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mardi 28 juin 2022

Capricorne, tome 9 : Le Passage

Loin d'être un doute passager, la question a fini par me hanter…


Ce tome fait suite à Capricorne - Tome 8 - Tunnel (2003) qu'il faut avoir lu avant. Il est recommandé d'avoir commencé par le premier tome pour comprendre toutes les péripéties. Sa première parution date de 2003 et il compte 98 planches de bande dessinée. Il a été réalisé par Andreas Martens pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il a été réédité en noir & blanc dans Intégrale Capricorne - Tome 2 qui regroupe les tomes 6 à 9. Ce tome présente une pagination double avec deux épisodes successifs, Le passage suivi de Le fragment, séparé par un interlude de 8 pages.


Le passage : Capricorne est parvenu à déchiffrer le rendez-vous mystérieux appelé Holy Minuit. C'est ainsi qu'il se retrouve allongé sur la toile d'un zeppelin en plein vol. il est persuadé que ce dirigeable transporte des personnages importants aux origines du Concept, cette organisation qui a envahi le monde, insaisissable, apparemment sans hiérarchie ni commandeur. Le Concept dont toute activité semble destinée à se terminer d'ici quelques semaines, le trente-et-un décembre. Toujours allongé sur la toile lisse, il rampe précautionneusement jusqu'à atteindre une bouche d'aération. Il n'a pas le choix, car il n'a pas la force d'aller jusqu'à une autre. Il ouvre la trappe et descend à l'échelle métallique verticale. Il se trouve sur les passerelles qui courent le long de la toile du zeppelin, entre les poutrelles métalliques sur lesquelles elle est tendue. Deux gardes viennent à passer. Il se cache et les écoute : un représentant de la police secrète est à bord. Il s’agit de Margaret Sandblast. Il continue à explorer le vaisseau et arrive dans une grande salle contenant trois cercueils oblongs. Soudain des pointes émergent de l'un d'eux.



Interlude : en 1909 quelque part dans une région rurale des États-Unis, Trent et son épouse Betty voient arriver une voiture vers leur ferme perdue au milieu des champs. Une fois arrivé devant leur porte, le conducteur se présente : Zander Kalt et sa femme Hilda. Puis un petit ballon atterrit en catastrophe à proximité, et il en sort un individu se présentant sous le nom d'Edmond.


Le fragment : le dirigeable est arrivé à sa destination avec à son bord des hommes d'équipage, et Samuel T. Growth personnage important du Concept, le docteur Milburn Sippenhaft, Joseph Jolly comptable du Concept, Mordor Gott, et Capricorne. Ce dernier a sauté pour ne pas se faire remarquer, et il se retrouve suspendu à un arbre accroché à une falaise verticale, dans une posture bien périlleuse. La souche lâche, et il parvient à se rattraper à une branche en-dessous. Il finit par perdre connaissance, mais sans lâcher prise. À l'intérieur du bâtiment perché sur un éperon rocheux, Mordor Gott découvre une complexe salle des machines. Il voit Joseph Jolly passer dans la cour en contrebas, et se dit que cet idiot va se faire repérer. Il est lui-même attaqué par un garde-robot.


Grosse surprise : l'auteur propose une double dose de Capricorne pour ce tome ! Par la force des choses, le lecteur reste avec la deuxième partie en tête en le refermant, mais il lui suffit de reparcourir les premières pages pour se souvenir du voyage tout en tension de la première partie. Il retrouve toutes les particularités narratives de l'artiste à commencer par des pages muettes, sans texte, ni mot, d'une clarté exemplaire : les planches 7, 9, 21, 23, 27, 28, 30, 32 pour Le passage, les planches 3, 4, 8, 11, 19, 28, 29, 30, 34, 45 pour Le fragment, et même deux planches pour l'interlude. Le lecteur se doute bien que Capricorne va s'inviter clandestinement au voyage de Samuel T. Growth, mais il ne sait pas quelle forme il va prendre. Il découvre un dessin en pleine page pour la planche 1 : le héros étendu sur une surface peu explicite. Il tourne la page et se retrouve face à un dessin en double page, qui lui coupe littéralement le souffle : une vue du dessus avec le dirigeable en premier plan, et la ville de Manhattan en dessous, pour laquelle Andreas ne s'est pas économisé, en représentant tous les gratte-ciels, énorme. C'est une constante dans cette série : l'artiste assure le spectacle pour le lecteur, soit avec des visions impressionnantes et mémorables, soit avec des constructions de page imaginatives. Au travers de cette petite centaine de pages, il est possible d'en citer de nombreuses.



