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mercredi 18 septembre 2024

Bruce J. Hawker T02 L'orgie des damnés

En cas d’échec… On ne verserait pas de larmes sur leur sort.


Ce tome est le deuxième d’une heptalogie. Il fait suite à Bruce J. Hawker : Cap sur Gibraltar (1985). Cet album a été réalisé par William Vance (1935-2018) pour le scénario et le dessin, et par Petra Coria pour les couleurs. Il a été prépublié dans les numéros 326 à 334 du journal de Tintin en 1981. La première édition en album date de 1986. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée.


La mer, éternellement à l’assaut des rochers… Une péninsule ouverte sur l’océan sans fin… Battue par tous les vents du large… Telle est cette côte… La côte de la mort ! Costa del muerte, ainsi l’appellent les vaillants pêcheurs galiciens qui l’affrontent jour après jour… Les mouettes volent au-dessus des flots, prêtes à plonger pour attraper leur nourriture. Les vagues continuent de déferler, agitées. Un navire approche : un homme sur le pont a remarqué le manège des volatiles : les rieuses, la côte doit être proche. Il converse avec un autre marin, ils ont vu les nuages noirs sur l’horizon, les mouettes ne traîneront pas dans le coin, ces gloutonnes, car le temps se gâte. Les nuages courent trop vite, c’est signe de tempête. Dans les entrailles du bâtiment, une cale fréquentée par une bande de rongeurs avides. Dans cette cale obscure, les cinq derniers officiers du H.M.S. Lark, suite au désastre de Cadix, ont été condamnés aux galères, on les emmène vers le Ferrol. Il ne leur reste que quelques heures de répit… Il faut agir… et vite !



Lui, c’était le commandant du H.M.S. Lark, Bruce J. Hawker. Bruce, fils d’une mère inconnue. Hawker, nom de son père adoptif. Le drame de ce gars : certains galonnés n’aiment pas remercier leurs subalternes, c’est choquant, ça ! Bien qu’il leur eût sauvé la peau, lui, un bâtard ! Bof, de toute façon, ça lui est égal. C’est le plus audacieux des cinq prisonniers. Ensuite son second, Lieutenant George Lund., un vieux loup de mer qui a participé à plusieurs grandes batailles. Malgré son courage, cet homme n’a jamais reçu le commandement d’un bâtiment, on ne sait pas pourquoi. Richard Burns, sous-lieutenant, souvent trahi par ses nerfs. Fils d’un imbécile qui l’a abandonné dans un orphelinat. Gentil garçon, mais… quel gaffeur ! James Jackson, lieutenant des Royal Marines. Il ne dit jamais rien, mais il pense trop… surtout à sa bouteille de gin. Il commandait une section d’homards sur le Lark. Enfin, le dernier, Percy Reeves, aspirant… Jeune, bouillant et indiscipliné, il fonce dans le tas, sans savoir pourquoi ! Il n’a pas eu la chance de voir le rocher. Alors là, vraiment… une belle brochette ! On comprend pourquoi l’amirauté leur avait confié cette mission impossible… En cas d’échec… On ne verserait pas de larmes sur leur sort. Hawker tire comme un beau diable sur ses chaînes et il parvient à faire céder l’attache dans le bois du navire. Il ne leur reste qu’à attendre ce putois de Sanchez qui viendra vérifier que les prisonniers se tiennent à carreau, à l’estourbir et à récupérer son trousseau de clés.


Le héros se trouvait en bien fâcheuse posture en fin, du tome précédent : enchaîné à fond de cale, avec quatre autres de ses compagnons Richard Burns, George Lund, James Jackson, Percy Reeves, tous condamnés aux galères du roi d’Espagne Charles IV. Ils sont ainsi incarcérés dans une frégate qui sous une légère brise, a quitté le port de Cadix pour rallier le port où ils doivent être jugés. Ce tome se passe entièrement à bord pendant la traversée, pendant trente-deux pages dans les entrailles du navire, et pendant les quatorze autres à l’air libre dont dix sur l’océan. L’artiste s’en donne ainsi à cœur joie avec les humeurs de la mer. Ainsi des vagues déchiquetées se brisent sur la côte de la mort, avec des gerbes torturées, et la vague créée par l’étrave du navire, pour le plus grand intérêt des mouettes rieuses prêtes à fondre sur leurs proies pour se nourrir. Quelques pages plus loin, la tempête a éclaté, la mer est démontée alors que Bruce J. Hawker est sur un frêle youyou. Les vagues s’entrechoquent avec fracas, les embruns saturent l’air. Planche quarante le soleil se lève sur ce tumulte, dans une magnifique composition tendant vers l’abstraction, jusqu’à un apaisement progressif. Le récit se clôt sur une case de la largeur de la page occupant la moitié de la hauteur : un navire qui vogue vers l’horizon sur un océan apaisé, le héros étant emmené vers son destin.



