Ma liste de blogs

jeudi 11 juillet 2024

Germaine Cellier - L'audace d'une parfumeuse

Bandit, Cœur-joie, Élysées 64-83, Fracas, Vent Vert, La fuite des heures, Jolie Madame, Monsieur


Ce tome contient la biographie de Germaine Cellier (1909-1976), une parfumeuse française. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Béatrice Egémar pour le scénario, et par Sandrine Revel pour les dessins et les couleurs. Ce tome comprend cent-vingt-neuf pages de bande dessinée. La dessinatrice a également illustré Grand Silence (2021) de Théa Rojzman. Le tome se termine avec un dossier intitulé Les coulisses de la création comprenant une postface de la scénariste d’une page, les références des citations reproduites dans le livre, une bibliographie, quatre pages sur la phase préparatoire de réalisation d’une planche, l’interview fictive de Germaine Cellier par Olivier David de l’Osmothèque en deux pages de bande dessinée, une petite chronologie (non exhaustive) des parfums de germaine (une page), une recette de l’eau pétillante à réaliser soi-même, un glossaire de quelques mots de parfum de cinquante-cinq termes.


Dans les rayons des parfumeries, on trouve encore en bonne place des parfums créés il y a cinquante ans. Beaucoup de leurs créateurs sont tombés dans l’oubli. Parmi eux, une créatrice. Elle s’appelait Germaine Cellier. Comment est-elle devenue parfumeuse. Tout commence à Bordeaux le 26 mars 1909 avec la naissance de Germaine, fille de Jeanne et Georges Cellier. Dans son enfance, son père prend l’habitude de lui lire des extraits du Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas. Mais en août 1914, Georges est mobilisé. Durant son service, sa fille demande à sa mère, quand papa revient. Le père finit par revenir, avec deux béquilles, blessé à la guerre. Après la période de convalescence, il repart. Jeanne se retrouve dans l’obligation de mettre sa fille en pension. Germaine va donc séjourner chez les sœurs : elle y retrouve sa cousine Catherine. Celle-ci est assez délurée et inventive, et elle indique à Germaine qu’elle sait où sœur Monique range les provisions de biscuits. Le soir-même, les deux petites filles se rendent à la réserve de biscuits et elles se font prendre la main dans le sac. Catherine n’est jamais à court d’idées : un midi, elle dépose une grenouille dans son assiette à soupe, juste avant que la sœur ne la serve à la louche. La réaction des fillettes est partagée entre l’amusement et la désapprobation. Les sœurs décident que Catherine doit être exorcisée. La jeune fille trouve ça très excitant : elle demande à Germaine de lui dire si elle voit le diable sortir de son corps. L’exorcisme se déroule, sans manifestation visible.

En 1921, les Cellier ont déménagé à Étampes. Germaine a douze ans. Dans la maison, Germaine va dire bonjour à Jacqueline qui tient un nouveau-né dans ses bras. Elle demande à le tenir dans ses bras, et elle le sent, trouvant qu’il sent bon. Elle demande si tous les bébés sentent comme ça : la réponse est positive et la fillette saute de joie en criant qu’elle a une petite sœur. Plus tard, la petite famille effectue une promenade en bord de mer, et Germaine sent des œillets de mer, distinguant plusieurs senteurs.


Une couverture bien sympathique avec sa verdure, ce beau visage idéalisé, et les trois touches faisant penser à trois griffes d’un célèbre mutant griffu. Bien sûr, rien à voir avec une lutte contre le mal, plutôt une biographie bien sage passant en revue la vie d’une parfumeuse dans un ordre sagement chronologique, entremêlant sa formation et sa vie professionnelle, avec sa vie personnelle essentiellement au travers de ses relations familiales et mondaines et de ses amours. Le lecteur découvre ainsi tout ce à quoi il peut s’attendre : la vie d’enfant, les études, le premier emploi et la compétence qui permet à Germaine Cellier d’être remarquée, de pouvoir créer son premier parfum, et les succès qui suivront, associée à de grands couturiers. La narration visuelle s’avère douce à la lecture. Une palette de couleurs de type pastel, avec un parti pris essentiellement naturaliste. Un mode de représentation avec un degré significatif dans les détails descriptifs, rendant chaque personnage à la fois avenant et un peu lisse, avec également une direction d’acteurs de type naturaliste. La dessinatrice gère la densité d’informations visuelles dans les accessoires et les décors, avec une forme d’épuration simplificatrice : un usage régulier de camaïeux en fond de case, une représentation sélective des meubles et des accessoires, ces derniers parfois en ombre chinoise, pour une lecture agréable et facile.



