On peut tout faire du moment qu’on est dans le bon tempo.
Ce tome contient une histoire à caractère pornographique, complète et indépendante de toute autre. Il s’agit d’une bande dessinée en couleurs, de cent-dix-neuf pages, réalisée par Ugo Bienvenu, scénario, dessins et couleurs. Sa première édition date de 2020, et elle porte le numéro vingt-trois dans la collection BD.cul des éditions Les requins marteaux.
Le robot B.O a sept cent soixante-douze ans. Il y a beaucoup de probabilités dans l’univers. Tout un tas de probabilités auxquelles vient s’ajouter celle-ci : il a sûrement couché avec l’une des ancêtres de ceux qui le lisent. Une arrière-grand-mère, une tante, peut-être la mère. Et il peut assurer qu’elles ont aimé ! Il est un professionnel. Même mieux ! Il a été créé pour ça. Et son créateur l’a bien fait. On n’a sûrement jamais entendu parler de lui. Aucune mère, aucune fille, aucune sœur, aucune amie n’osera jamais dire qu’elle a eu recours à ses services. Et pourtant il les a fait jouir ! Il est le dernier robot sexuel de la galaxie. Avant toute chose, il sait que ça peut paraître étrange, mais il est un robot hétérosexuel. Il n’y peut strictement rien. Il a été programmé comme ça. Ça limite fortement sa clientèle potentielle. Mais c’est mieux comme ça… Il a déjà du mal à honorer ses contrats. B.O voyage à travers le vide de l’espace à bord d’un vaisseau. Sa trajectoire le fait passer devant des planètes, des lunes, dans le vide interstellaire. Il est le dernier robot sexuel de la galaxie.
B.O atterrit sur une planète, devant une maison à l’écart de toute civilisation, chez sa plus fidèle cliente : Joulia. La plupart du temps, il doit venir la voir plusieurs fois par semaine. Parfois elle lui demande de rester pour la journée ou pour la nuit. Elle a les moyens, ce qui est nécessaire car il n’est pas donné. B.O sort de sa petite fusée et se dirige vers elle, car elle l’attend et elle court vers lui. Elle l’enserre dans ses bras et le dirige séance tenante vers la chambre pour débuter incontinent les ébats. Joulia est un mannequin intergalactique. Tous les humains rêvent de coucher avec elle. Mais c’est avec lui qu’elle baise. Tous les humains rêvent d’être aimés par elle. Mais c’est lui qu’elle aime. Alors qu’elle est allongée nue sur le lit, il commence par un cunnilingus. Il sait qu’elle l’aime. Elle ne l’a pas encore formulé, mais il le sait. Son cerveau quantique a analysé tous les signes. Sa marge d’erreur étant d’un milliardième, il peut qualifier son amour pour lui de certitude absolue. Il n’en tire aucune fierté, aucun plaisir. C’est un robot. S’il raconte ça, c’est qu’il trouve les humains absurdes. La partie de plaisir continue et elle le chevauche. Les humains sont toujours à vouloir quelque chose qu’ils n’auront pas. Toujours à vouloir compliquer les choses. C’est sûrement dû à la simplicité de fonctionnement de l’être humain. Ce dernier est sensible à une chose : le rythme ! Là par exemple, il va falloir que BO accélère la cadence. C’est comme en musique. Ils changent de position : elle debout devant, lui derrière. B.O se rend compte qu’elle est sur le point de jouir. Il calme un peu le jeu, puis il y va à fond.
