Dans une guerre, il n'y a que deux vérités : la souffrance des victimes, et la comptabilité.
Ce tome fait suite à Capricorne, tome 7 : Le Dragon bleu (2002) qu'il faut avoir lu avant. Sa première parution date de 2003 et il compte 46 planches de bande dessinée. Il a été réalisé par Andreas Martens pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il a été réédité en noir & blanc dans Intégrale Capricorne - Tome 2 qui regroupe les tomes 6 à 9, dont le récit Le Fragment.
Prologue en 1626 sur l'île qui deviendra Manhattan, un amérindien dénommé Capricorne est en train de s'adresser à un petit groupe, prophétisant que l'homme rouge sortira des souterrains qui sont devant eux, inattendu et foudroyant comme le feu qui tombe du ciel, le tomahawk à la main, l'arc bandé, pour ravager la colonie. Les jours de l'homme blanc sont comptés ! Les autres ont sorti un homme après avoir creusé un tunnel dans la grotte, et celui-ci déclare qu'il y a vu sa vie, et autre chose. Capricorne estime que le plus sage serait de céder l'île au gouverneur de la Nouvelle Amsterdam. Quelques jours ou semaines dans le futur, Miriam Ery est assise devant sa machine à écrire, elle contemple un carnet dont des pages ont été arrachées, et elle se met à écrire. Depuis le début de la guerre du Concept, la publication de ses romans relatant les aventures de Capricorne s'est interrompue. Mais elle se sent obligée à poursuivre la chronique, au moins jusqu'au départ précipité de son personnage principal. En outre, elle doit consigner par écrit l'étrange incident la concernant, dont le souvenir semble vouloir s'estomper de sa mémoire. Tout commença une nuit du mois d'août…
Au temps présent, une berline file dans les rues de Manhattan la nuit. Son conducteur doit s'arrêter car un barrage de policiers le somme de stopper. Le conducteur tend un laissez-passer prioritaire, mais les soldats lui intiment de sortir, ainsi que Samuel T. Growth, son passager. Une fois qu'ils ont été extirpés du véhicule et un peu éloignés, un soldat jette une grenade dans la voiture qui explose. Ils repartent en jeep avec leur prisonnier. À côté de la carcasse du véhicule, une plaque d'égout se soulève. Et une main récupère la sacoche du général portant le logo du Concept. Isaak, un clochard, la met dans sa cariole qu'il tire derrière lui dans les égouts. Un nouveau groupe de réfugiés rejoint les rebelles ayant établi leur camp dans les égouts. Parmi eux se trouvent Fay O'Mara, une jeune femme, et Hiram Szbrinowski, un géologue. Ils sont bien accueillis par la communauté, par Ash Grey en particulier. L'homme encapuchonné récupère la sacoche des mains du clochard. Il se dirige avec vers Capricorne pour lui montrer les documents, alors que celui-ci est en train de faire connaissance avec Fay O'Mara. Il ouvre la sacoche et y trouve un document adressé à Samuel T. Growth de rejoindre le triangle, pas de mention de date ou de lieu, juste un code : Holy Minuit. Miriam Ery fouille à son tour ce qu'a ramené Isaak et elle y trouve une paire de gants qu'elle essaye.
L'affrontement incroyablement spectaculaire du tome précédent n'a pas mis fin comme par enchantement, au régime totalitaire du Concept. Le lecteur replonge donc dans cette dystopie semblant se dérouler au milieu du vingtième siècle. Il est entendu que Capricorne est le héros de ce récit d'aventure : il est donc forcément opposé à la dictature, d'autant plus qu'il a été torturé dans un camp de détention. Pour autant, le scénariste ne choisit pas de l'en faire triompher en deux temps et trois mouvements, avec l'aide d'une poignée de rebelles. L'objectif est de parvenir jusqu'au centre d'analyse de ce mystérieux mouvement pour s'emparer de documents révélateurs. Là encore, pas de solution miracle : installés dans les égouts, les rebelles s'arment de pelles et de pioches pour creuser un tunnel. Ils se doutent bien que leur entreprise présente peu de chances d'aboutir puisque l'île de Manhattan est faite d'une solide roche. Conformément aux conventions du récit d'aventure, une opportunité inespérée va se présenter à eux. Mais ce n'est pas tout… En parallèle de cette entreprise, un haut responsable du Concept a été enlevé par un dénommé Joseph, analyste pour le Concept, et une poignée d'hommes armés.
