Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 22 : Blue Harmonica (2003) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2004, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 7 qui contient les tomes 21 à 24.
Dans un hôtel à étages à New York, un homme torse nu et pieds nus, monte les marches dans la cage d'escalier, vide de tout être humain. Il arbore des tatouages tribaux sur le visage, les bras et les jambes. Dans la salle de bains d'une chambre, un homme habillé et chauve est assis sur le rabat des toilettes, une arme à feu automatique dans la main droite : il attend. Le visiteur nu pied parvient à la chambre 27, ouvre la porte et pénètre dans la pièce. L'autre fait feu sur lui, une explosion se produit soufflant toute la chambre. Ailleurs à New York, dans une rue, Jessica Blandy s'adresse à un afro-américain désœuvré et lui demande s'il connaîtrait un type qui joue de l'harmonica. La question semble un peu vague. Une limousine s'arrête : un homme d'une soixantaine d'années en descend, vêtu d'un costume impeccable. Il se présente à Jessica Blandy : il s'appelle Orz et travaille pour Josuah Hartfish. Il lui tend un carton dont il lui laisse prendre connaissance : un rendez-vous pour le lendemain midi au Hartfish Building devant le tableau de Jackson Pollock. Il reprend le carton, indiquant que Jessica doit mémoriser le message, et remet un billet de cent dollars à l'interlocuteur de Jessica, puis remonte dans à l'arrière de la limousine et s'en va.
Bien évidemment, Jessica Blandy n'a aucune intention d'honorer une telle invitation aussi incongrue. Bien évidemment, elle se trouve devant le tableau de Pollock le lendemain à l'heure dite, et elle répond à la question du portier conformément à la consigne portée sur le carton : dîtes-moi ce que vous en pensez ? Elle détecte facilement qu'il s'agit d'une copie. Le portier prend un autre carton sur lequel il inscrit les coordonnées du lieu où Hartfish attend sa visiteuse : une réception la toiture en terrasse d'un immeuble. Sur place, Parmi les invités, elle a la surprise de se faire interpeller par Victoria Charman dont elle avait la connaissance lors d'une affaire particulièrement éprouvante aux environs de la Nouvelle Orléans. Alors qu'elles sont en train de s'embrasser, c'est au tour de Gus Bomby de venir saluer Jessica. Enfin, Josuah Hartfish vient se présenter : il est ravi de faire la connaissance de Jessica dont Victoria lui a loué les qualités. Celle-ci a accepté d'apporter son aide à Hartfish en occupant la chambre 27. Dans une autre partie de la ville, un homme observe une autre chambre 27, depuis l'immeuble de l'autre côté de la rue. Il voit un individu torse nu qui se tient au pied de l'immeuble dans la ruelle et qui commence à escalader la façade. Il prévient deux individus qui patientent dans une voiture et qui en sortent immédiatement pour arrêter l'individu en train d'escalader.
L'horizon d'attente du lecteur est établi avant même de commencer la première page : Jessica Blandy doit être au centre de l'intrigue, sans pour autant tout résoudre toute seule, il y a des crimes sordides, un peu de folie humaine induisant une forme d'irrationalité ordinaire ou peut-être teintée de surnaturel, et une narration visuelle très concrète et réaliste. Le scénariste a choisi de construire son intrigue sur une sorte de légende urbaine : la mort tragique d'une enfant à 9 ans, un culte irrationnel qui repose sur la croyance qu'elle peut être ressuscitée, que d'une certaine manière elle attend de revenir à la vie par un sacrifice. La folie est bien présente : ces individus convaincus qu'ils doivent se sacrifier pour permettre ce retour, sans explication de leur motivation, ou de la nature du culte. Le lecteur a l'habitude de ce type de dispositif dans la série car elle se focalise plus sur les moments irrationnels que sur la manière dont ces croyances naissent, se développent, s'organisent. Jessica Blandy est bien présente tout du long comme à son habitude : elle accepte de prévenir le prochain sacrifice en aidant son amie Victoria Charman. Cette dernière a été embauché par un riche propriétaire possédant l'une des chambre 27, parce qu'il estime qu'elle dispose d'un don, une sensibilité au surnaturel. Il en va de même pour l'embauche de Jessica pour cette mission. À nouveau elle va de personnage en personnage, apportant son aide parfois par sa simple présence, parfois par une réflexion, parfois en agissant, sans être une héroïne autour de qui tout tourne, ou qui résout tout par sa force de caractère ou ses capacités physiques extraordinaires.
