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lundi 17 novembre 2025

Alerte 1/2 Le poids du doute

Une ère d’espoir pour les personnes atteintes de troubles complexes.


Ce tome est le premier d’un diptyque qui forme une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Johan Massez pour le scénario, les dessins et les couleurs. En fin d’album l’auteur précise que : Avant d’être une bande dessinée, Alerte a été un projet de série télévisée, écrit par lui, avec Vincent Vanneste et Frédéric Faurt. Ce tome comprend quatre-vingt-seize pages de bande dessinée.


Dans une robe de soirée sobre, Cathy Charlier se tient devant le miroir de la salle de bains : elle se regarde droit dans les yeux, effectue un raccord sur son rouge à lèvres, baisse la tête pour se concentrer et sort pour rejoindre la réception organisée par son employeur Pharmacom. Près de la porte, Cédric Vermeer demande à leur fils Adrien de faire un petit effort. Tous les trois se mêlent aux invités, et ils sont accueillis par Françoise Borel elle-même, la CEO de la firme. Elle leur présente son fils Rodrico, qui se trouve avoir le même âge que Adrien. Georges Vermeer les rejoint à son tour, saluant son petit-fils Adrien, rabrouant élégamment son fils Cédric en lui disant qu’il aurait pu lui prêter une cravate… et un rasoir. Borel indique à Charlier que les actionnaires ont hâte de faire sa connaissance. Elle leur présente. À l’extérieur, dans sa voiture, un homme constate que sa main tremble. Il sort et se dirige vers la pièce où Françoise Borel explique que Pharmacom s’apprête à mettre sur le marché le Zandler, un nouvel antipsychotique, mis au point par Cathy Charlier. L’homme s’avance vers elles, il tient un pistolet dans la main. Il le pointe vers les deux femmes, puis le retourne contre lui en plaquant le canon sous son menton, et il se suicide.



Le lendemain, dans sa maison, Cathy essaye toujours de faire disparaître les taches de sang sur sa robe, en la lavant à la main. Elle revoit l’homme se donnant la mort, et s’arrête envahie par l’émotion. Son mari Cédric entre et la réconforte en la serrant dans ses bras. Elle le remercie, jette sa robe à la poubelle, et part au travail parce que Borel les attend à dix heures. Elle part en courant, effectuant son jogging, à côté de son fils Adrien qui est à vélo. Elle lui propose de faire un mot pour qu’il n’aille pas à l’école : il la rassure, ça va, il a pris son médicament. Elle arrive dans le grand bâtiment abritant Pharmacom, va prendre sa douche, revêt sa bouse, et arrive à l’heure à la réunion, rassemblant les docteurs Vermeer et Hirsch, ainsi que madame Borel et la directrice de communication. Cette dernière explique que la firme ne fera aucune communication sur le suicide. Borel rappelle qu’ils devraient obtenir l’autorisation de mise sur le marché du Zandler d’un jour à l’autre. Elle continue : ils ne peuvent se permettre aucun faux pas, elle compte sur eux pour leur totale discrétion, à tous. Une fois la réunion terminée, Cathy est abordée par son assistant Bastien qui lui demande quand elle va lui parler de l’homme qui s’est suicidé. Elle ne lui répond pas car elle répond à un appel de Jean-François Anseel, un ancien collègue, maintenant professeur à l’hôpital universitaire de Montjoie. Elle accepte de déjeuner avec lui, car il veut lui parler de Milan Slojik, l’homme qui s’est suicidé dans le salon de Borel.


Une lanceuse d’alerte, un nouveau médicament : voilà qui peut entrer en résonnance avec l’affaire du Mediator, un crime chimiquement pur (2023) d’Irène Frachon & Éric Giacometti et par François Duprat. Toutefois, cette ressemblance s’efface rapidement car il ne s’agit pas d’un reportage journalistique, la lanceuse d’alerte est employée par le laboratoire pharmaceutique, et le scénariste a recours à des mécanismes propres à la fiction pour augmenter la tension dramatique. Dans la mesure où il s’agit d’un médicament qui va bientôt être mis à la vente, il n’a pas encore fait autant de victimes que le Mediator. Le lecteur relève alors les éléments qui viennent ajouter du suspense : le fait que Adrien, le fils de Cathy, soit sous traitement, avec une prescription à base de Zandler, justement le médicament mis au point par sa mère. Le fait que le responsable du laboratoire de recherches qui supervise Cathy soit également son beau-père. Le fait que des individus effectuent un cambriolage nocturne au cours duquel un ancien ami de Cathy soit agressé et grièvement blessé au point d’être plongé dans le coma et que son processus vital soit engagé. Et bien sûr la scène introductive traumatisante, avec un homme qui met fin à ses jours devant Cathy, après l’avoir menacé d’une arme à feu. Tout cela concourt à susciter l’attention et l’expectative du lecteur, avec un goût de thriller.



