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jeudi 23 juin 2022

La Légende du lama blanc - Tome 03 : Le Royaume sous la terre

Le mal est l'oubli du bien.


Ce tome fait suite à La Légende du lama blanc - Tome 02: La plus belle Illusion (2016) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome car il s'agit d'une histoire complète en trois tomes. La parution initiale de celui-ci date de 2017. Il comporte 46 planches en couleurs réalisées par Alejandro Jodorowsky pour le scénario, et Georges Bess pour les dessins et les couleurs avec l'aide de Pia pour ces dernières.


Une balle traverse le crâne d'un Tibétain en train de manifester pacifiquement en agitant son moulin à prière. Les soldats chinois ont ouvert le feu avec des rafales de mitraille et des jets de grenade, sur la foule qui manifeste en lançant des chaussures et des chapeaux : c'est un carnage. Les Tibétains sont massacrés sans pitié. Dans le ciel au-dessus du palais du Potala apparaît un engin volant : une soucoupe volante peinte en camouflage, avec une croix gammée sur le fuselage. Elle atterrit sur le toit d'un des bâtiments du palais. Trois soldats nazis en descendent en portant une caisse. Il faut qu'ils se dépêchent car il ne restera bientôt plus un Tibétain en vie, et les Chinois commenceront alors à fouiller le palais. Le responsable du trio estime qu'ils en ont pour moins de cinq minutes. Ils entrent dans le bâtiment et descendent. Ils trouvent le stupa doré qu'ils recherchent et font sauter le cadenas qui en ferme l'intérieur. Ils y trouvent le vase sacré qui contient les restes du cinquième dalaï-lama, et le brisent. Ils transfèrent les restes dans la caisse et retournent à leur soucoupe avant d'avoir été détectés. Mission accomplie.



Les Chinois pénètrent dans le palais en défonçant la porte à grands coups de pied. Les moines sont assis en tailleur à même le sol, sans aucune intention de résister encore moins de se battre. Le général exige qu'ils lui indiquent sur le champ où se cache le dalaï-Lama, ou il leur fait sauter la cervelle. Un moine répond que lui et le panchen lama se sont enfuis et qu'ils veulent se rendre en Inde. C'est tout ce qu'ils savent. Le général l'abat à bout portant d'une balle dans la tête, et il ordonne qu'ils soient tous mis à mort. Il ordonne également de contacter immédiatement les postes frontières et il veut des policiers sur chaque route, chaque chemin, chaque sentier. Les deux fuyards sont accompagnés par les quatre moines Tzu, Dondup, Topden et Tsöndu. Les six hommes constatent qu'ils n'arriveront jamais à traverser ces montagnes à pied sans chevaux. Ils décident de s'assoir en tailleur et de prier les divinités pour leur aide. Au même instant, derrière les fugitifs en prière, sur les hauteurs, Mandarava et Issim utilisent leurs pouvoirs et bientôt un groupe de chevaux sauvages se dirige vers les fuyards qui les enfourchent sans peine. Le nouveau dalaï-lama déclare qu'ils ne font pas de miracles, mais que ce sont les miracles qui les font. Entretemps, le général Chuan-Lao arrive en trombe avec sa jeep à l'école anglaise de Lhassa. À l'intérieur, le père Williams et Léna en fauteuil roulant les voient arriver. Elle déclare au père qu'il doit châtier le général. Elle sait qu'elle est mourante et qu'elle va rejoindre Mister Donovan dont les soldats chinois ont écrasé la tête à coups de pied, Laughton qui a été empalée sur un pieu, Samy le cuisinier qu'ils ont noyé la tête dans les latrines. Elle-même a été violée par quarante soldats ricanant et jetée ensuite dans la rue, avec une bouteille de whisky entièrement enfoncée dans le sexe par Lao. Ils l'ont déchirée. Ils ont dévasté son âme.