L'œil du lecteur est également attiré par une autre caractéristique de la première partie : des pages ne comprenant que des cases avec une tête en train de parler. C'est une prise de risque car le dessinateur choisit d'utiliser des gros plans, c'est-à-dire de se priver de toute forme de langage corporel, à l'exception d'une inclinaison de tête et de l'expression du visage. Il y a trois planches (17, 18, 24) ainsi constituées, auxquelles il faut ajouter neuf demi-planches avec uniquement des cases comprenant un visage. Andreas dessine avec une manière bien à lui d'apporter une forme de simplification ou de caricature, mais sans aller vers une exagération de l'expressivité. Du coup, ces pages ne valent pas pour l'intensité émotionnelle qui s'affiche sur chaque visage, ou la nuance du sentiment exprimé, mais pour le contraste entre les différents interlocuteurs, par exemple la douceur du visage d'Ina Claire et la dureté de celui de Samuel T. Growth, ou encore le calme détaché du docteur Sippenhaft. De même, l'artiste ne s'attache pas à montrer comment évolue la prise d'ascendance sur la conversation, car il place chaque personnage au même plan. L'enjeu est plus de montrer la pluralité des points de vue, en fonction de la personnalité de chacun, de la raison de sa présence à ce moment-là. L'interlude présente la caractéristique d'avoir été reproduit à partir de dessins non encrés, ce qui leur donne une forme de douceur surannée, cohérente avec le fait que la séquence se déroule en 1909. Le fragment revient à des dessins très texturés, pour la pierre, la roche, la terre, les briques, la pluie. Comme à son habitude, l'artiste découpe ses planches en autant de cases qu'il estime adapté, d'un dessin en double page, à une page contenant 20 cases.



Le passage se déroule comme un huis-clos : les personnages se croisant ou s'évitant à l'intérieur du dirigeable, le caractère fini et fermé de cet environnement étant rappelé par la toile du ballon, et les poutrelles qui forment autant de figures géométriques qui s'imposent aux protagonistes comme des axes obligés. Andreas met en scène une dizaine de personnages : Capricorne, Mordor Gott, Joseph Jolly, Samuel T. Groth et son fils Cuthbert J. Growth, le capitaine Onslow, le docteur Milburn Sippenhaft, Margaret Sandblast, Thomas, Ina Claire, et plusieurs soldats anonymes. Chaque personnage est défini par son apparence, et un trait de personnalité majeure, le moteur de l'intrigue restant l'intrigue et non une étude de caractère ou un suspense d'ordre psychologique. Le scénariste gère les chassés-croisés avec élégance et plausibilité, intégrant des événements inattendus comme l'arrivée d'avions, ou le déclenchement d'un engin à pointes, objet récurrent dans la série. Il développe des composantes de la mythologie de la série, par exemple en expliquant ce que sont les mentors auxquels il a déjà été fait allusion, en révélant ce qui se trouve à l'intérieur d'un tel engin. Il s'amuse avec l'inspectrice peu commode de la police secrète du Concept, une femme de petite taille sans être naine, en surpoids qui rappelle la première version d'Amanda Waller, créée par John Ostrander & Luke McDonnell dans la version de 1987 de Suicide Squad. L'épilogue de cette première partie permet de comprendre le titre : Passage est le nom d'un personnage que le lecteur avait vu précédemment.


L'interlude s'avère fort sympathique, même si sur le moment le lecteur ne sait pas trop quoi en retenir, à partir une expérience de psychologie un peu cruelle. Il entame donc la seconde partie qui s'apparente à un chapitre à part entière de la série. Le dirigeable est arrivé à destination, et il suppose qu'il va suivre Capricorne dans une nouvelle étape menant aux instigateurs et aux dirigeant du Concept. Andreas met en œuvre les figures du genre aventure, totalement au service de sa propre histoire : situations périlleuses comme un individu accroché à une branche d'une falaise, combat contre un robot, nouvel individu mystérieux (Gordon Drake ?), un laboratoire technologique, des créatures de boue, des silhouettes encapuchonnées, trois vieux sages, une immense pierre gravée ronde à laquelle il manque un fragment, une évasion spectaculaire en ballon avec une petite nacelle, et une avalanche de révélations majeures. Le lecteur ne s'attendait pas à ces dernières, à leur concision et à leur originalité concernant le Concept, avec une forme d'inspiration tirée de l'expérience de Stanley Milgram (1933-1984), et une autre tout aussi majeure concernant l'identité de Capricorne. Il apprécie le rythme très différent de celui de la première partie et le retour à une narration visuelle riche en péripéties, ce qui contraste avec Le passage.