Le lecteur se réjouit à l'avance de pouvoir visiter des lieux uniques, divers et variés. Comme à son habitude, le scénariste conçoit le déroulement de son intrigue, de manière que les personnages ne restent pas cantonnés à une pièce ou une adresse. Renaud peut donc laisser s'exprimer son plaisir de représenter des environnements, là plus urbain, et des intérieurs. Dans ce registre, cela commence avec le palier de l'hôtel, l'escalier et sa rambarde métallique, le parquet du couloir. Puis viennent la salle d'exposition du musée avec une toile de Pollock, le salon de la demeure de Josuah Hartfish avec les deux canapés blancs en vis-à-vis, l'atelier d'un tatoueur, le long comptoir d'un bar huppé, un diner à l'aménagement très fonctionnel se démarquant un peu avec les tableaux accrochés aux murs, le magnifique hall de la réception de l'hôtel Daytona avec son sol en marbre, les plinthes, les colonnades, l'aménagement luxueux de la chambre 27 de cet hôtel avec le marbre au mur et les draperies, ou encore l'atelier de travail du journaliste Minsat avec sa grande verrière offrant une vue apaisante sur une grande pelouse plane. Le dessinateur promène également le lecteur à l'extérieur avec une attention particulière aux détails : les blocs d'une arche de pont en pierre, la vision des gratte-ciels entourant le toit en terrasse où se tient la réception de Hartfish, les barnums abritant les buffets de la réception, les ruelles étroites avec les façades austères des immeubles, la piscine et la pelouse de la villa Harfish où Jessica et les autres prennent une collation avec une attention particulière portée aux meubles de jardin, la rue du quartier populaire où un cadavre pend depuis les fils électriques, le quartier industriel avec ses vitres brisées et ses façades décrépites, et la discussion entre Jessica, Victoria et Minsat assis sur un banc à Central Park, à côté du bassin de la fontaine Bethesda.
Chaque planche se présente comme une prise de vue naturaliste dont le lecteur perçoit la narration au premier coup d'œil, et découvre la richesse en lisant chaque case. Il peut apprécier le jeu naturaliste des acteurs, sans exagération romantique ou dramatique. Là aussi, il peut s'attacher aux détails s'il le souhaite. Il peut par exemple prendre plaisir à suivre l'évolution des toilettes de Jessica, depuis son ensemble pantalon et tailleur crème avec un bustier blanc au début, à un manteau chaud de demi-saison, avec une jupe et des bottes montant au-dessus du genou à Central Park. Il peut admirer le chic des complets de Hartfish, ou même les tatouages des différents candidats au sacrifice. Comme d'habitude dans cette série, la nudité est présente et représentée sans hypocrisie. C'est le cas pour un portrait en pied de face d'un des hommes dénudés, ou encore la poitrine d'une prostituée. Il ne s'agit pas juste de titiller le lecteur, mais de montrer cette obsession de la pureté, de la transparence pour certains personnages.
Le lecteur s'immerge donc avec la même facilité que d'habitude dans ces différents lieux, côtoyant des individus plausibles et très humains. Il constate que le scénariste référence plusieurs histoires passées de son héroïne : Jessica Blandy - tome 10 - Satan, ma déchirure (1994) où apparaissait Victoria Charman pour la première fois et où Jessica acquérait une répulsion physique pour les œufs, ainsi que le tome précédent, à la fois avec Jessica à la recherche de l'homme à l'harmonica et ses pertes de mémoires. Peut-être que Dufaux avait déjà décidé qu'il s'agirait de l'avant dernier tome de la série, ce qui explique son souhait d'évoquer une partie du passé de la série, et d'y faire figurer des personnages semi-récurrents. Le lecteur reste quand même sur sa faim avec la présence de Gus Bomby : finalement impossible de savoir pour quelle raison il est présent à la réception de Josuah Hartfish, et sa personnalité n'apporte rien au récit, il aurait pu s'agir de n'importe qui d'autre. Arrivé à la fin, il découvre également qu'il s'agit d'une histoire en deux parties qui se termine donc dans le tome 24. Cela participe à la frustration qu'il peut éprouver quant à la minceur de l'intrigue dans ce tome. Il est entendu que le scénariste n'est pas tenu de tout expliquer, car ce n'est pas dans la nature de la série, ce n'est pas dans l'horizon d'attente du lecteur. Mais que reste-t-il de l'histoire ? Le malaise des comportements irrationnels, la violence des meurtres, l'insondabilité de l'esprit humain.
Ce tome laisse un goût étrange, d'incomplétude. Renaud réalise des planches impeccables comme à son habitude, qu'il s'agisse des personnages et encore plus des lieux, avec un naturalisme évident, sans affectation artificielle. Le scénariste reste dans les paramètres habituels de la série, mais avec une intrigue éthérée, incomplète puisque ce n'est que la première partie, et insatisfaisante pour ce tome.
Entre l'homme à l'harmonica et l'inconnu à moitié nu et recouvert de tatouages, Dufaux semble avoir un véritable don pour les entrées en matière pour le moins intriguantes.
RépondreSupprimer"Le lecteur se réjouit à l'avance de pouvoir visiter des lieux uniques, divers et variés." : C'est vrai, bien que cela fait quelques albums que l'action se déroule à New York City. Je me demande quelle est la tentation de l'artiste de toujours revenir vers des lieux touristiques ou connus de tout le monde (ici, la fontaine Bethesda). Il faut sortir des sentiers battus au sens propre ; pas évident.
Cette sacrée Jessica semble avoir une garde-robe de première classe. Mais où trouve-t-elle donc le temps de faire du lèche-vitrines ?
Vu ce sentiment de vague insatisfaction que tu sembles exprimer à l'issue de la lecture de ce premier tome, je me demande ce que va donner le second. Vu qu'il s'agit du dernier de la série, j'attends ton billet avec impatience.
La fontaine Bethesda : c'est vrai que celle-ci est un repère incontournable de central Park. Je suis bien sûr allé la voir quand j'ai passé quelques jours de vacances à Manhattan.
SupprimerJe n'ai pas souvenir d'une séquence dans la série où Jessica Blandy fait du lèche-vitrine. :) De même, on peut s'interroger de temps à autre sur la source de ses revenus.