En entamant le premier tome de cette deuxième (et peut-être dernière) saison, le lecteur avait eu l'impression de bien cerner la direction générale de l'intrigue : assez similaire à la première saison avec l'avènement progressif d'un nouvel avatar du lama, succédant ainsi à Gabriel Marpa. Avec le deuxième tome, il était déjà moins sûr de lui, à la fois par la mise en scène de Tenzin Gyatso le dalaï-lama depuis le 17 novembre 1950, à la fois par la présence d'Adolf Hitler (né en 1889) ayant visiblement survécu et alors âgé de soixante ans. Avec ce troisième tome, il comprend qu'il avait fait fausse route dans sa projection. Ses derniers doutes s'envolent avec l'arrivée des nazis en soucoupe volante. Il est vrai qu'il aurait pu s'en douter car l'apprentissage des nouveaux lamas progressait beaucoup plus rapidement et plus facilement dans le tome 2. Dans un premier temps, il retrouve bien la suite de l'invasion du Tibet par la Chine, avec le massacre des civils. À nouveau les deux premières pages s'avèrent d'une grande force, baignant dans des nuances de rouge, avec une représentation de la violence descriptive et percutante. La première image montre le moine de profil, sans arrière-plan, sur fond blanc, crachant un filet de sang par la bouche, et de la matière cervicale expulsée par l'arrière du crâne, le cadrage de profil met en évidence la trajectoire de la balle permettant à l'artiste de s'affranchir de la représenter. Les cases du dessous montrent les Tibétains se faire faucher par les balles dans un ballet morbide, et celle en bas de la page montre la détermination hargneuse des soldats à mener à bien leur besogne.



L'arrivée de la soucoupe volante s'effectue en bas de la deuxième planche, sur fond de nuage blanc, mais de ciel d'une teinte rouge orangé, évoquant le rouge de la boucherie précédente. Comme dans les tomes précédents, l'artiste se montre un coloriste sophistiqué, navigant entre approche naturaliste et expressionisme. Le récit se prête remarquablement bien à cette vision artistique, entre les moments qui montrent comme un reportage, et ceux où l'émotion prend le dessus, soit comme conséquence d'une action, soit comme moteur d'un individu. Bess l'utilise également comme effet spécial, par exemple pour l'apparence du corps astral de Gabriel Marpa et des deux autres lamas. La connivence entre scénariste et artiste est manifeste quand Hitler se roule dans le sang de ses soldats qui se sont sacrifiés pour lui : Bess le colorie alors en rouge des pieds à la tête, plus comme un symbole que comme la réalité du sang ayant imbibé ses vêtements et ayant séché sur sa tête, ses cheveux ou ses mains. De même, l'irruption des soldats d'Agartha dans le monde de la surface induit que les décors prennent une teinte jaunâtre, comme s'ils étaient contaminés par la présence de ces conquérants. Une fois que son regard est attiré par cet usage des couleurs, le lecteur remarque que l'approche naturaliste est minoritaire, alors qu'il était persuadé qu'elle était majoritaire.


Le lecteur ajuste donc son horizon d'attente à la réalité de ce que raconte ce troisième tome. Il s'avère aussi riche que les précédents : l'invasion du Tibet par la Chine et le sort du général Chuan Lao, le devenir des personnages secondaires (ledit général et ses deux soldates, le père Williams, Léna, les quatre moines, le dalaï-lama et le panchen lama, Lin-Fa), le plan d'Adolf Hitler, et bien sûr le devenir des deux nouveaux lamas. Il est vraisemblablement pris totalement au dépourvu par le développement sur Agartha. Certes il avait été question de ressources extraordinaires dans les caves de la lamaserie où Gabriel a été moine, mais c'était dans le premier cycle, et le lien n'est pas clairement établi entre ces armes et Agartha. Le scénariste semble s'inspirer de loin des ouvrages ayant rapproché Agharta au nazisme après la seconde guerre mondiale, par exemple ceux de Louis Pauwels et Jacques Bergier, de Jean-Claude Frère et de Jean Robin. Le lecteur y voit surtout une péripétie en provenance directe d'un roman d'aventures de la fin du dix-neuvième siècle ou début du vingtième, et l'occasion pour l'artiste de réaliser un splendide dessin en double page pour montrer ladite cité, puis une scène dans laquelle la nuée des soldats d'Agartha se déverse sur le monde. La résolution de cette partie de l'intrigue laisse le lecteur comme deux ronds de flan, du fait d'une faiblesse qui s'apparente fort à un deus ex machina et un clin d’œil à un célèbre roman de Herbert George Wells (1866-1946).