Le lecteur découvre un tome double d'une grande richesse à la fois sur le plan visuel, à la fois sur le plan de l'intrigue, passant d'un huis-clos tendu, à une aventure pleine de révélations, avec une narration visuelle toujours aussi variée. L'auteur résout un nombre significatif de mystères de premier plan de sa série, tout en continuant d'en nourrir d'autres, sur le principe du feuilleton. Un divertissement de haut vol.



6 commentaires:

  1. Déjà neuf tomes de cette série, soit bientôt la moitié de la série, alors que tu n'as commencé à en écrire les articles il y a moins d'un an : bravo ! À ce rythme-là, tu auras fini début 2023. Voilà une régularité qui me fait envie, moi qui suis empêtré dans des séries-fleuves.

    "un zeppelin en plein vol" - Alors ça, si ce n'est pas censé rappeler les aventures de Batman, j'y perds mon latin.

    "Il tourne la page et se retrouve face à un dessin en double page, qui lui coupe littéralement le souffle" - Je ne l'aurais pas mieux formulé. Quelle générosité dans le détail ! Quel sens de la perspective absolument admirable ! Je pourrais rester des heures à l'observer, cette planche.

    "l'inspectrice peu commode de la police secrète du Concept, une femme de petite taille sans être naine, en surpoids qui rappelle la première version d'Amanda Waller, créée par John Ostrander & Luke McDonnell dans la version de 1987 de Suicide Squad." Une pure coïncidence : je lis justement le second tome des "Archives de la Suicide Squad".

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    1. À ce rythme-là, tu auras fini début 2023 : p'têt bin qu'oui, p'têt bin qu' non. J'essaye de ne pas laisser passer trop de temps entre deux tomes, parce que l'intrigue au long court en toile de fond est assez riche, et je ne voudrais pas en oublier des morceaux en cours de route. Je me rends compte que je commence à oublier certains personnages qui ne sont pas apparus depuis 4 ou 5 tomes.

      Rappeler les aventures de Batman : je ne suis pas sûr de moi, mais il est également possible que The Shadow ou d'autres héros de l'époque des pulps se soient livrés à ce genre de voltige.

      La double page : je lis cette série dans sa réédition en noir & blanc, et j'ai littéralement découvert à nouveau cette double page en cherchant des illustrations et en la voyant pour la première fois en couleur.

      Amanda Waller : coïncidence sûrement ou synchronicité comme disent les anglosaxons, et personnage marquant également. A l'époque, je lisais les numéros de la série Suicide Squad mois par mois en VO et j'étais fasciné par cette femme que je n'ai toujours pas oublié plus de trois décennies plus tard.

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  2. "C'est une constante dans cette série : l'artiste assure le spectacle pour le lecteur, soit avec des visions impressionnantes et mémorables, soit avec des constructions de page imaginatives." Voilà, Andreas est généreux dans les péripéties que sur la forme, ce qui en fait comme tu le dis, un sacré divertissement. Merci pour ton enthousiasme et les articles qui éclairent encore une fois ce que je ne vois pas moi-même.

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    1. Andreas est généreux : c'est exactement mon ressenti à la lecture, un créateur généreux qui donne beaucoup plus que le minimum syndical.

      Ce que je ne vois pas moi-même : ça m'arrive également et j'ai remarqué que le simple fait d'écrire mon avis induit que je prends conscience d'éléments que j'avais survolés en mode Lecteur-Consommateur.

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  3. A couper le souffle pour de bon, cette double planche du début ! J'ai également remarqué, en lisant les tomes 8 et 9 à la suite, que rien n'est explicité quant à l'endroit où part le dirigeable : en fait la couverture du tome 9 fait partie de l'histoire, c'est la vraie première case. On sent complètement la fin de cycle mais il y a de nouvelles voies en effet, à commencer par Gordon Drake, très mystérieux.

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    1. Je me souviens que je m'étais posé la même question sur la manière dont il avait pu arriver sur le dirigeable : une ellipse radicale, mais en même temps le plan de Capricorne était évoqué dans le tome précédent, et ce saut n'a pas nécessité d'augmentation de suspension d'incrédulité consentie de ma part.

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