Le petit peuple doit payer sa redevance au nouveau seigneur des cloaques.
Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre, terminée, en 6 tomes. Sa première parution date de 2004. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Martin Jamar pour les dessins, et Denoulet pour les couleurs. Il compte 45 planches de bande dessinée. Le scénariste et le dessinateur avaient déjà collaboré sur la série Voleurs d'empires en 7 tomes de 1993 à 2002.
Paris, 1781. Necker remet sa démission au roi. M. De Fleury est nommé contrôleur général des finances. Un poste redoutable. Diderot écrit : Est-il bon ? Est-il méchant ? David expose. Un incendie détruit l'opéra du Palais-Royal. Parmentier publie ses recherches sur la culture de la pomme de terre. Les restaurants à la mode sont ceux de Beauvilliers et de Véfour. Louis XVI règne. Il ne sait pas encore. Ce jour-là, une voiture bien mystérieuse s'arrête devant l'hospice des orphelins. Une dame en descend, le visage masqué par une voilette et portant une petite boîte dans ses mains. Accompagnée par une nurse, elle se rend à la salle de lecture où l'attend le jeune Charles. Elle s'assoit, ouvre la boîte et lui tend le masque blanc qu'elle contient, en lui demandant de le mettre sur son visage. À la surprise des deux adultes présents en tant que témoin, le masque tient tout seul. La dame demande au garçon s'il s'appelle bien Charles, et s'il est bien né le 15 du mois d'août 1769. Il répond par l'affirmative. Elle lui pose des questions auxquelles il ne sait pas répondre, et il se plaint qu'il commence à étouffer sous le masque qui ne comporte pas d'ouverture pour la bouche. Elle lui demande de penser à un animal, si c'est le bon, le masque tombera de lui-même. Il finit par proposer une fourmi, et le masque tombe à terre. Elle lui dit de ramasser le masque car il est à lui dorénavant, et elle indique l'existence d'un autre enfant qui est l'abeille.
Paris, 1802. Le 04 août (16 thermidor an X), le Sénat proclame Napoléon Bonaparte, consul à vie. Celui-ci voit ses pouvoirs renforcés. Fouché, hostile à cette nomination, quitte le ministère de la police. Le préfet Dubois et le directeur de la police Desmarest, lui succèdent. Chateaubriand publie : Le génie du christianisme. L'île d'Elbe et le Piémont sont annexés. Le cadastre est créé. Au jardin des Tuileries, François un jeune homme bien mis, accompagne un bourgeois, pour lui montrer une jeune femme assise sur un banc, avec trois enfants autour d'elle, chacun avec une tâche lie de vin sur la tempe. Le bourgeois finit par payer la somme demandée, pour ne pas devoir reconnaître ces enfants illégitimes, fruit d'une union passagère datant d'avant son mariage. Une fois qu'il est parti, François, dit la Torpille, se félicite de la crédulité des individus de ce rang social, et va partager la somme avec la jeune femme comme convenu. Il ressort du jardin très content de lui, mais se fait mettre la main sur l'épaule par un gendarme. À sa grande surprise, il est amené en voiture et dépouillé de ses possessions, pour finir dans le bureau du citoyen premier consul : Napoléon Bonaparte.
Voleurs d'Empires était une saga de grande ampleur se déroulant avant et pendant la Commune de Paris, avec une touche de surnaturel, et des dessins descriptifs minutieux pour une reconstitution historique d'une grande qualité. Implicitement, le lecteur s'attend à retrouver une approche similaire de la part des deux créateurs pour ce récit qui se déroule lorsque Napoléon Bonaparte était premier consul, avant d'être sacré empereur. Le scénariste intègre un cartouche de texte sur des dessins en pleine page, le premier pour la scène de l'hospice en 1781, le second pour établir le contexte politique de l'année 1802 en 7 phrases, et le troisième sur la dernière planche pour évoquer l'existence d'un caïd de la pègre. Avec les deux premiers, il a établi les deux personnages historiques qui interviennent directement dans le récit : Napoléon Bonaparte (1769-1821) et Joseph Fouché (1759-1820). Pour le reste, il se concentre sur l'enquête que doit mener François, et il laisse l'artiste réaliser la reconstitution historique avec ses images, ayant déjà fait l'expérience qu'il peut entièrement lui faire confiance sur ce plan-là. Le lecteur en a la démonstration dès la première planche qui est un dessin en pleine page.