Le lecteur est immédiatement capté par la couverture : à la fois le dessin de type Ligne Claire, à la fois pour la mise en lumière un peu décalée. Pour cette dernière, l’artiste joue régulièrement avec. La scène d’introduction baigne dans plusieurs tons orange, évoquant à la fois une atmosphère chaude, créant une sensation de début d’étouffement, et annonçant le feu dévastant l’esprit et le corps de Milan Slojik qui le conduit à son geste. Le lecteur peut apprécier les légers décalages de couleurs, du réaliste vers l’expressionnisme. Le souvenir traumatique revécu en gris par Vathy, trouvant son écho dans le gris des laboratoires de Pharmacom, le rose soutenu lorsqu’elle déjeune avec Jean-François Anseel attestant du conflit émotionnel de Cathy, teinte qui trouve son écho dans la couleur du survêtement de l’épouse de Milan Slojik et dans la couleur extérieure des murs de sa maison, et la teinte vert foncé adoptée pour les scènes telles une eau profonde propice à une forme de noyade psychique. Le lecteur ressent l’effet de ces palettes, sans devoir le conceptualiser.


La couverture montre un dessin basé sur des traits de contour fins et assurés, sur des formes épurées, simplifiées, immédiatement lisibles. Les dessins dans les pages intérieures sont à l’identique. L’artiste a choisi de représenter les personnages de manière plus aérée que les décors, ce qui les fait ressortir et leur donne plus de vie. Pour autant, chaque individu présente des caractéristiques spécifiques : morphologie, chevelure, tenue vestimentaire, postures et expressions pour un langage corporel qui lui est propre. Le lecteur remarque dès la première planche que l’artiste prête une grande attention aux décors. Avec cette façon de représenter (traits fins et propres), il intègre de nombreux éléments. Par exemple, l’architecture intérieure de cette luxueuse demeure avec ses escaliers sans rambarde. Il reprend la même architecture extérieure que celle visible sur la couverture. Il établit des pièces avec de très grands volumes, un mobilier choisi, un piano pour meubler, des tableaux avec des formes géométriques, une prépondérance de rectangles, et une grande propriété avec des arbres à grand développement. Le lecteur peut ensuite comparer cette demeure avec le pavillon des Charlier et son aménagement, tout aussi épuré, avec un budget moindre. Puis il passe aux laboratoires de Pharmacom : un bâtiment très étendu à plusieurs étages, avec un immense parking, des bureaux dépouillés, et un mobilier purement fonctionnel, sans âme, une architecture monumentale faite pour rabaisser l’être humain. Par effet de contraste, le modeste pavillon de la famille Slojik apparaît beaucoup plus accueillant et douillet. Tout du long, le lecteur ressent le travail de conception de ces décors, l’effet qu’il a sur son état émotionnel et sur le comportement des personnages.



Le thème de lanceur ou lanceuse d’alerte se prête bien à un thriller : une variation sur la théorie du complot, la mise en danger de la personne, et une lutte asymétrique de type David contre Goliath. L’auteur a choisi de concentrer beaucoup de choses en la personne de son héroïne : à la fois la lanceuse d’alerte et la responsable du médicament dont elle doit dénoncer les dangers, et encore la mère d’un adolescent étant traité avec ce même médicament révolutionnaire. Le principe même du scénario repose sur le mécanisme d’un secret caché à dessein, de sa découverte, de son exposition pour tout expliquer, un processus narratif tendu et divertissant. Bien sûr, la pauvre héroïne risque tout (carrière, statut social, et même santé de son fils), et ses actions mettent sa personne en danger, ce qui est établi par l’agression dont est victime son contact et ami Jean-François Anseel, sous-entendant que le tour de Cathy est proche. Enfin, elle fait face à une entreprise disposant de moyens financiers sans comparaison possible avec ceux d’un simple individu, pouvant aussi bien commanditer une opération clandestine d’individus armés et mal intentionnés, que des moyens tout à fait légaux et conventionnels comme des avocats ou la désinformation. Sans oublier bien sûr les hauts responsables sans scrupules pour lesquels seul compte le profit, et pour qui les mots Ami ou Sentiment sont dépourvus de sens et de réalité. Sous réserve de passer outre sur les effets un peu appuyés, le lecteur constate que l’auteur reste d’un registre mesuré, sans transformer son héroïne en mère courage ou en super détective infaillible, encore moins en agent commando maîtrisant toutes les techniques de combat.


Première partie d’un diptyque sur une lanceuse d’alerte travaillant dans un grand groupe pharmaceutique. Toute ressemblance avec l’affaire Mediator s’arrête là, pour un thriller bien calibré, raconté par une narration visuelle élégante, expressive, avec des décors intelligemment pensés, et une mise en couleurs discrètement expressive. Prenant et inquiétant.



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