Le conducteur humain, c'est le meilleur fluide pour connecter les gens.
Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre et il se suffit à lui-même. Sa première édition date de 2020, et il est l'œuvre de Katia Even pour le scénario et les dessins, et de Marina Duclos pour la mise en couleurs. Il comprend 46 pages de bande dessinée, et deux dessins en pleine page en finale.
Le site de l'autrice : https://www.katiaeven.fr/
La souriante et gironde Marie s'éveille sous une couverture de fourrure, en se demandant ce qu'elle fait là. Elle suppose qu'elle a dû abuser de la vodka grenadine la veille au soir. Elle se demande aussi qui est le type à ses côtés dans le lit, parce que la veille au soir elle faisait zizi-panpan avec Ben, un ingénieur qui a inventé un truc bizarre dont elle ne se souvient pas bien de la nature précise. Ayant entendu un grondement à l'extérieur, elle s'élance nue en courant hors de la caverne, avec un homme préhistorique à ses basques. Ça y est, elle se souvient : Ben a inventé une machine à explorer le temps, et il n'est nulle part à l'horizon. En revanche, le troglodyte l'a rattrapée et elle prend son pied en appréciant sa vigueur à sa juste valeur. Après une partie de jambes en l'air mémorable, elle se relève et se met à ramasser du petit bois car le fond de l'air est frais. Elle trouve deux silex et se met en devoir d'allumer un feu. Elle est interrompue par son compagnon qui recouvré toute son ardeur. Puis il part chasser le mammouth pendant qu'elle passe le temps en s'adonnant à la peinture rupestre. L'homme ramène la viande et elle finit par réussir à allumer le feu. Il s'enfuit en courant et elle disparaît.
Voilà que Marie s'éveille à nouveau : cette-fois-ci elle se trouve nue allongée dans un vrai lit, avec un homme penché sur elle, également dans le plus simple appareil, prêt à recommencer des cabrioles. Il a une chevelure blanche, une barbe blanche, un chapeau, et une fraise autour du cou. À l'étrange question qu'elle lui pose, il répond qu'il est Johannes, son amant. Il s'occupe d'elle avec amour et tendresse et un vrai savoir-faire. Elle s'adosse à la tête de lit en bois sculpté, pour être mieux calée. Après avoir atteint le point culminant, elle se redresse, avec un dos un peu douloureux, et les motifs de la tête de lit imprimé sur la peau de son dos. Johannes s'en aperçoit et saute tout de suite du lit, pour rejoindre sa table à dessin : il vient d'avoir l'inspiration attendue, ou plutôt l'aide nécessaire pour terminer la conception de son invention à imprimer. Dans le même temps, Marie disparaît du lit. Elle rouvre les yeux sur une peau de mouton en compagnie d'un homme et d'un adolescent, dans un traîneau tiré par un cheval sur du sable. L'équipage se dirige vers une ziggourat au milieu d'un désert. Elle se met immédiatement à quatre pattes pour passer aux choses sérieuses : il ne faut pas longtemps pour l'homme à la couronne batifole avec elle et que lui vienne l'idée d'inventer la roue pour son chariot. Marie disparaît. Elle réapparaît dans un harem alors que le sultan est en train d'essayer de compter ses concubines. Mais à chaque fois, il perd le compte en cours de route. Ayant repéré Marie, il lui fait comprendre qu'il va lui donner du plaisir, ce qu'elle accepte bien volontiers et elle lui énonce ce dont il a besoin pour dénombrer son harem.
La couverture annonce clairement de la nudité et forme assez particulière de représentation des personnages. Ils ont des corps tout en rondeurs, avec une tête plus grosse que la proportion anatomique, donnant l'impression d'être petits, avec une apparence mignonne et adorable associée à la candeur de l'enfance. Dans le même temps, le corps présente les caractéristiques sexuelles d'un adulte. Il y a là une apparente contradiction qui peut décontenancer certains lecteurs au point de les rebuter. Il est également possible d'y voir une façon de dédramatiser les actes et les situations en les situant dans la sensibilité de l'enfance, ce qui se marie bien avec une tonalité humoristique. Dès la première séquence avec l'homme préhistorique, le lecteur constate que l'ambiance est à la gaudriole et au divertissement sans velléité ou intention intellectuelles. Ces voyages dans le temps ne sont pas une volonté de reconstitution historique académique avec une obsession de l'exactitude réaliste. Les ébats de Maris avec ses amants successifs restent dans un registre consentant et ordinaire, sans prouesse physique particulière, ni revendication féministe ou réflexion sur la sexualité à travers les âges.