Tout du long, Martin Jamar s'attache à se montrer le plus descriptif possible, sans chercher à réussir un rendu photographique. Cela commence dont avec une vue des toits de Paris, le lecteur apercevant Notre Dame de Paris dans le lointain et prenant le temps de regarder les tuyaux de cheminée en premier plan, la toiture avec ses tuiles et ses colombes sur la droite, la façade de l'immeuble avec deux personnes à la fenêtre, les chambres en mansarde et les cheminées, puis les autres toits en arrière-plan. L'image est assimilable au premier coup d'œil, montrant une vue de Paris sans nul doute possible, et elle vaut le coup de passer du temps pour en absorber les détails. Ainsi le lecteur peut se projeter aux côtés des personnages dans des lieux qu'il reconnaît aisément, et d’autres qu'il ne reconnaît pas forcément, ou moins touristiques. Ainsi tout du long, le lecteur va pouvoir déambuler dans certains quartiers de Paris, en éprouvant la sensation de pouvoir regarder à droite et à gauche pour admirer la façade de l'hospice des orphelins, le jardin des Tuileries avec une vue en hauteur sur les alignements d'arbre, puis après dans ses allées, les passages sous arcade pour voitures entre les quais et la rue de Rivoli, les abords du jardin du Palais Royal, un autre parc parisien.
L'artiste s'investit tout autant pour représenter les intérieurs : la salle de lecture de l'hospice des orphelins rue du Faubourg Saint Antoine avec son grand espace et ses escaliers, le bureau du premier consul avec son mobilier d'époque représenté avec une minutie exquise, le bureau très encombré de Fouché avec tous ses dossiers, les grandes allées de l'ancienne cave des Fourriers, avec la foule venue voir le spectacle des combats clandestins, l'atelier d'artiste peintre avec son chevalet, son lit, sa colonne brisée, la maison Musot avec son comptoir d'accueil sommaire, et la chambre spartiate. Jamar soigne tout autant les personnages à commencer par leurs tenues vestimentaires : la mise élégante de François, l'uniforme des gendarmes et du premier consul, la tenue stricte de Fouché, les habits plus négligés des gens du peuple, les belles robes de ces dames. La profusion de détails apporte une remarquable consistance à la reconstruction historique, dans des compositions de case et de page qui laissent le lecteur libre de son rythme d'avancée, rapide en ne jetant qu'un coup d'œil pour découvrir l'intrigue plus rapidement, posé pour savourer cette richesse visuelle. Le lecteur s'immerge donc totalement dans ces lieux et cette époque, aux côtés de personnages se comportant avec naturel, dans des plans de prise de vue fluides les mettant en valeur, ainsi que les décors.
Le lecteur ressent un grand plaisir à l'occasion de nombreux moments savoureux : les arnaques de la Torpille, l'autorité de Napoléon Bonaparte, les combats clandestins, la séance de pose de nu, l'élimination d'un cadavre gênant dans une fosse commune. L'intrigue est tout aussi facile à suivre. Le scénariste a structuré son histoire sur la ligne directrice d'une chasse au trésor : un nécessaire de voyage a été dérobé au premier consul et il contient un objet compromettant. Bonaparte n'a d'autre choix que de faire officieusement appel à escroc, seul individu pouvant s'infiltrer dans le milieu criminel et rapporter des informations dans les plus brefs délais. La Torpille est un bel homme, avec un charme réel, et le premier consul en brosse le portrait sur la base des éléments de son dossier : né à Arras en 1775, de réelles dispositions précoces pour le vol, l'escroquerie et la débauche. Une carrière avec un certain panache le bagne, une rencontre avec le forçat Vidocq, évadé à nouveau, l'arrivée à Paris sous le nom de La Torpille, l'installation à la tête d'une bande organisée dans le vol, le chantage, la vente de produits illicites. Effectivement, la Torpille réalise ses escroqueries avec un réel panache, et il n'est pas infaillible. L'enquête progresse à un rythme satisfaisant. Comme dans Voleurs d'Empires, le scénariste intègre un élément surnaturel discret. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut s'en agacer en y voyant une grosse ficelle narrative pour expliquer des mystères dans l'intrigue sans trop se fouler, ou il peut aussi y voir l'incarnation de forces systémiques, prenant des allures mythologiques.
Un premier tome plus que solide, avec la narration visuelle remarquable de Martin Jamar, pour une reconstitution du Paris du tout début du dix-neuvième siècle, très soignée, que ce soit pour les scènes en extérieur, ou intérieur, pour chaque détail d'ameublement, chaque accessoire, chaque tenue vestimentaire. Le scénariste introduit un personnage de type gentleman-cambrioleur, charmeur, vif, expérimenté, tout en restant faillible. La recherche s'engage pour retrouver une preuve compromettante, où le lecteur suit la Torpille interrogeant les prostituées, participant à un combat clandestin, papotant avec une modèle, essayant de tirer les vers du nez d'un marchand de vin louant quelques chambres, et ayant abusé de ses produits frelatés.
Aah ! Quel cadeau ! Une série, et sur le Consulat, en plus. Je note une certaine fidélité à Dufaux. Ou au tandem Dufaux-Jamar ?
RépondreSupprimerTroisième paragraphe : Je ne sais pas ce qui est préférable, être consul "à vue" ou être consul "à vie" ☺.
C'est marrant, cette propension des auteurs français ou francophones à employer des antihéros toujours en marge du système ; tu cites Vidocq dans ton article, et plus loin, tu évoques le concept de gentleman-cambrioleur, donc Arsène Lupin. C'est une vraie tradition, chez nous.
Je n'ai pu comparer que quelques planches, mais j'ai l'impression que les contours sont plus gras dans "Double Masque" que dans "Voleurs d'empire". As-tu eu cette impression aussi ? Autre question : le coloriste est-il le même ?
"Un premier tome plus que solide" : Ce n'est que ma perception à l'issue de la lecture de ton article, mais j'ai l'impression que tu es un peu resté sur ta faim. Me trompé-je ou ai-je mal lu ?
C'est au départ une fidélité à Dufaux dont il me reste trois autres séries courtes dans mes piles de lecture. C'est aussi le plaisir de retrouver Martin Jamar qui m'avait épaté sur Voleurs d'Empires.
SupprimerMerci pour la vue / vie : étrange lapsus de clavier, et en plus je ne l'ai pas relevé à la relecture.
Des antihéros en marge du système : je n'y avais pas fait attention. Je ne dispose pas d'une culture suffisante pour savoir si c'est une spécificité de la littérature française ou si la proportion est similaire dans la littérature d'autres pays.
Je me suis fait la même réflexion que toi pour les contours plus gras. Je n'étais pas sûr de moi et je ne savais qu'en déduire, si ce n'est que cela permet au dessinateur de faire plus ressortir les personnages par rapport aux décors.
D'après le site BDthèque, le coloriste de Voleurs d'Empires est Martin Jamar, et celui de Double Masque est Jamar et Bertrand Denoulet.
Un premier tome plus que solide : je n'ai pas réussi à faire abstraction de mon plaisir de lecture de Voleurs d'Empires, et par comparaison celui-ci m'a un peu moins intéressé.