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jeudi 19 mai 2022

Capricorne, tome 7 : Le Dragon bleu

Je n'agis pas.


Ce tome fait suite à Capricorne, tome 6 : Attaque (2001) qu'il faut avoir lu avant. Sa première parution date de 2001 et il compte 46 planches de bande dessinée. Il a été réalisé par Andreas Martens pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il a été réédité en noir & blanc dans Intégrale Capricorne - Tome 2 qui regroupe les tomes 6 à 9, dont le chapitre Le Fragment.


Capricorne, Ash Frey et Astor sont confortablement installés dans des fauteuils du gratte-ciel du 701 Seventh Avenue à New York. La discussion est animée et amusée quand, sans aucun signe annonciateur, une équipe de d'une demi-douzaine de soldats fait irruption : Capricorne se lève et reçoit un coup de crosse dans le torse. Sonné, il est emmené par les soldats. Ils le trainent dans la rue et le font monter de force dans un fourgon où se trouvent déjà une dizaine de personnes qui travaillent dans le surnaturel. Mordor Gott observe cette scène, caché dans l'ombre d'un immeuble. Il voit passer trois agents de la police secrète, enveloppés dans un imperméable noir. Ils les laissent passer et entrent dans l'immeuble du 701 Seventh Avenue à New York. Il monte jusqu'au salon et y entre. Quelque part un squelette commence à bouger. Dans la bibliothèque du gratte-ciel, un ancien tome commence à briller. Mordor Gott touche la joue d'Ash Grey pour la réveiller. Elle reprend conscience, et Astor également bondissant immédiatement pour faire face à l'intrus. Ce dernier les met au courant des derniers événements : Capricorne a été embarqué dans la rafle, et le Concept a réussi son coup d'état dans plusieurs pays, grâce à leurs sympathisants, leur armée et leur police secrète.



Malgré tout ce qui les oppose, Ash Grey se rend à l'évidence : ils doivent faire alliance avec leur ennemi contre le Concept. Le trio monte dans la salle de travail de l'immeuble et Gott explique qu'il existe deux endroits stratégiques identifiés : un centre de transmission des ordres, et un quartier général des opérations militaires. Les deux sont situés au sommet de gratte-ciels, inattaquables par le bas car remplis de des soldats sur plusieurs étages. Ash Grey y voit une ouverture : elle peut organiser une attaque par les airs avec son groupe aérien d'intervention. Astor s'interroge sur l'origine du Concept. Il attire l'attention des autres sur des petits bruits mécaniques. Gott se demande si le Concept a déjà truffé cet immeuble d'instruments d'écoute. Il décide d'aller retrouver Capricorne et d'essayer de le délivrer. Astor décide de rester sur place et d'étudier la propagande du Concept ramenée par Gott. Ash Grey sort de l'immeuble et avance avec méfiance dans la rue. Elle voit arriver une patrouille à pied et se cache dans un renfoncement. Elle parvient à une cabine téléphonique mais n'arrive pas à avoir son correspondant. La patrouille revient et elle se met à courir pour se mettre à l'abri et manque de heurter un autre passant pressé : un bel homme élancé dans un imperméable. Il lui indique un endroit où se mettre hors de vue, et les deux s'y abritent le temps que la patrouille passe.


Le tome 6 se terminait de manière très abrupte par une explosion, mais le lecteur s'attend à ce que la résistance s'organise dans le présent tome. Il est pris au dépourvu en se rendant compte que la première page de ce tome est exactement la même que celle du précédent, tout autant dépourvue de mots. Par ce dispositif, l'auteur établit qu'il repart du même moment, tout en effectuant un rappel rapide, sans un seul mot, du grand art. Dans le tome 6, Andreas avait réalisé 12 pages muettes, sans dialogue ni cartouche de texte. Dans celui-ci, il y en a 18 : les planches 1, 3, 7, 12, 13, 18, 19, 23 à 30, 33, 39, 46. À chaque fois, le lecteur est épaté par la facilité de lecture, l'évidence de chaque scène quelle qu'en soit la nature. Il y a donc la succession de quatre cases sur une unique bande où les militaires surgissent dans le salon et collent le coup de crosse dans le torse de Capricorne, d'une brusque violence.