Le lecteur se laisse bien volontiers emmener par cette narration sympathique et douce, s’attendant à découvrir quelques moments clé dans la vie de Germaine Cellier qui feront d’elle cette parfumeuse d’exception : une enfance et une adolescence qui mènent tout naturellement à ce qu’elle va devenir une sorte de prophétie auto-réalisatrice, un accomplissement préprogrammé, puisque les autrices réalisent cet ouvrage presque cinq décennies après le décès de leur sujet. Il y a un peu de cela au début : le talent déjà présent pour ressentir toutes les nuances de senteur dans une fleur (en l’occurrence des œillets des sables), l’esprit anticonformiste ou de rébellion de sa cousine qui laissera des traces à Germaine et l’amènera à ne pas s’en tenir aux pratiques habituelles et aux dogmes en matière de conception de parfum. Pour autant cette approche académique porte rapidement ses fruits. Pour commencer, les autrices vont plus loin qu’un don inné permettant à la parfumeuse d’être un génie : elles montrent qu’elle réalise des études dans une école privée, avec une scène de travaux pratiques. Puis elle rentre en tant qu’employée dans l’entreprise Justin-Dupont, à Argenteuil, société qui vient de fusionner avec Roure-Bertrand fils, une société grassoise bien connue pour ses huiles essentielles. L’artiste la représente en train de travailler dans les différents laboratoires, avec des dessins descriptifs à la composition allégée, tout en contenant les éléments techniques aisément reconnaissables qui rendent chaque endroit concret et consistant.


Dans la postface, la scénariste explique comment lui est venue l’envie de réaliser une bande dessinée sur cette créatrice de parfum et comment les conditions nécessaires se sont présentées. Lors de ses recherches préparatoires, elle a donc : Cherché une biographie pour en savoir davantage sur Germaine Cellier avec, comme en ont toujours les auteurs, une vague envie d’écrire sur elle, de la mettre en scène dans un futur roman, pourquoi pas ? Vaine recherche, car personne n’avait écrit la biographie de Germaine. Elle a heureusement trouvé un article de Vanity Fair écrit par sa nièce, mais c’était quasiment tout. Elle a lu beaucoup d’articles parlant de ses créations, ça oui, mais sur sa vie, sur elle, si peu de choses. Ce qui semble dont être une biographie facile repose sur un travail préparatoire significatif pour réaliser une première. Par ailleurs, le lecteur observe que les éléments techniques et le contexte historique se trouvent dans chaque page, discrets et solides. Il peut relever des termes techniques, majoritairement passés dans le vocabulaire courant, placés de sorte à être intelligibles même si on ne le connaît, sans avoir à aller consulter le glossaire en fin de volume. S’il a déjà eu l’occasion de s’intéresser à cette période de l’histoire de France, il relève également des noms emblématiques, notamment celui de Paul Poiret (1879-1944) dont la carrière a été évoquée par Philippe Dupuy dans Ne pas peindre (2019). Ainsi la parfumeuse croise ou travaille pour Christian Caillard (1899-1985), Eugène Dabit (1898-1936, L’hôtel du Nord), Robert Denoël (1902-1945), Jean Oberlé (1900-1961), Christian Boussus (1908-2003), Christian Bérard (1902-1949), Boris Kochno (1904-1990), Pierre Balmain (1914-1982), et bien d’autres.



Ainsi, ces éléments nourrissent la biographie qui devient plus qu’une simple succession de faits, mis en images. La narration visuelle donne à voir la jeune fille, puis l’adolescente et la femme dans de nombreux environnements différents : les laboratoires où elle travaille bien sûr, une salle de classe, un dortoir, le pavillon des parfums à l’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes en 1925, des soirées mondaines, l’entrée des troupes militaires allemandes dans Paris en juin 1940, la visite d’Adolf Hitler à Paris le vingt-trois juin 1940, un match de tennis de Christian Boussus au tournoi de Roland-Garros (Grand prix de France) en juillet 1944, des repas familiaux, etc. En refeuilletant la bande dessinée, le lecteur se rend compte que l’artiste utilise de nombreux autres outils de la bande dessinée intégrés organiquement dans les pages : quelques dessins en pleine page, avec parfois Germaine représentée à plusieurs reprises dans différentes positions, une vision onirique pour évoquer l’effet sa manière d’interpréter les différentes nuances d’un parfum, un diagramme en forme de pyramide à trois étages pour l’explication relative aux notes de fonds, notes de cœur et notes de tête, un facsimilé de projection sur écran pour le film Hôtel du Nord, un facsimilé de dépliant vantant les mérites d’être une mère (Avec ce slogan véridique : La femme coquette sans enfants n’a pas sa place dans la cité, c’est une inutile.), et bien sûr les différents flacons de parfum qui forment un art à part entière, une dizaine de robes créées par Pierre Balmain pour autant de collections.


Au premier abord, les autrices ont réalisé une biographie à la forme sage et accueillante, très accessible et très agréable à lire. À la lecture, il s’avère que la narration visuelle porte le contenu avec élégance et une réelle densité, aussi bien pour le naturel des personnages, que pour la reconstitution historique et métier. Le récit établit l’importance de Germaine Cellier dans la création de parfums, contextualisant les accomplissements professionnels de cette femme, sans les rendre miraculeux, ni les minimiser.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire