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lundi 9 septembre 2024

Affaires d'Etat - Extrême Droite T03 Commando noir

En taule, l’optimisme est une qualité précieuse.


Ce tome est le troisième d’une tétralogie qui fait partie d’un groupe de trois séries, les deux autres étant Guerre froide qui se déroule dans les années 1960, et Jihad qui se déroule dans les années 1980. Il fait suite à Affaires d'État - Extrême Droite T02 Eaux troubles (2022) qu’il faut avoir lu avant. La première édition date de 2023. Il a été réalisé par Philippe Richelle pour le scénario, par Pierre Wachs pour les dessins et par Andrea Meloni pour la mise en couleurs. Il comprend cinquante-quatre pages de bande dessinée.


Début des années 80, quelque part en Bourgogne, deux employés de sécurité montent la garde d’une immense villa. Un hélicoptère arrive de nuit et se pose sur la pelouse. Ils sortent immédiatement pour indiquer qu’il s’agit d’une propriété privée. Le pilote se présente : docteur Mankiewicz, médecin urgentiste. Ils viennent de prendre en charge un homme victime d’un grave accident de la route non loin d’ici, le SAMU va l’amener d’un instant à l’autre. Il leur demande d’ouvrir le portail d’entrée, ce que font les deux gardes. Une ambulance pénètre dans la propriété et des hommes cagoulés et armés en descendent. Ils neutralisent les deux vigiles et leur demandent de désactiver le central de surveillance. Ils volent le grand tableau de maître exposé dans le salon et repartent en ambulance, en faisant exploser l’hélicoptère. Trois jours plus tard, dans le cimetière d’Asnières, dans la banlieue de Paris, Alistair descend de sa voiture et serre la main d’Yvan. Ce dernier explique qu’il s’agit d’un cimetière pour animaux, et qu’une concession ici coûte beaucoup plus cher qu’au Père-Lachaise. Ils se mettent d’accord sur un prix de dix millions de dollars américains pour revendre le tableau.



À Marseille, un jeune homme prénommé Rachid se fait serrer en bas d’un immeuble pour possession de drogue, et deal. Après l’avoir mis en cellule, les deux policiers rendent visite à Samira, sa grande sœur. Ils lui expliquent la situation de son petit frère, et que la procédure pourrait s’avérer entachée d’erreur, si elle coopère. À Bayonne, tard dans la soirée, deux individus cagoulés descendent brusquement d’une voiture, pénètrent dans le bar et ouvrent le feu tuant deux hommes, et en blessant un troisième. Ils repartent aussi vite. Dans une zone éloignée dans la campagne, ils changent de véhicule, et ils mettent le feu à la voiture qu’ils abandonnent. Le responsable de l’opération prévient un dénommé Capitaine, et l’informe que Perret s’est pris une balle dans la cuisse et qu’il va le conduire chez Livicius. L’inspecteur Riou a prévenu le commissaire Robert Pommard de la tuerie et celui-ci se rend sur place. L’inspecteur lui présente les victimes : Iban Calzada 38 ans de nationalité espagnol et Frankie van Erke 33 ans. Il y a également un blessé grave : le patron, il est à l’hôpital.


Intervention d’un hélicoptère, scène d’introduction en Bourgogne, début des années 1980, action se situant à Bayonne et dans le sud de la France : autant d’éléments qui laissent à penser qu’il s’agit d’un second cycle, entretenant peu de liens avec le premier, sauf pour le personnage principal le commissaire Robert Pommard, toujours accompagné de sa fille Alice. Dans le même temps, le lecteur retrouve une structure assez similaire à celle du tome un : un crime de grande envergure (ici un vol de tableau plutôt que l’assassinat d’un dirigeant espagnol), un deuxième crime (une tuerie dans un bar), une enquête qui progresse de façon très pragmatique avec fausses pistes et informations obtenues par coup de chance, et quelques séquences consacrées aux malfaiteurs montrés eux aussi dans toute leur banalité. Les auteurs reconstituent le début des années 1980 : en creux apparaissent certaines caractéristiques datées. À l’évidence, il n’y a pas de téléphone portable, pas de moyen de communication rapide, autre que le téléphone filaire, le commissariat n’est peut-être même pas doté d’un télécopieur, et il n’y a aucun ordinateur à l’horizon, tout se trouve dans des dossiers papiers qu’il faut aller consulter. Le lecteur relève quelques artefacts du quotidien : le modèle d’hélicoptère (Alouette II), une cabine téléphonique à pièces, un billet de train en carton, les modèles de voitures, la forme du poste de télévision, la chaîne stéréophonique, etc. Ces éléments se trouvent naturellement à leur place dans chaque environnement, sans que le dessinateur ne focalise l’attention du lecteur dessus.