Depuis le premier tome, cette collection tient ses promesses : des récits explicites, ouvertement pornographiques, avec des représentations de pénétrations en gros plans, des positions variées, des éjaculations et des jouissances sexuelles. Cette bande dessinée ne déroge pas à la règle. De prime abord, le lecteur peut être un instant décontenancé par le choix de l’artiste qui donne une peau grise avec des reflets de lumière à BO, comme s’il s’agissait d’une enveloppe métallique, avec des quelques jointures apparentes. Toutefois, la représentation des actes sexuels montre que ces dames apprécient la texture du robot, que son apparence ne les rebute en rien, n’obère pas leur plaisir. Le lecteur effectue l’ajustement dans son esprit et comprend que ce choix de représentation remplit l’objectif de lui faire se souvenir qu’il s’agit d’un robot avec une apparence artificielle, à chaque séquence, une machine créée pour satisfaire le plaisir de ses partenaires. Il sourit quand il lit la remarque de B.O sur son hétérosexualité : il a été créé comme ça. Les partenaires de ce robot disposent toutes d’une morphologie humanoïde. Joulia, la première, est une femme humaine, et sa nudité permet de n’entretenir aucun doute à ce propos. Les clientes suivantes présentent une caractéristique ou deux attestant de leur caractère extraterrestre : la couleur de peau, des paires de sein surnuméraires pour une, des antennes pour une autre, mais des attributs sexuels (vagin, seins, fesses, bouche) exactement identiques à la physiologie humaine.
Les représentations des actes sexuels sont donc explicites, avec des gros plans de pénétration et d’autres pratiques, toutes restant dans un registre classique, sans aller vers des pratiques parfois qualifiées de déviances. Le robot dispose d’un engin de gros calibre : il précise lors d’une prestation, dans son flux de pensée, que c’est ce qu’attendent les clientes. Les femmes ont toutes un corps jeune et de mannequin. Il y a des gros plans et des très gros plans. Cette bande dessinée présente des dimensions plus petites que celles d’un format franco-belge : 13,2cm * 18cm. Les pages comprennent parfois deux cases, l’une au-dessus de l’autre, jamais plus, il y a de nombreux dessins en pleine page, et plusieurs en double page ne laissant rien ignorer de l’acte sexuel. L’artiste réalise des dessins dans un registre descriptif et réaliste. Il détoure les formes d’un trait fin. Il représente régulièrement les décors : le vide interstellaire, la fusée de BO, les montagnes entourant la propriété de Joulia, la chambre à coucher de Joulia, la chambre à coucher de Maartaa, le salon de Joulia. Ugo Bienvenu aime bien également dessiner le vide de l’espace, le contour d’une planète ou d’une lune, éclairé par une lumière rasante. Après son départ de chez Maartaa, B.O arrête sn vaisseau dans l’espace, sort sur la coque et s’y assoit dessus pour contempler les étoiles scintillant. Le lecteur de comics peut penser à Silver Surfer faisant de même assis sur sa planche.
Le scénariste propose un ouvrage pornographique quelque peu déstabilisant. Effectivement, il peut se lire d’une seule main, sous réserve de fétichiser les orifices féminins, et de ne pas s’attacher à la couleur de peau, ou à la nature extraterrestre des clientes. La dynamique du récit est imparable : un robot-plaisir à usage des femmes, le dernier de sa race, qui fait son métier, ce pour quoi il a été programmé, et qui le fait bien. Le meilleur tombeur de ces dames, celui qui s’estime être un cadeau de Dieu fait aux femmes, peut peut-être se reconnaître dans un tel avatar. Un objet de plaisir tout entier conçu pour celui de sa partenaire, infatigable bien sûr, mais aussi doté de senseurs lui permettant de capter le moindre changement de respiration, de tension musculaire, de posture, pour réagir au plus efficace, être parfaitement en phase avec sa partenaire. Dans son flux de pensées s’adressant au lecteur, B.O explique que se clientes lui demandent de leur faire des choses qu’elles ne feraient jamais avec un partenaire humain. Tout simplement parce qu’elles se foutent de ce qu’il pense. Ou plus précisément parce qu’elles savent qu’il n’a ni morale, ni tabou, qu’il n’attend rien. Avec lui, elles peuvent dire et faire ce qui leur plaît. Elles n’ont aucune retenue à avoir, aucune performance à tenir, aucun complexe de quelque sorte. La seule chose qu’elles ont à penser avec lui, c’est leur plaisir. À l’évidence, peu d’hommes peuvent faire preuve d’un tel désintéressement, d’un tel altruisme, et même d’un tel niveau d’empathie pendant un rapport sexuel.