De la page 24 à 30, le lecteur assiste à une séquence d'un rare maestria : en parallèle se déroule l'attaque aérienne du groupe d'intervention d'Ash Grey et l'apparition du Dragon Bleu dans le gratte-ciel du 701 Seventh Avenue à New York, et dans le même temps le squelette continue de se mouvoir. Comme à son habitude, l'artiste utilise les différentes possibilités de mise en page qui s'offrent à lui : cases de la largeur de la page, cases en insert, cases sagement alignées ou un peu décalées, cases de la hauteur de la page, case en mat à gauche avec des cases comme accrochée en drapeau à droite, dessin en pleine page, case centrale et les autres disposées autour. Le lecteur est ainsi emmené dans ce tourbillon narratif. En planche 33, il découvre 3 bandes de 4 cases chacune, avec 5 en gros plan sur le même visage dont l'expression change au fur et à mesure qu'il entend ce que lui dit son interlocuteur au bout de fil, et le lecteur comprend très bien l'évolution de son état d'esprit alors qu'il n'y a aucun mot. Il se retrouve incroyablement ému par la dernière page, également muette, montrant juste Astor assis et en train de lire : heureux et pourtant dans une situation dramatique qui émeut le lecteur jusqu'aux larmes.


Le plaisir des yeux ne provient pas que de la mise en page vive et variée, il est également généré par des personnages souvent élégants, toujours vivants dans l'expression de leur visage, dans leurs postures. Il y a également l'utilisation des aplats de noir, ces derniers ressortant mieux dans l'édition en noir & blanc. Il en joue pour masquer l'identité d'un personnage : Mordor Gott dont seule la chevelure est en couleur, tout le reste étant en noir jusqu'à la révélation de son identité. L'avancée des avions vrombissant sur le fond noir d'un ciel nocturne sans étoile. Le costume noir (pantalon et veste) d'Astor qui lui donne du poids dans la case, malgré sa petite taille. Le rappel des poutres noircies par le feu prend l'apparence d'un entrelacs géométrique en fond de case. Les scènes d'action sont tout aussi remarquables, avec parfois une conception étudiée pour les rendre plausibles, et d'autres fois une simplification pour évoquer les films d'aventure tout public. Cela peut s'avérer déconcertant de voir Mordor Gott accroché sous la caisse d'un camion pour découvrir où se trouve le camp de détention. Cela fait un effet un peu bizarre que ce soient des avions à hélice qui attaquent le centre de transmission du Concept au sommet d'un gratte-ciel à New York.



Le lecteur comprend donc que l'auteur reprend son histoire au point de départ du tome précédent pour montrer ce qui s'est passé concomitamment à la détention brutale de Capricorne. Il s'attend à découvrir ce qui est arrivé à ses deux amis Ash & Astor, et comment la rébellion commence à s'organiser. Ça commence effectivement un peu comme ça, avec en prime l'irruption d'un personnage dont il ne savait pas s'il deviendrait récurrent ou non. Dans le tome précédent, l'auteur avait inclus plusieurs extraits de propagande du Concept : dans celui-ci, il intègre plusieurs billets des opposants à ce régime, à la fois aux États-Unis, à la fois en Afrique et en Asie. Le lecteur ne sait pas trop s'il doit les prendre au pied de la lettre, ou avec le même recul critique que ceux de la propagande. A priori, il s'agit de la bonne cause, mais ne s'agit-il pas là aussi d'une manipulation ? Comme le rappellent certains passages, il s'agit d'un récit d'aventure qui ne se veut pas réaliste : il est donc cohérent que Ash Grey parvienne à réaliser une attaque aérienne juste avec quatre de ses pilotes, et que Growth junior parvienne à la faire s'échapper de manière rocambolesque, même si ce n'est pas réaliste. Dès la planche 3, le lecteur se demande ce que vient faire ce squelette sur fond noir dans une seule case. Il se souvient qu'Andreas lui avait fait un coup similaire dans le tome 5 avec le dessin du chat. Mais non, ici il s'agit d'un événement qui se déroule à un rythme plus lent que les autres, au rythme d'un case de temps en temps quand l'action se situe dans le gratte-ciel du 701 Seventh Avenue. Au bout de quelques pages, le lecteur prend conscience que le héros de la série est absent : il n'apparaît que 3 cases en planche 13, pour n'intervenir réellement qu'à partir de la planche 42.


Alors qu'il est parti pour la montée en puissance d'une rébellion contre un régime totalitaire, le lecteur constate rapidement qu'elle ne sera pas racontée comme un reportage dans un monde réaliste. Il y a le retour de Mordor Gott, le squelette, et bien vite le gigantesque Dragon Bleu qui figure sur la couverture. Le scénariste poursuit la composante surnaturelle présente dès le premier tome et la développe fortement dans celui-ci, alors qu'elle ne jouait qu'un rôle mineur dans le précédent. Sous réserve qu'il ait à l'esprit le premier cycle, le lecteur mesure l'importance donnée au mystère de la nature de Capricorne, et des entités liées à son destin, à commencer par Dahmaloch. En fonction de l'horizon d'attente du lecteur, cette augmentation de la part du surnaturel constitue un changement de registre du récit par rapport à sa première partie. D'un côté, c'est déstabilisant de ne pas rester dans un registre de lutte contre un régime totalitaire : de l'autre côté, la série a commencé avec le mystère de Capricorne, avec les Moires, et avec des entités mystiques. C'est donc plutôt un retour à son essence. Le lecteur y retrouve également le principe du feuilleton à suivre puisque les révélations génèrent de nouvelles questions tout aussi intrigantes. Mais qui est cet individu appelé l'homme aux mains tatouées ?