Comme pour les précédents tomes, la narration s’avère réaliste et pragmatique, sans esbrouffe, ancrant chaque séquence dans un quotidien banal et factuel, ce qui la rend d’autant plus plausible et crédible. Cela joue en faveur de cette première scène avec un hélicoptère et une toile de maître : la taille normale des armes à feu, le tableau du système d’alarme, le radiateur en fonte auquel sont attachés les vigiles, etc. En page cinq, deux membres du commando enlèvent les fausses plaques d’ambulance sur le véhicule, et le lecteur peut voir le gyrophare posé à même le sol, détail concret et pratique, preuve que les auteurs ont pensé ce vol dans le détail et avec une approche pragmatique, ce qui le rend tout à fait réel et crédible. Il en va de même pour la fusillade dans le bar : les deux agresseurs sont munis d’armes automatiques et ils tirent dans le tas, avec un degré de précision relatif, confiant que la quantité de munitions et la rapidité de tir leur permettra de remplir leur contrat. Dans la dernière partie du récit, un autre tueur accomplit son contrat sur la personne de Juan Abaigar : les auteurs y consacrent une page de neuf cases, sans un mot, montrant une voiture dévaler une pente rocheuse, puis l’assassin se rapproche pour mettre feu lui-même au véhicule. Cette approche descriptive et factuelle rend les autres séquences encore plus réelles, au vu de la réussite des scènes d’action.


Comme dans les tomes précédents, le lecteur suit donc plusieurs personnages qui gravitent autour du commissaire. Il prend plaisir à retrouver ce jeune sexagénaire, posé, réfléchi, les auteurs prenant soin de continuer à lui donner une personnalité propre. Il doit faire face à la prise d’autonomie de sa fille Alice, vingt-deux ans, qui a maintenant l’âge de découcher pour passer la nuit avec son amoureux, le lecteur ne pouvant réprimer un moment d’inquiétude quant à sa sécurité. Il éprouve une solide empathie pour Robert Pommard car celui-ci se remet au sport, arrête de fumer avec quelques rechutes, et parvient à nouer un début de relation avec une professeure d’aérobic. Il constate que cet homme n’a pas simplement décidé de quitter la région de Rouen pour provoquer un changement : il décide de pratiquer des activités physiques, suivant ainsi le propre conseil qu’il avait donné à sa fille pour qu’elle perde du poids et qu’elle gagne en confiance en elle. Il en va de même pour les inspecteurs avec lesquels il travaille, qui disposent eux aussi de plus que le strict minimum en termes de personnalité : une apparence jeune pour Lévêque ce qui fait que les autres sous-estiment ses compétences, une forme de résignation entre déprime et dépression pour Manconi du fait de l’absence de possibilité d’évolution et de toute une vie de policier à avoir vu des horreurs. Même le véritable propriétaire de la boîte de nuit le Star One échappe aux stéréotypes du caïd du crime organisé, en donnant les informations qu’il souhaite au commissaire pour lui faire comprendre à demi-mots ce qu’il attend de la police, et pour quelle raison il se montre collaboratif, à sa manière. Le dessinateur sait donner une apparence spécifique à chaque personnage. Il les dirige de manière naturaliste. Il montre du discernement en tant que costumier : respectant à la fois les tenues d’époque, les velléités de touche personnelle, mais aussi les habitudes de groupe, à commencer par la chemise blanche de rigueur pour les inspecteurs.



Un peu déconcerté de prime abord par la déconnexion de cette partie avec les précédents, le lecteur fait confiance au scénariste. Celui-ci met en place une nouvelle enquête, portant sur la tuerie dans le bar. Deux pistes semblent vraisemblables : soit une forme de vengeance ou une tentative d’intimidation contre le patron du Star One qui n’a pas dû se faire que des amis dans le milieu, soit une sorte de règlement de compte contre des terroristes de l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna). Le récit reste donc bien inscrit dans le contexte politique de l’époque, et les actions violentes de certaines organisations, ou certains groupuscules. L’enquête met en évidence la perméabilité entre différents milieux, avec des bras armés pas toujours motivés par l’idéologie. Comme dans tout bon polar, l’enquête amène le commissaire et ses inspecteurs dans différents milieux sociaux, du plus modeste au plus riche, à interroger des individus évoluant dans différentes branches professionnelles. Il est également question de la collaboration entre la police judiciaire et les renseignements généraux. Enfin la confiance du lecteur est récompensée avec la mention de l’assassinat d’un officier de la garde civile en Espagne dans les années 1970.


Un nouveau départ pour le commissaire Robert Pommard qui est maintenant affecté à Bayonne. Deux nouveaux crimes, dont un sur lequel les policiers enquêtent. Le lecteur retrouve avec plaisir la narration visuelle si prosaïque, et en même temps parfaitement dosée, avec une attention épatante portée aux détails signifiants apportant une plausibilité maximale au récit. Ce dernier emmène le lecteur dans un milieu bien décrit et concret, montrant un travail d’enquête pragmatique, les différentes possibilités de mobile et ce que cela induit sur les démarches policières, ainsi que la banalité de l’organisation criminelle. Immersif.



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