De la même manière, les intrigues ne sont pas un reportage technique, ou scientifique des inventions passées en revue, dont Marie devient l'inspiratrice au bénéfice d'un grand inventeur dont le nom a été retenu par l'Histoire. Il est vrai que le nom de l'inventeur du feu est perdu dans les limbes de la préhistoire, ainsi que celui du savon, ou de l'écriture avec un roseau et une tablette d'argile, de la clepsydre à sable, ou même de la roue. Le récit se découpe en fait en de courtes scénettes, de 1, 2 ou 3 pages, se déroulant à chaque fois à une époque différente (avec une seule exception). Le schéma est toujours le même : Marie se retrouve nue ou fortement dévêtue avec un homme et ils ont une relation sexuelle au cours de laquelle ou à l'issue de laquelle elle suggère une invention, soit le concept, soit un élément technique permettant à l'inventeur de la mener à son terme. À quatre reprises, elle se retrouve à dériver dans les limbes du temps à l'extérieur de la réalité, reprenant pied sur la machine à voyager dans le temps, inventée par Ben. D'une certaine manière, il est possible de considérer cette bande dessinée comme un recueil de gags fonctionnant tous de la même manière, pour arriver à la même chute, avec un fil directeur sous-jacent qui est celui de cette jeune femme transbahutée d'une époque à une autre, sans aucune prise sur ce phénomène, s'incarnant à chaque sous la même forme, tout en étant la régulière ou une amante d'un inventeur. À nouveau, il ne s'agit pas d'un récit de science-fiction apportant un regard analytique original sur les paradoxes générés par les voyages dans le temps, ou considérant cette quatrième dimension d'une manière quantique. Il ne faut pas trop réfléchir non plus à la barrière de la langue.
Il n'empêche que le plaisir du divertissement premier degré est présent de la première à la dernière page. Pour commencer, Marie est fort accorte, peu farouche, toujours de bonne humeur, et toujours prête pour une séance de zizi-panpan. Le choix du chibi désamorce tout esprit critique sur la psychologie d'une telle femme, sur le fait que chaque inventeur accapare sa trouvaille, que l'Histoire a oublié son nom. D'ailleurs, elle ne fait finalement que leur dire un savoir qu'elle a elle-même acquis dans le futur. Impossible de résister à la bonne humeur de Marie, à l'expressivité de son visage, à sa disposition d'esprit très constructive et positive. Difficile même d'en vouloir aux hommes de lui sauter dessus, car soit ils sont engagés dans une relation régulière et consentante avec elle, soit la société de l'époque rendait acceptable ce genre de comportement. En outre, les dessins sont très agréables, plein d'allant et de dynamisme, jamais malsains ou scabreux. Au bout de deux scénettes, le lecteur se rend compte qu'il a le sourire aux lèvres, qu'il peut laisser son cerveau se reposer, et qu'il a remisé sa condescendance au placard : ce n'est pas que du divertissement, c'est un divertissement surprenant, personnel et très réussi. Il ne s'agit pas de ne pas bouder son plaisir, mais bien de profiter d'une lecture lumineuse, drôle et positive.