Un septième tome aussi intrigant que déstabilisant, aussi maîtrisé que surprenant. Andreas continue l'histoire entamée dans le tome précédent, tout en la reconnectant avec la continuité du premier cycle. Le lecteur est emporté par la dextérité et l'élégance de la narration visuelle. Il pense être parti dans un récit de résistance relativement réaliste et il se retrouve plongé dans un récit d'aventure avec une forte composante surnaturelle. L'auteur l'a ramené dans le droit de fil de la série, avec une nature feuilletonnante, tant pour l'intrigue que pour les ressorts narratifs. Une fois qu'il a réajusté ses attentes, le lecteur profite pleinement de cette expédition spectaculaire, racontée de manière très personnelle. Il note ici et là quelques remarques glaçantes comme le fait que le mal n'a pas besoin d'agir pour exister, il lui suffit de laisser faire.



5 commentaires:

  1. "12 pages muettes, sans dialogue ni cartouche de texte. Dans celui-ci, il y en a 18" - C'est impressionnant, car on se rapproche de la moitié de l'album. Je me doute que l'absence de texte n'a rien de novateur en soi et que des albums entièrement sans texte ont été écrits, mais je suis toujours admiratif d'un scénariste qui peut faire avancer une intrigue complexe avec des planches sans texte.

    "le même visage dont l'expression change au fur et à mesure qu'il entend ce que lui dit son interlocuteur" - Voilà un autre procédé narratif dont je suis particulièrement friand et admiratif. Je ne sais pas si cette technique porte un nom particulier.

    "qui émeut le lecteur jusqu'aux larmes" - De toute évidence, voilà une lecture qui t'a chamboulé.

    "cette augmentation de la part du surnaturel constitue un changement de registre du récit par rapport à sa première partie. D'un côté, c'est déstabilisant" - Oui, ça me déstabiliserait aussi, et me connaissant, je ne pense pas qu'une réorientation de registre ou une bascule entre deux registres me plairait beaucoup, surtout lorsque l'on parle de surnaturel. Je ne le pense pas, ou alors il faudrait que ce soit très subtilement amené.

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    1. Gratuit : un exemple d'album sans texte, par John Byrne.

      https://comiconlinefree.net/critical-error/issue-Full/full

      Un gros plan fixe sur un visage : je n'ai pas non plus connaissance d'une appellation particulière. Je n'en suis pas trop client : c'est un bel exercice d'expressivité, mais dans le même temps la densité de narration est assez faible, à commencer par la force des choses pour l'environnement.

      Cette lecture m'a chamboulé et je me rends compte en me relisant qu'Andreas sait développer des moments très personnels totalement imprévisibles, et pourtant totalement intégrés aux aventures.

      A nouveau, en lisant tes observations, je me dis que Andreas ne s'interdit aucun genre dans le domaine de l'aventure, et que le lecteur peut trouver arbitraire cette hétérogénéité des genres, mais peut-être l'a-t-il prévue dès la conception de sa série.

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  2. A la relecture, j'ai été aussi déstabilisé que toi. J'avais bien oublié ce tome à part pour quelques passages marquants. Il y a beaucoup de planches muettes, ce qui ajoute de la tension j'ai l'impression. Tu as raison, la fin est très émouvante.

    Je me rends compte également que j'avais oublié cette histoire qui se passe en même temps que le tome 6 mais selon d'autres points de vue, et là, je ne peux que faire le parallèle avec Donjon : il existe trois tomes de la série qui racontent le même moment selon trois personnages différents, le niveau 103 (Le Noir Seigneur, le Monster de Blanquet / Armaggedon, un Crépuscule / La Carte Majeure, le Monster de... Andreas).

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    1. Merci de continuer à me faire partager tes réactions à cette relecture.

      Ce n'est pas la première fois que je vois ce dispositif de raconter la même chose avec deux points de vue, généralement pour montrer deux perceptions, et donc deux interprétations et deux compréhensions des événements ou de la réalité. Je ne m'attendais pas à ce que Andreas ait participé à la série Donjon : merci pour cette information.

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    2. De rien. En effet, cette narration n'est pas nouvelle mais assez peu utilisée j'ai l'impression en bd. Je crois que le mètre-étalon est Rashomon, un film que je n'ai jamais vu. Et ne t'inquiète pas, je vais remettre des commentaires à chaque tome de la série, depuis le temps que je voulais tout relire d'une traite !

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