Le pauvre héros a échoué dans sa mission, il a été désigné comme un coupable idéal, et il refait donc le chemin en sens inverse, cette fois-ci à fond de cale. L’intrigue se focalise sur ce laps de temps durant lequel le lieutenant va chercher à s’échapper avec l’aide de ses quatre compagnons. Le scénariste montre l’enchaînement d’actions entreprises par le héros, qui se confronte aux aléas imprévisibles, à commencer par les réactions des membres de l’équipage espagnol, mais aussi les humeurs imprévisibles de la mer, et peut-être d’autres navires dans les parages. Cela peut sembler un peu maigre comme intrigue, mais aussi constituer une ossature propice à des scènes d’action spectaculaire, en plus du caractère imprévisible de la mer. Le lecteur peut anticiper certaines surprises : les efforts des prisonniers pour se libérer, l’arrivée inopportune d’un garde qui ne se rend pas compte de ce qui l’attend, un bouleversement inattendu qui va égaliser les chances entre les évadés et le reste de l’équipage. L’auteur ajoute une animation au sein du navire pour distraire l’équipage.


En auteur complet, William Vance imagine des scènes qui correspondent à ses goûts d’artiste. Outre les superbes images de mer, il investit un temps significatif pour représenter le navire espagnol, avec ses gréements. Après avoir empli ses poumons avec l’air du grand large, le lecteur se retrouve à fond de cale pendant six pages Le dessinateur associe des aplats de noir copieux aux contours irréguliers et déchiquetés dans la majorité des cases, et parfois des fonds vides avec un camaïeu vert de gris pour rendre compte de la faible luminosité. Au court de cette scène, Vance choisit donc les éléments visuels qu’il met en avant : le bazar dans la cale (tonneaux, cordages, toiles déchirées, débris divers inidentifiables), les rats explorant tranquillement à la recherche de nourriture, une lampe tempête, les planchers de bois, les poutres. Étrangement cela donne parfois la sensation d’un grand volume très long, assez inattendu dans un navire. Il en va de même dans la batterie (entrepont où loge l’équipage du vaisseau.) où les marins assistent avec enthousiasme à la fiesta Gitana.



L’artiste campe des personnages relativement typés. Les héros sont beaux, avec une imposante chevelure argentée (ou peut-être blonde) pour Hawker, et des visages un peu burinés pour ses compagnons. Ils sont bien découplés, tout en conservant une carrure réaliste et plausible. En regard, les Espagnols se reconnaissent d’abord par leur uniforme, tout comme les Anglais par la suite, tout en présentant un visage plus dur et patibulaire. Il y a une exception : Paco, le jeune homme qui est amené à danser avec la gitane Rawena. Par comparaison, les Anglais ont l’air plus distingués, avec des uniformes plus stricts, et des visages évoquant une société plus rigide. En planche onze, le lecteur découvre que le navire abrite une troisième population, dont Rawena, une femme magnifique, ensorcelant littéralement les soldats espagnols par ses talents de danseuse. Le lecteur succombe immédiatement sous son charme, et se doute que le héros sera tout aussi sensible que lui, tout en conservant son flegme tout britannique. Certes les personnages restent plus esquissés que développés sur le plan psychologique, pour autant la direction d’acteurs et le dessin en font des adultes plausibles.


La première page consacrée au vol des mouettes rieuses au-dessus de la mer démontée assure le lecteur que le créateur prend un vrai plaisir à cet environnement maritime. Il se laisse également facilement prendre par l’ambiance régnant dans la cale, puis dans la batterie. Il prend le temps de savourer la case occupant les deux tiers supérieurs de la planche onze avec cette composition alliant un combat de coq au premier plan avec un spectateur certainement parieur totalement fasciné par le spectacle, et Rawena en train de danser au troisième plan, avec le reste des spectateurs en arrière-plan. Après un duel au couteau bien tendu grâce à la mise en scène, il admire la capacité de Bruce J. Hawker à neutraliser un homme armée grâce à de la poudre. Le narrateur enchaîne ainsi des moments visuels ou des actions mémorables : la violence de la curée alors que l’horreur s’est emparée de la batterie, la fuite périlleuse à bord du youyou sur une mer très agitée, le jugement sans appel d’un capitaine anglais prononcé à l’encontre de Bruce J. Hawker.


Deuxième voyage en mer pour Bruce J. Hawker, placé sous des auspices peu favorables. L’auteur choisit une action ramassée sur une poignée de jours, se déroulant entièrement en mer. Il montre l’océan sous plusieurs jours, avec un art consommé et un vrai plaisir. L’intrigue s’avère linéaire et prévisible pour une bonne partie, le plaisir de lecture se situant dans ce savant dosage entre aventures classiques et une implication sans faille qui apporte une saveur personnelle à chaque scène.



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