite, que le mal est au cœur du bien. À nouveau, le lecteur observe que les héroïnes ou les personnages principaux féminins se ressemblent un peu sur le plan physique, ce qui est cohérent avec le fait qu’elles soient parentes, même cheveux lisses pour Lady O’Mara et Sioban que pour Aylissa, même blondeur pour les deux premières (rehaussée de discrètes nuances par la coloriste), alors que les cheveux de la troisième sont déjà blancs. Il peut également apprécier leur changement de tenue d’une situation à une autre, non pas pour faire étalage de leur garde-robe respective, mais en adéquation avec leurs activités, avec des textures aussi discrètement apportées par les couleurs, entre robes et tuniques avec pantalons. Il remarque qu’il porte une même attention aux autres tenues vestimentaires y compris masculines et aux accessoires : cottes de maille et pièces d’armure, casques et chaussures, armes et boucliers, capes de différentes formes, bure, couronne fleurie de la mariée, longue robe avec col en fourrure pour le seigneur de Levonn, etc.
Le soin tant visuel que comportemental apporté à chaque personnage le fait exister et rend les querelles, les inimités et la haine franche palpables et habitées. La tragédie familiale qui se joue concerne de vrais êtres humains, avec chacun leur caractère, leurs valeurs et leur histoire personnelle. Le lecteur assiste aux intrigues, aux stratégies et aux coups bas, conscient des risques encourus par chacun, des enjeux, et des conséquences recherchées ou à craindre. Les auteurs montrent ainsi ces intrigues de palais, ces alliances de circonstances, et ces trahisons. Grâce à la mise en scène variée et aux plans de prise de vue élaborés, ils immergent le lecteur dans une salle où les chefs de clans écoutent debout avec respect une jeune femme assise, dans les chemins et rues du château fort avec son dallage et ses épais murs de pierre, dans des grandes étendues herbeuses sur des falaises en bordure de mer, en forêt, dans un grand camp de tentes, dans le sinistre château de lord Levonn, etc. À nouveau, il peut apprécier l’attention discrète portée aux détails en fond de case : un anneau dans une borne pour passer la longe de sa monture, les roues pleines en bois d’une charrette, des toits en chaume, un lourd présentoir supportant un livre massif à la lourde reliure, les ferrures des portes, les porte-bougies, les présentoirs des armes dans la salle d’armes, la paille au sol d’une hutte, etc.
Le lecteur retrouve avec plaisir les éléments de la mythologie spécifique à la série. Pas tous, car le fitchell n’apparaît pas dans ce tome. En revanche, il prend grand plaisir à voir que la statue de la jeune femme nue évoquée dans le cycle des Moriganes prend ici tout son sens. Cette sculpture livre son secret, au cœur de la série, littéralement un morceau de la complainte des landes perdues, dans un moment de destruction inattendu. Le scénariste va également jusqu’à évoquer l’arrivée de la première Morigane sur les terres de l’Eruin Dulea, mentionnant un personnage clé portant le nom de Lord Vivien, un seigneur qui avait aimé une Morigane. Il introduit un nouveau personnage féminin nommé Sedra Langg ayant un passé en commun avec Seamus, et… Le lecteur se demandait ce qu’il était advenu du petit frère de Sioban, Wulff ; il le voit réapparaitre, maintenant âgé de treize ans. Plusieurs pièces du puzzle semblent s’assembler pour commencer à former une image plus claire de l’histoire de ce territoire. Dans le même temps, le thème principal de la série alimente toujours la dynamique de l’intrigue : l’amour au cœur du mal, et le mal au cœur de l’amour. Les auteurs continuent de jouer avec cette dualité opposant amour et haine chez les individus, dépassant la dichotomie : le mal pouvant être la source de choses positives, et le bien de choses négatives. Alors que le dénouement de ce cycle approche, tout reste possible, y compris le fait que cette présence d’une force au sein de son contraire alimente un mouvement perpétuel.
La bonne Sioban saura-t-elle triompher des machinations de la méchante Aylissa ? L’antagonisme qui les oppose entraîne d’autres personnes dans cette confrontation destructrice, dans un monde médiéval teinté d’éléments fantastiques. Dessinateur, coloriste et scénariste font exister ce monde et ces personnages avec consistance et plausibilité, entre tragédies et drames, bien au-delà d’une simple dualité entre bien et mal.





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