Le lecteur ne s’attache pas forcément à ce robot qui est présenté comme une machine. Il suit sa première mission, puis ses considérations sur l’expérience acquise au cours de toutes ces décennies d’activité, et lors de sa deuxième séance. De manière inattendue, le scénariste étoffe son récit, avec des éléments explicatifs, sur le fait qu’il n’existe plus qu’un unique robot-plaisir, sur son coût de maintenance, sur la manière dont il cache son existence aux autorités, sur la disparition des robots-plaisir. Dans la dernière séquence, le lecteur découvre qu’il y avait même une intrigue, ténue mais débouchant sur une résolution. Il apprécie que Ugo Bienvenu utilise les conventions propres au genre de la science-fiction pour mettre en scène les rapports sexuels, avec ce dispositif de robot qui permet de prendre du recul, de la présenter sous une facette décalée. B.O incarne le gigolo ultime : il se fait payer et ses services sont d’un niveau de qualité optimale. Son esprit programmé lui permet d’accomplir sa tâche avec efficience, et l’amène également à observer la race humaine dans ce qu’elle lui apparaît comme illogique. Il trouve les humains absurdes : Toujours à vouloir quelque chose qu’ils n’auront pas. Toujours à vouloir compliquer les choses. Ou encore : à installer des cadres moraux… Et rien ne leur fait plus plaisir que leur transgression. Ou encore : à éprouver le plus grand des plaisirs à identifier un motif, et à avoir très vite besoin qu’il soit remplacé par un autre, d’une nature différente, de la manière la plus inattendue possible.
La couverture et la quatrième de couverture annonce clairement la nature de cette bande dessinée : un ouvrage pornographique. La lecture confirme que l’auteur a respecté cette nature, en la servant avec des dessins représentatifs de grande qualité, un sens de la mise en scène, et une absence d’hypocrisie évidente au travers des gros plans. Le lecteur assiste donc aux performances de ce robot-plaisir avec des clientes qui peuvent se lâcher sans crainte, sans arrière-pensée. Tout du long du récit, le lecteur découvre les pensées de B.O qui viennent expliquer sa situation, le fait qu’il soit le dernier de ce genre, ainsi que ses observations sur le comportement humain. Contre toute attente, Ugo Bienvenu se sort haut la main d’un exercice périlleux : utiliser les conventions du genre pornographique, mêlées à celles de la science-fiction, pour mettre en lumière des facettes du genre humain.
"Ugo Bienvenu" - La lecture de son "Préférence système" m'a longtemps attiré, mais j'ai fini par y renoncer, lassé à force d'en entendre parler, surtout en bien. Pour un peu, ça ferait écho à ce que dit BO un peu plus loin : "S’il raconte ça, c’est qu’il trouve les humains absurdes."
RépondreSupprimer"L’artiste réalise des dessins dans un registre descriptif et réaliste." - Je trouve aussi que la partie graphique est un exercice de style qui rend hommage à une certaine bande dessinée des années soixante (voire cinquante, voire quarante, voire trente). D'ailleurs, tu parles du Surfeur un peu plus bas.
Cela étant, et tu as peut-être la réponse : je me demande s'il s'agit du style habituel de Bienvenu, ou s'il a adapté son coup de crayon (ou de stylet) pour cette bande dessinée.
C'est mon premier Ugo Beinvenu. Je ne saurais donc comparer avec ce qu'il a fait Préférence système ou Total. Suite à ta remarque, je me demande à qui ses dessins me font penser, je dirais Paul Gillon.
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