Dès la première page, le lecteur voit bien que la végétation est approximative, vraisemblablement pas conforme aux connaissances sur les végétaux de cette période préhistorique, mais aussi apportant exactement la touche d'exotisme attendue, un terrain de jeu inoffensif, parfait pour cette jeune femme bondissante, comme une enfant. La faune est tout autant teintée d'imaginaire évoquant de loin la réalité des attestée par des fossiles et autres artefacts, et tout aussi cohérente avec cette préhistoire de pacotille, mais parfaite pour la nature de la scène. À l'issue de ces trois pages, Marie se retrouve transportée au quinzième siècle dans le lit Johannes Gutenberg (1400-1468). Le lecteur regarde autour de lui, enfin autour des personnages : les murs en pierre, le lit avec son cadre en bois, le pupitre avec l'encrier, la plume et un livre avec ses enluminures, les motifs sur la courtepointe, sans oublier les motifs gravés sur le bois de la tête de lit. Quel luxe de détails ! La dessinatrice va bien au-delà du strict nécessaire pour comprendre la scène, et la qualité de l'immersion du lecteur atteint un niveau remarquable, même s'il garde bien à l'esprit la touche de fantaisie apportée aux décors et aux accessoires. Il en va de même pour la séquence dans le harem avec un tapis aux riches motifs, une architecture arabisante, des motifs décoratifs sur les murs, un voile translucide ceint autour des hanches de Marie : ce n'est pas une reconstitution historique fiable, mais c'est un endroit merveilleux qu'il fait bon observer dans les recoins pour se repaître des détails. Cette sensation de merveilleux et consistance se répète à chaque endroit, à chaque époque, de la Chine antique pour l'invention de l'écriture, à Boston dans un laboratoire installé dans le grenier de la boutique du fournisseur de matériel électrique d'Alexander Graham Bell en 1874.
Au fur et à mesure, le lecteur se rend également compte qu'il n'éprouve aucune sensation de répétition, malgré le schéma très cadré de chaque scénette. Il y a bien de la nudité dans chaque, et une relation sexuelle presqu'à chaque fois, mais ce n'est pas le point focal. Les positions des personnages varient en fonction de l'environnement, des meubles de l'aménagement des lieux de la pièce, en intérieur ou en extérieur. L'autrice surprend même son lecteur avec un passage où Marie n'habite par le corps d'une femme. De même, avec un peu de recul, le lecteur se rend compte que les inventions choisies sont toutes de premier plan, avec des inventeurs parfois évidents, parfois anonymes, et parfois moins célèbres comme Zhang Heng (78-139) ou Bartolomeo Cristofori (1655-1731). Décidément, que ce soit par l'entrain de Marie, par l'exubérance des décors, ou par les inventions, la monotonie et la morosité ne sont pas de mise.
Une lecture qui fait naître un sourire qui ne quitte pas le lecteur du début à la fin, qui le fait voyager dans l'espace et dans le temps, sans rien sacrifier à l'imaginaire, avec un soin épatant apporté aux décors, et une joie de vivre peu commune habitant les personnages. Une lecture divertissante et amusante, coquine sans être obscène ou malsaine, et des facettes qui attestent d'une partie émergée inattendue.
"Le Petit Derrière de l'histoire" : Rien que par la couverture dans le style "chibi", comment ne pas faire le lien avec "Péchés mignons" ? Le site est assez chiche en contenu ; en revanche, je lis que le second tome est déjà sorti ; en tout cas, on peut le commander.
RépondreSupprimer"Le lecteur se rend également compte qu'il n'éprouve aucune sensation de répétition" : C'est vrai que c'est un défi en soi, rien que sur un tome. Nous verrons bien avec le deuxième, si tu le lis.
Je ne connais ni Zhang Heng ni - a priori - Bartolomeo Cristofori. Pour le second, je suis impardonnable ( l'inventeur du piano-forte !). Il est peu probable que je n'aie jamais lu son nom ; mais en tout cas, je ne l'ai pas retenu.
Je n'avais même pas pensé à faire le lien avec Péchés mignons, pourtant évident et manifeste. Le second tome est sorti, mais il n'est pour l'instant disponible que sur le site de l'autrice, pas encore vendu dans les librairies et les sites de vente en ligne. Je compte bien le lire.
SupprimerAucune sensation de répétition : dans le premier jet de mon commentaire, je jouais encore plus sur ma condescendance a priori, et j'ai baissé le cran de plusieurs tons, parce que c'était trop appuyé et que je passais plus de temps à être négatif, qu'à parler de ce qui m'avait plu.
Je ne connaissais ni Zhang Heng, ni Bartolomeo Cristofori, un autre élément attestant que cette bande dessinée n'est pas aussi superficielle qu'il y paraît de prime abord.