Entremêlé au fil narratif principal, celui de Capricorne, le lecteur découvre des éléments surnaturels qui viennent enrichir et étendre la mythologie de la série. Cette dimension est présente dès le premier tome, et elle continue à se développer. La page d'introduction établit qu'il y a déjà eu un individu s'appelant Capricorne par le passé, au dix-septième siècle, et que déjà à l'époque, il y avait des choses mystérieuses dans le sous-sol de Manhattan. De plus, il est fait référence directement aux trois vieilles femmes du premier tome, vraisemblablement les Moires, et aux cartes du destin qu'elles ont confiées à Capricorne. Les gants de Jefferson Granitt refont leur apparition, avec leur capacité de transmettre un savoir venu d'une autre personne, ce qui donne lieu à la rédaction de plusieurs pages en écriture automatique, par Miriam Ery. Sans oublier la créature qui se manifeste de manière spectaculaire, dérangée de son sommeil par l'ouverture du tunnel qu'avaient obturé les Amérindiens. Andeas fait référence à des événements des tomes précédents qu'il explicite : le 4 dans lequel Astor avait trouvé un livre fantôme, le 6 dans lequel Capricorne avalait e médicament du docteur Sippenhaft. Comme à son habitude, il ne rappelle pas le nom de tous les personnages dans ce tome. Certes ils disposent tous d'une apparence remarquable et mémorable, mais dans ce cas-ci, un trombinoscope aurait été le bienvenu.
Visuellement, l'album commence calmement avec une première page comprenant 10 cases, pour une narration posée et claire. Dans la deuxième planche, le lecteur découvre une case occupant les deux tiers de la page, une vue de dessus montrant Miriam Ery en train de contempler sa machine à écrire, avec l'entrelac géométrique des poutres en premier plan, et une vue détaillée de l'aménagement de son grand salon - salle à manger : la table basse, la table servant de bureau, la table pour dîner, le canapé, les coussins, les tapis, les plantes vertes, une tenture, une étagère avec des livres, etc. Régulièrement, le lecteur reste épaté par une case spectaculaire, par son niveau de détail ou par ce qu'elle montre. Cela commence donc avec l'aménagement d'une très grande pièce. Ça continue dès la page suivante avec une berline qui fonce à tombereau ouvert dans les rues de Manhattan, la suite des façades de gratte-ciels étant courbée pour montrer l'effet de vitesse. Par la suite, le lecteur ralentit sciemment sa lecture, voire effectue une pause pour savourer une case, ou un dessin sur deux planches : l'explosion de la berline sous l'effet de la grenade, à nouveau une vue de dessus cette fois-ci dans les égouts avec l'entrelac des tuyauteries en premier plan, la grande galerie dans laquelle se trouvent les rebelles dans un dessin en pleine page, un autre dessin en pleine page avec les vrilles de la créature qui traversent la tête de chaque personne présente, la découverte de la grande salle dans un niveau en sous-sol avec tous les bureaux identiques et totalement désertée, ou encore le visage fermé et intransigeant avec un soupçon de mépris de Samuel T. Growth.
Avec ces images fortes et mémorables, le lecteur constate le degré d'implication de l'artiste, qu'il retrouve également dans plusieurs séquences. Comme dans d'autres tomes, Andreas laisse la place aux dessins de raconter l'histoire avec des pages silencieuses, c’est-à-dire totalement dépourvues de texte ou de mot. Il en va ainsi des planches 13, 14, 18, 23, 24, 27, 30, 31, 32, 33, 42, soit 11 pages sur 46. Il ne s'agit pas d'une belle image pour en mettre plein la vue, mais d'une narration racontant un événement, une action, tous parfaitement compréhensibles, que ce soit la créature qui se retire après avoir laissé quelque chose dans l'esprit de chaque rebelle présent, ou ce qui se passe dans leur tête. Durant les planches 30 & 31, le lecteur assiste aux pensées de 5 personnages principaux, dans une mise en page bien trouvée : 3 colonnes de 8 cases par page, la lecture se faisant alors colonne par colonne de haut en bas. Alors que Samuel T. Growth est détenu par Joseph Jolly et ses acolytes, le Concept dépêche l'agent spécial la Solution pour le retrouver .il s'agit d'un homme en armure de combat moderne qui avance sans mot dire, d'autant plus terrifiant que chaque page qui lui est consacrée est muette.
