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mardi 25 janvier 2022

Double dames

Pourquoi c'est toujours moi Watson ?


Ce tome s'intercale entre La conjuration de bohême (2012, tome 16 de la série) et Caroline Baldwin T17: Narco tango (2017). Il contient une histoire complète qui peut être appréciée sans aucune connaissance préalable des aventures de Caroline Baldwin ou de celles de Roxane Leduc. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario, les dessins et les couleurs, avec sa fille Johanna coscénariste. Il se termine avec un texte d'un page où l'auteur explique la genèse de l'album, et la reproduction des crayonnés de 2 pages n'ayant pas été retenues dans l'histoire finale.


Dans une auberge en Haute-Savoie, par un bel après-midi de printemps, Roxane Leduc regarde le paysage depuis le balcon de sa chambre. Elle entend son portable émettre un bip : elle rentre dans sa chambre, met de l'eau à chauffer dans la bouilloire électrique, puis sort son téléphone de son sac. Il s'agit d'un message de Caroline Baldwin lui annonçant qu'elle doit retarder son départ de Montréal et qu'elle l'appelle demain. Roxane se sert son thé, et va bouquiner sur son lit. Le lendemain, elle petit-déjeune tranquille toute seule à la table de l'auberge, puis sort pour se rendre à son rendez-vous à 10h00 devant l'église de Bellevaux. Tout en conduisant, elle vérifie dans sa tête qu'elle a bien tout : raquettes, pique-nique. Elle arrive sur place avec seulement sept minutes de retard.



Comme convenu, Roxane Leduc retrouve Carlos Menez devant l'église. Il lui explique que son père ne se sent pas très bien et qu'ils ont décidé d'écourter leur séjour. Néanmoins, il la dédommage pour cette journée perdue, parce que lui non plus ne va pas effectuer la randonnée : ce ne serait pas raisonnable de laisser son père seul même quelques heures. Elle souhaite un prompt rétablissement à Félix Marchand le père de son client, et elle décide d'effectuer la randonnée seule, pas de raison que la balade soit perdu pour tout le monde. Elle avance d'un bon pas en raquette dans la neige, et remarque qu'elle n'est pas la seule à profiter de la journée. Un peu plus loin, elle s'arrête discrètement car elle vient d'apercevoir le même Carlos Mendes en raquette, arrêté, observant droit devant lui quelque chose avec ses jumelles. Elle se cache derrière un arbre pour l'épier. Son téléphone sonne : elle répond et Caroline Baldwin lui indique qu'elle se trouve à l'aéroport de Dorval où tous les avions sont cloués au sol suite à une gigantesque tempête de neige. Elles sont coupées : Roxane raccroche et constate que Carlos en a profité pour mettre les voiles. Elle poursuit sa randonnée, alors qu'il l'épie à son insu, caché derrière un arbre. Une fois rentrée à l'auberge, Roxane revêt une robe et descend manger. L'aubergiste lui demande si elle veut une table seule ou si elle attend ses deux clients, ce qui la déconcerte car elle était persuadée qu'ils étaient partis. Elles vont demander au patron Olivier en cuisine qui confirme qu'il ne savait pas que les argentins sont partis. Deux policiers arrivent à ce moment-là et leur apprenne la mort de Félix Marchand dont le cadavre a été retrouvé.


La série Caroline Baldwin s'est achevée en 2020 avec Caroline Baldwin T19 - Les faucons. Dans sa postface, l'auteur explique qu'il avait souhaité donner une fin à son personnage, et qu'il lui restait quelques projets d'histoire, a priori une demi-douzaine, commencées, mais pas finalisées, qui s'intercalent entre des albums déjà parus. Le lecteur comprend mieux le nom de la maison d'édition : éditions du tiroir, en espérant qu'il ne s'agit pas des fonds de tiroir. André Taymans explique donc qu'il avait mis en chantier la présente histoire, en 2012, qui devait être racontée de deux points de vue différents, celui de Roxane Leduc, et celui de Caroline Baldwin. Elle a été retravaillée sous la forme d'un album unique. La quatrième de couverture comporte un court texte du scénariste Rodolphe replaçant dans son contexte, l'apparition du personnage Caroline Baldwin. En 1996, il y avait peu d'héroïnes : à l'époque, elle représente donc une nouveauté dans le club très privé des héros masculins. En plus, il s'agit d'une jeune femme moderne, faite de contradictions, de forces et de faiblesses, d'énergie et de fêlures, une beauté sans artifice. Du fait de la genèse un peu particulière de cette histoire, Caroline Baldwin n'apparaît que dans 2 cases dans la planche 10 et elle ne devient le personnage principal qu'à partir de la planche 31 dans ce récit qui en compte 44.



Qu'il ait déjà lu tous les tomes de la série principale ou qu'il découvre l'héroïne ou même l'auteur, le lecteur relève vite les caractéristiques de la narration. Le récit est situé dans les environs de la commune de Bellevaux en Haute-Savoie, et l'auteur connaît manifestement les lieux, et peut-être même l'auberge dans laquelle séjourne Roxane Leduc. Le lecteur peut donc se projeter dans ces lieux et se sentir comme un hôte profitant de la chambre, de son lit, de sa salle de bain, et même de sa bouilloire, dans la salle à manger pour prendre son petit-déjeuner avec Roxane, et même passer en cuisine quand elle suit la patronne qui va interroger son mari. Les traits de contour sont un peu épais, donnant ainsi plus de consistance à chaque élément, et le niveau de détails élevé assure une description immersive. Il en va de même pour les scènes en extérieur : les rues de Bellevaux, le lac de Vallon, et la randonnée en forêt. Il est fort vraisemblable que Taymans lui-même se soit adonné aux raquettes dans cette forêt. Cela donne lieu à une sympathique balade de 3 pages dans la neige, au milieu des sapins, avec une belle vue sur le lac de Vallon.