Le lecteur repense à ce qu'il vient de lire. L'invasion chinoise du Tibet est un fait historique, et l'auteur préfère entremêler son récit à la réalité historique plutôt que de la bouleverser, à l'exception de la survie du Führer. La survie de ce dernier peut se voir comme une allégorie de la perpétuation de l'esprit belliqueux, de la volonté d'exterminer d'autres humains, une soif de pouvoir qui ne supporte pas la résistance. Avec cette façon de voir en tête, le lecteur se rappelle la page d'ouverture de ce tome, du visage fermé des soldats chinois exterminant les Tibétains pacifistes, et il se rend compte que c'est l'auteur qui exprime son point de point de vue sur cette invasion. Les séquences impliquant Agartha montre comment Hitler est accepté comme chef temporel et spirituel, grâce à sa capacité à commander le suicide sacrificiel de ses propres soldats. Une mise en scène glaçante de l'ego démesuré, de l'obéissance aveugle jusqu'au sacrifice, qui s'empire encore avec le fait que le dictateur parade couvert du sang de ses hommes, complètement ivre de sa puissance mortifère. Indépendamment de la résolution anti-climatique du conflit contre Agartha, le lecteur constate que la vie triomphe, plus pérenne que la volonté d'exterminer.


La clôture de ce deuxième cycle s'avère des plus déroutante, ne serait-ce que parce qu'elle ne correspond en rien à ce que pouvait s'imaginer le lecteur. Pourtant, la narration visuelle est toujours aussi habitée et entraînante, impressionnante par son intensité, que ce soit dans des passages spectaculaires pour le paysage ou l'environnement, ou dans ceux submergés par les émotions. Le scénario est imprévisible, virant vers le fantastique teinté d'ésotérisme. Le suspense est neutralisé par un déroulement improbable, mais pas dépourvu de sens. Le thème principal s'impose progressivement : l'inhumanité de toute conquête, de toute invasion, la morbidité d'une telle entreprise, et les souffrances qu'elle génère, bien sûr chez les peuples exterminés, mais aussi chez les agresseurs.



2 commentaires:

  1. "une soucoupe volante peinte en camouflage, avec une croix gammée sur le fuselage" - Une soucoupe volante de la Luftwaffe ? 😆😂🤣 Sacré Jodo ! En même temps, un truc pareil qui passe auprès des lecteurs, il n'y avait que lui pour l'imaginer.

    "Elle déclare au père qu'il doit châtier le général." - Mon Dieu, l'énumération qui suit est absolument abominable. Là encore, du pur Jodo.

    "une représentation de la violence descriptive et percutante." Cette planche du carnage que tu décris (la première après la couverture qui est intégrée dans ton article, sauf erreur de ma part) est terrible. Quelle expression de la violence et de la souffrance physique !

    "par exemple ceux de Louis Pauwels et Jacques Bergier" - Je suppose que tu fais référence au "Matin des magiciens", que je n'ai jamais lu, d'ailleurs. Et toi, l'as-tu lu ? Je ne connaissais pas les deux autres auteurs que tu cites, Frère et Robin.

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    1. Une soucoupe volante de la Luftwaffe : même réaction que toi, mais qu'est-ce que ça vient faire là ?!? Et ça passe parce que Jodorowsky dispose d'un fort capital confiance de ma part.

      Du pur Jodorowsky : encore une fois, ou même comme d'habitude, il est important que les êtres humains souffrent dans leur chair, c'est une composante présente dans la quasi-intégralité des œuvres du scénariste, une souffrance incarnée.

      Il s'agit bien du Matin des magiciens (que je n'ai pas lu), Nazisme et Sociétés Secrètes (1974) de Jean-Claude Frère, Hitler, l'élu du Dragon de Jean Robin (merci wikipedia).

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Agartha

      Également du pur Jodorowsky avec une dimension ésotérique pas toujours facile à accepter pour argent comptant, voire parfois très idiosyncrasique de cet auteur.

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