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jeudi 20 juin 2024

Fox, tome 5 Le club des momies

Son âme n’est que le linge du sépulcre…


Ce tome est le cinquième d’une heptalogie, il fait suite à Fox, tome 4 : Le Dieu rouge (1994). Sa première édition date de 1996. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, par Jean-François Charles pour les dessins, et Christian Crickx pour la mise en couleurs. Il comprend quarante-huit pages de bandes dessinées. La série a bénéficié d’une réédition intégrale en deux tomes en 2005, puis en un tome en 2024.


Quelque part dans la campagne anglaise, dans la cave d’un château, Lord Greggar, en tenue de chasse traditionnelle, est en train de déguster un verre de whisky avec Myles, un autre chasseur en tenue. Ce dernier lui indique qu’ils sont prêts, ils attendent le Lord. Celui-ci trinque au sang des bêtes, à tout ce qui s’arrêtera de battre. Et à Lady Rowena, le plus doux fantôme qui ait jamais hanté ses nuits, ajoute-t-il en tenant le cadre dans lequel se trouve un portrait de cette femme. Myles s’adresse timidement au Lord : il lui conseille de ne pas y aller, l’horloge a encore sonné treize coups chez la vieille Mary Land. Il ajoute que cette fois elle a prédit au Lord, la mort, une mort atroce s’il passe par les terres de Culloween. Greggar ajoute qu’l apprécie beaucoup Mary, et son humour si particulier. Il lui rendra la visite après la chasse. Il ne renoncera pas, alors que son jeune neveu se trouve parmi les chasseurs et qu’il lui a promis cette chasse. Mary après la chasse, c’est décidé. Il sort sur le perron extérieur et s’adresse à la vingtaine de chasseurs à cheval, autour de la meute de chiens : il s’excuse de les avoir fait attendre, et il donne le signe du départ. Son neveu Ralph le salue, une fois monté à cheval : il demande s’ils se retrouvent toujours ce soir, car il souhaite rejoindre le club, et il a des arguments pour cela, son oncle ne sera pas déçu. Greggar répond : après la chasse. Le groupe de cavaliers et la meute de chiens se mettent en chasse.



L’équipage de vénerie à cheval galope à travers la campagne, au son du cor. Ce dernier sonne pour annoncer que le gibier est repéré, en direction de Culloween. Lord Greggar s’élance, pendant que son neveu s’éloigne discrètement vers les bois. Le cheval du seigneur refuse de sauter un mur de pierre, et son cavalier est projeté de l’autre côté. Le neveu arrive en vue d’un château sur une petite presqu’île et voit un chalutier rouge amarré à proximité. L’équipage découvre le cadavre de Greggar empalé sur la herse d’une remorque agricole. Dans les bois, Ralph se retourne en entendant un bruit, puis il hurle alors qu’il est agressé. Quelques semaines plus tard, Rowena, une jeune femme, est projetée contre son gré dans la rivière peu profonde. Sur la berge, deux hommes se tiennent hilares, se moquant d’elle, n’acceptant qu’elle sorte de l’eau froide, qu’à condition qu’elle se déshabille comme ils lui ont demandé : il paraît que les sorcières ne sont pas faites comme les autres, qu’elles auraient une grosse tache noire au bas du ventre. Allan Fox intervient leur demandant de lui ficher la paix.


Les quatre précédents tomes forment un cycle, et le lecteur ne sait pas trop ce qui l’attend avec ce cinquième tome. Il relève les éléments présents dans l’histoire précédente : le héros récurrent Allan Fox bien sûr, mais sans Edith à part une photographie d’elle dans un cadre. Il guette les mentions au Livre de Toth et au dieu rouge : ils sont effectivement très rapidement évoqués, plutôt le séjour en Égypte de Fox, ce qui fournit le lien avec sa présence en ces lieux, invité par les membres du club de la Momie. Le lecteur sourit en voyant qu’il se déplace toujours à moto, enfin pour la première séquence dans laquelle il apparaît, c’est-à-dire à partir de la planche huit. En revanche il n’est pas question de la formule Raïs el Djemat, ni du pouvoir qu’elle confère. Et le Pénitent ne montre pas le bout de son nez. D’un autre côté, il est question d’une momie passée en contrebande en Écosse, et un scarabée passe le temps d’une bade de quatre cases. Le héros mène l’enquête pour élucider deux meurtres, car il ne s’agit pas d’un accident dans la première scène. Il est à nouveau soumis à la tentation par deux femmes : la jeune Rowena peut-être pas encore vingt ans, et Madge habillée d’un tailleur avec une jupe serrée, avec des chausses à talon ce qui s’avère peu commode pour suivre Scott dans les bois ou sur la lande. L’artiste prend toujours un grand plaisir à représenter les différents environnements, sauvages ou à l’intérieur d’un manoir, et le coloriste fait des merveilles.