L'histoire commence tranquillement, découlant totalement du lieu et des personnages : Roxane Leduc est guide de montagne pour des randonnées, et elle va retrouver ses clients. Le récit passe en mode enquête quand la police survient dans l'auberge pour informer le patron qu'un de ses clients a été repêché dans le lac de Vallon il y a une heure à peine. Tout naturellement, Leduc en parle au petit déjeuner avec le vieux Grégoire, un ancien du village venu s'en jeter un derrière la cravate. La scène est naturaliste, avec Roxane prenant le soleil sur la terrasse et sans exagération sur l'homme âgé. Le récit passe en mode aventure de manière tout aussi organique : le vieux Grégoire a repéré une activité nocturne près du lac du Vallon. Le scénariste met à profit un fait réel : un glissement de terrain survenu en 1943, qui a emporté neuf granges, cinq fermes, deux scieries et des maisons des hameaux avoisinants dont celui de l’Éconduit. À partir de là, les conventions de genre s'immiscent dans le récit : la jeune femme qui n'hésite pas à aller voir par elle-même de nuit au bord du lac, l'inspecteur pas très doué, en tout cas moins que Roxane, cette dernière qui se dit que le plus efficace est de plonger à son tour dans le lac, de nuit bien sûr et toute seule. Le lecteur retrouve bien le principe rappelé par Rodolphe : une héroïne, femme normale, qui se retrouve dans une histoire dangereuse et qui se montre courageuse au point de se mettre en danger de manière imprudente.



Effectivement, le lecteur relève d'autres conventions de genre assez marquées : la chronologie des faits fort opportune, les personnages principaux qui décident de prendre l'initiative sans en référer à la police, et une concomitance de circonstances assez extraordinaire pour que deux fils narratifs culminent exactement au même moment, avec un ou deux hasards très heureux. Il se dit que c'est lié à la transformation d'une histoire condensée de 2 albums en 1, et des caractéristiques de l'écriture de l'auteur. S'il a lu la série, il remarque qu'il n'a pas la place de réaliser des séquences muettes de marche ou de découverte, à l'exception d'une (planche 25) quand Roxane explore le fond du lac en tenue de plongée). Il sourit en voyant la même Roxane allongée sur le lit de sa chambre d'hôtel, identiques à celle de Caroline dans d'autres albums. Il sourit franchement de l'incongruité de la planche 11 où Roxane est train de se changer pour enfiler une robe plus habillée, ce qui donne l'occasion à l'artiste de la représenter en sous-vêtement bas, culotte et soutien-gorge, un peu en décalage avec la situation et le respect montré par ailleurs aux héroïnes qui mènent la danse par leurs compétences et leur courage. D'ailleurs, le lecteur de longue date ne peut pas s'empêcher de chercher les éléments de la continuité (légère) de la série. Il retrouve l'amitié entre Roxane et Caroline, le fait que cette dernière réside au Canada. En revanche il n'est fait mention nulle part de son traitement médicamenteux.


Impossible de résister à une aventure de plus pour le lecteur qui a suivi la série régulière de Caroline Baldwin : l'occasion est trop belle de retrouver cette jeune femme au caractère pas toujours commode. La narration visuelle s'avère très roborative, avec sa qualité descriptive, les environnements montrés concrets et réalistes, la sensation de se trouver dans cette région de France, et la présence des personnages. L'intrigue s'avère un cran en dessous s'appuyant un peu trop sur des conventions de genre mises en scène au premier degré. Une aventure sympathique.



2 commentaires:

  1. Les Éditions du tiroir pour cet album, la maison Paquet pour la série... Les Éditions du tiroir appartiennent à Paquet ? Si non, tu sais pourquoi Paquet n'a pas édité cet album ?

    "en décalage avec la situation et le respect montré par ailleurs aux héroïnes" : Effectivement, c'est assez décalé. Respect des personnages, mais en même temps on n'hésite pas à saupoudre un peu de "fan service" çà et là. Le discours n'est pas le même dans les comics, mais je ne peux m'empêcher à certains dessinateurs, chez qui cette attitude est assez ancrée.

    "La narration visuelle s'avère très roborative" : Ce n'est pas l'attribut que j'aurais employé, mais effectivement, ça procure un certain plaisir de voir ces superbes planches, dignes représentantes d'une certaine forme de ligne claire. Je remarque que Taymans décide parfois les ombres des personnages, et que parfois il les omet.

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    1. Les éditions du Tiroir : ça m'a également intrigué. Je suis allé voir leur site : ça ressemble à une maison d'édition montée par des copains pour sortir des albums dont aucune d'autres ne semble vouloir, mais pour lesquels il y a de fidèles lecteurs qui ont suivi la carrière des artistes concernés. Je suppose également que l'éditeur Paquet ne devait pas proposer des conditions économiques ou marketing à la hauteur des souhaits de l'auteur.

      https://www.editions-du-tiroir.org/

      La bonne nouvelle (au moins pour moi), c'est que le tome 2 d'Eden d'André Taymans est annoncé pour fin mai 2022.

      Oui, c'est du fan service avec également Roxane Ledux allongée sur le lit dans une posture typique de Caroline Baldwin. C'est un clin immédiatement repérable par le lecteur de longue date, mais qui détonne dans cet album à la tonalité plus tout public.

      Je l'ai trouvée roborative parce que j'avais l'impression d'y être : dans l'auberge, en voiture dans le village de montagne, à ski pour une balade, presque la sensation d'être en vacance et de respirer le grand air.

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