En entamant ce tome, le lecteur ne sait donc pas trop quelle direction va prendre le récit. Il comprend que la rébellion continue avec ses moyens humains limités. Il constate que les mystères continuent de se développer : les gants et l'écriture automatique, une nouvelle créature sous Manhattan, le retrait des affaires du Concept dans cet immeuble, la date fatidique du 31 décembre, etc. La page d'ouverture ajoute encore à la notion de destin, rappelée ensuite par les cartes des Moires. Capricorne reste un héros envers et contre tout. La Solution se montre moins impitoyable que prévu. Cette série continue d'être une grande aventure, avec de superbes planches, et une trame donnant à la fois la sensation d'être tentaculaire et que de nouveaux éléments ne cessent d'apparaître de manière arbitraire, en fonction de l'inspiration du moment de l'auteur, mais qu'ils s'imbriquent tous parfaitement, comme si tout était déjà bien prévu dans un plan à long terme. Le lecteur se laisse emmener par l'aventure mystérieuse et spectaculaire, la savourant au premier degré.
Toujours un plaisir de redécouvrir par ton ressenti :) Je relirai tout ça pour sûr !
RépondreSupprimerAvec ces derniers tomes, je comprends mieux pour quelle raison l'article wikipedia présente cette série en cycles. Celui-ci est le cycle du Concept.
SupprimerOui, pour moi, les neufs premiers tomes seraient celui de l'arc (ou cycle) du Concept, mais je dois les relire pour avoir un oeil nouveau.
SupprimerL'article wikipedia propose un 1er cycle pour les tomes 1 à 5, et un 2ème pour les 6 à 9 qui est bien celui du concept.
SupprimerSamuel T. Growth, Fay O'Mara, Hiram Szbrinowski, Miriam Ery, etc. - Je me demande si l'auteur dissimule quelque chose derrière ces noms, des références quelconques, et si oui, lesquelles...
RépondreSupprimer"La Solution se montre moins impitoyable que prévu." - Ça me déçoit toujours un peu lorsqu'un "méchant" ne répond pas aux attentes. Je pense immédiatement à Stark-le-Noir, ce pirate dans "Barbe-Rouge" et ma déception par rapport à ce que Charlier en a fait.
"l'entrelac géométrique des poutres en premier plan" et "l'entrelac des tuyauteries en premier plan" - Rien à dire : c'est stupéfiant. J'aimerais savoir s'il y a une connexion quelconque entre les deux cases, ou s'il s'agit juste d'un écho, d'un reflet.
"de superbes planches" - Je n'arrive pas à me faire aux visages des personnages de l'artiste, mais alors, quelles mises en pages incroyables !
Étonnant : je me suis fait la même remarque en découvrant ces noms. Je ne sais pas du tout s'il s'agit d'un processus pour trouver des noms à la fois originaux et évocateurs, ou si ce sont des noms à clef.
SupprimerS'il y a une connexion entre ces deux entrelacs, elle m'a échappé. Pour autant, cet écho visuel engendre un questionnement réflexe à la lecture : y a-t-il un lien ?
Pour moi, les choix esthétiques concernant les visages diminuent un peu l'empathie, parce qu'ils sont un peu éloignés de la réalité physique.
Le méchant qui ne répond pas aux attentes produit également l'effet de sortir d'un simple manichéisme en montrant qu'il est tout autant humain que les autres protagonistes.
Alors celui-ci je l'ai dévoré. Peut-être l'unité de temps, très ramassé, en tout cas j'avais tout oublié, y compris la couverture. Un vrai bonheur.
RépondreSupprimerDe prime abord, celui-ci m'a fortement déconcerté avec le retour des éléments surnaturels ou mystiques, en décalage avec le caractère pragmatique et banal d'une dictature : l'amérindien,les gants, l'écriture automatique.
SupprimerOui, Andreas fait le lien entre les différents genres qu'il aborde, c'est à la fois original, dangereux pour le lectorat qui peut s'y perdre mais aussi très intègre : il n'abandonne aucune histoire, aucune piste, aucun personnage.
SupprimerIl n'abandonne aucune histoire : c'est une caractéristique qui m'épate encore après avoir terminé la série. Je ne sais pas comment il a fait pour ne rien perdre en route, comment il a structuré et planifié sa série pour en assurer la cohérence et le déroulé, tout en conservant assez de mou pour pouvoir improviser de temps à autre…à l'échelle de 20 ans !!!
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