Dès la première page, c’est un plaisir de l’œil : le tonneau avec les veines dans le bois et les cerclages, les chais et les fûts, le millésime inscrit sur les barriques, l’étiquette sur la bouteille. Le dessinateur investit du temps pour décrire les lieux. Le lecteur tourne la page et il découvre une case de la largeur de la page occupant la bande médiane : une vue en plongée inclinée sur une quinzaine de cavaliers sur leur monture se tenant devant le perron, avec la meute de chiens, trois hommes en kilt avec leur cornemuse, un équipage qui en impose. En vis-à-vis sur la page de droite, une case montre le château du Lord à nouveau dans une vue en plongée légèrement inclinée, et toute la chasse partant de la cour. Tout du long, le lecteur se régale du spectacle qui lui est donné à voir. Planche quatre, quatre cases de la largeur de la page montrant les cavaliers et les chiens à différents endroits de la lande, passant sur un pont pour franchir un cours d’eau, montant sur une colline, passant à côté d’un mur de pierre avec une herse abandonnée là (celle qui joue un rôle majeur dans la mort de Lord Greggar). Planches huit et neuf, Allan Fox intervient pour tirer Rowena hors du cours d’eau : le lecteur découvre différentes vues du paysage au fur et à mesure des cases avec différents angles de vue. Il ressent la menace d’orage dans les nuages gris. Plus tard, il serre les dents alors que Fox s’agrippe sur la banquette arrière d’une belle voiture conduite par un chauffeur en état d’ébriété avancé, retenant son souffle quand le véhicule en croise un autre sur un pont vraiment très étroit avec des parapets de pierre. Il visite les ruines de la tour avec Scott & Madge, distinguant l’irrégularité de chaque pierre. Il prendrait volontiers place dans un fauteuil avec les autres invités dans la bibliothèque pour déguster un whisky, laisser son regard errer sur les étagères chargées de livres, admirer les motifs du tapis, s’interroger sur chacun des portraits accrochés au mur. Une promenade nocturne dans la lande fait frissonner le lecteur. Plus tard, Fox se rend dans un port de pêche et il descend sur la grève pour rejoindre l’épave d’un bateau, avec l’aspect si particulier du sol d’où l’eau vient de se retirer puis à l’intérieur avec ces parois métalliques rouillées.


L’artiste détoure les personnages et les éléments avec un trait un tout petit peu gras, aux ondulations nerveuses, donnant beaucoup de consistance aux visages, aux tenues vestimentaires, aux décors, beaucoup de personnalité à chaque protagoniste. La mise en couleurs semble avoir été réalisée par l’artiste, tellement elle est en phase avec les dessins, les habillant, les nourrissant, les complétant, sans jamais supplanter les traits de contour. Chaque séquence bénéficie d’un plan de prise de vue spécifique, permettant au lecteur de se projeter dans la scène, de jeter un coup d’œil autour de lui à l’environnement, de regarder les réactions des personnages, de les accompagner dans leurs actions et leurs interactions. Allan Fox en impose par sa retenue et son calme. Il est impossible de résister à la séduisante jeunesse de Rowena. Les membres du club installent directement une forme de distance palpable par leur tenue formelle. Les chasseurs en tenue deviennent un groupe où l’identité individuelle est gommée, pour laisser la place à un comportement de foule. Il n’y a que Madge vis-à-vis de qui le lecteur éprouve quelque difficulté pour la prendre au premier degré, avec ses talons hauts qui rendent la marche peu plausible dans les bois ou sur les pierres glissantes.



Totalement sous le charme de la narration visuelle, le lecteur se laisse emmener dans cette Écosse à la fois typique, à la fois convaincante, sans se focaliser sur l’intrigue. Allan Fox se retrouve parmi ce club composé de Sir Allfred Tennyon, Sir Nelson Ashbury, Mr Surreya Bodda, Milord Clam, et sir Liam Oggin, chacun avec leur occupation personnelle allant d’une traduction nouvelle du Munquidn min al-dalâl, écrit vers 1105 par le soufiste Abû Hâmid al-Ghazzali à une application originale du Corybantisme pour être précis, ou comment guérir par la folie. Ainsi le scénariste assaisonne son récit avec quelques éléments ésotériques décoratifs, et il ajoute une momie perdue, ainsi qu’une sorcière et sa fille. Le récit se lit avec plaisir, entre le questionnement sur la nature du coupable, créature surnaturelle ou meurtrier très humain, des éléments pas toujours expliqués (l’épouvantail), et des réminiscences vagues du premier cycle, avec la présence d’un scarabée par exemple. Rowena et sa mère vivent en marge de la bonne société, ayant pris leur indépendance par rapport aux hommes et mettant à profit des connaissances liées à leur féminité, à la fois ostracisées parce que craintes, à la fois maltraitées parce différentes. Allan Fox conserve sa retenue jusqu’au bout fidèle au souvenir d’une femme, ne se laissant gagner ni par les obsessions des membres du club de la Momie, ni par les convictions marginales de Rowena et sa mère.


Le lecteur succombe dès la première scène au charme de la narration visuelle, l’investissement patent de l’artiste, la mise en couleur en phase parfaite avec les dessins. Le scénario présente un niveau de divertissement satisfaisant, entre le charme d’une enquête sur des meurtres, pimentée de surnaturel, et l’intégrité personnelle du héros plus souvent spectateur qu’acteur. Une lecture dépaysante et agréable.



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