Je vais prendre quatre satés de poulet, et deux portions de Kaho Pad Kaï.
Ce tome fait suite à Caroline Baldwin T17: Narco tango (2017) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. La première édition date de 2018. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario, les dessins et l'encrage. La mise en couleurs a été réalisée par Bruno Wesel. Cette aventure comprend 42 planches. Il s'agit de la première partie d'un diptyque.
Quelques jours avant Noël, à New York, Caroline Baldwin a rendez-vous avec martin Wilson, le patron de Wilson Investigations, dans l'échoppe d'un barbier. Quand elle y pénètre, il n'y a que le barbier et Wilson. Ce dernier lui assure que Gaetano se montre muet comme une tombe. Puis il lui explique ce qu'il attend d'elle, en quoi la mission qu'il lui confie justifie que cette discussion n'ait pas lieu dans les bureaux de l'entreprise. Son médecin lui a donné 6 mois à vivre, sauf s'il peut bénéficier d'une greffe de moelle osseuse. Or il ne connaît qu'un seul donneur compatible : son fils Jeremy. Malheureusement ce dernier est parti il y a trois mois pour Bangkok, sans donner signe de vie depuis. Martin Wilson demande à Caroline Baldwin de lui ramener son fils au plus vite. Il sait qu'elle comprend sa situation car elle-même suit un traitement depuis plusieurs années, pour sa séropositivité. Elle part dès le lendemain et se retrouve dans une chambre d'hôtel à Bangkok en Thaïlande, avec comme seul indice une photographie de Jeremy Wilson. Alors qu'elle sirote un verre de whisky sur son lit en culotte et soutien-gorge du fait de la chaleur, le téléphone sonne. La réception l'informe qu'un monsieur Wu l'attend au River Café. Caroline Baldwin enfile sa petite robe noire et ses nu-pieds à talon et se rend au rendez-vous.
Caroline Baldwin arrive sur la grande terrasse du River Café, et une serveuse l'accompagne jusqu'à la table où l'attend monsieur Wu. Il la salue, lui offre un verre et constate que monsieur Wilson ne lui avait pas menti : sa collaboratrice est ravissante. Il lui explique qu'il connaît Wilson depuis une dizaine d'années et qu'il est son correspondant en Asie, que Wilson l'a chargé de lui apporter toute l'aide possible. Il demande à Caroline ce dont elle dispose. Il lui demande si elle peut lui faire parvenir la photographie par courriel, ce qu'elle accepte. De retour à sa chambre d'hôtel, Caroline Baldwin prend encore un verre de whisky pour avaler ses médicaments. Le lendemain, elle n'a qu'une seule possibilité d'action : faire le tour des hôtels en présentant la photographie de Jeremy et en demandent à la réception si quelqu'un l'a vu. Au bout de deux journées harassantes, elle n'a obtenu que des réponses négatives, et elle ne peut pas s'empêcher de penser que dans trois jours c'est Noël.
En fonction de ses attentes et de son expérience de lecture des tomes précédents, le lecteur est plus ou moins enthousiaste à l'idée de se plonger dans celui-ci. Le principe de l'enquête est exposé en deux pages et dès la page 3, le lecteur se retrouve à Bangkok dans la chambre d'hôtel de Caroline qui est en petite tenue. En 3 pages, l'auteur a déjà casé plusieurs éléments constitutifs de la série : Caroline Baldwin comme enquêtrice, un rappel sur sa séropositivité, une belle vue de gratte-ciels de New York depuis la rue, la plastique de l'héroïne, et un voyage dans un autre pays. Le lecteur est vite rassuré : il ne s'agit pas d'évacuer ces repères attendus pour passer à autre chose. Caroline Baldwin mène l'enquête comme à son habitude : avec une méthode très basique. Elle ne dispose pas de capacités de déduction extraordinaires. Elle ne tabasse pas les criminels jusqu'à ce qu'ils crachent le morceau. Elle ne tombe pas par hasard sur des indices survenant bien opportunément. Sa séropositivité n'est pas juste évoquée en passant. Elle est à la fois un élément constitutif de sa personne qui fait que son chef lui confie cette mission et il en est question à un autre moment crucial du récit. S'il a lu la série depuis le début, le lecteur a pu déjà contempler à loisir le corps de Caroline dans des situations normales. Cela définit le rapport qu'elle a avec son corps, et pas juste un prétexte pour se rincer l'œil. Cela fait partie de sa personnalité et de sa séduction. D'ailleurs, elle enfile également sa robe noire pour un dîner. Cela ne devient pas non plus un costume emblématique car elle porte d'autres vêtements en fonction des conditions climatiques et de ses occupations du moment.
L'un des grands plaisirs de la série réside dans le fait de pouvoir voyager avec l'héroïne, non pas comme un touriste cochant au fur et à mesure les lieux remarquables dans son guide, mais en la suivant dans ses déplacements comme si le lecteur se trouvait à ses côtés l'accompagnant dans son enquête. André Taymans explique qu'il s'est appuyé sur les nombreux clichés de repérage pris sur place lors du début du tournage du film pour lequel il avait écrit le scénario Half-Blood, dans lequel l'héroïne était incarnée par l'actrice Carole Weyers, et qui fut partiellement tourné en janvier 2013 à Bangkok. Ces informations se trouvent dans la postface du récit. Même s'il ne connaît pas ses détails, le lecteur ressent très vite que les dessins et les planches l'emmènent dans des lieux concrets, qui ne sont pas juste plausibles, mais réalistes. Il s'assoit donc en face de monsieur Wu à une table du café doté d'une immense terrasse avec vue sur le fleuve Chao Phraya, sous la toile tendue haut au-dessus du sol pour protéger du soleil tout en laissant l'air circuler. Alors que Wu et Caroline discute, s'il fait attention, il voit les bateaux passer en arrière-plan, avec leur toit très typique. Lorsque Caroline Baldwin fait la tournée des hôtels, il peut parcourir rapidement les pages, sans prêter trop d'attention aux décors. Il peut aussi prendre le temps de savourer et regarder les vendeurs de rue, les tuk-tuk, le mélange d'architecture moderne et de façades traditionnelles, le bateau amarré le long du quai avec les pneus pour amortir, puis la lumière des néons quand Baldwin commence à faire le tour des bars à filles. Un peu plus tard, il regarde les terrasses de café désertées lors d'une séquence nocturne. Il découvre également les canaux (khlongs de Thonburi) à l'occasion d'une autre séquence. Les représentations de l'artiste sont toujours aussi impressionnantes de précision, de justesse, de lisibilité, sans jamais donner l'impression de froideur ou de traçage de photographie.
André Taymans continue de représenter les personnages avec le même degré de détails que les décors, ne simplifiant que la représentation des visages, en particulier les dents qui ne sont pas séparées, mais juste figurées par un espace blanc entre les lèves. Comme il est de coutume dans les bandes dessinées d'aventure, le visage des personnages féminins présente une apparence plus épurée que celui des personnages masculins. Cela n'enlève rien à leur personnalité. Caroline Baldwin a conservé sa silhouette fine et gracieuse, sa mèche caractéristique, ainsi que son regard souvent dur. Elle a recommencé à picoler et le lecteur peut lire une forme de tension dans ses postures, ainsi que la fatigue générée par la température et l'humidité. Ce niveau d'expressivité se fait très naturellement par les dessins, et incite le lecteur à regarder les autres personnages avec la même attention. Il est impressionné par l'assurance tranquille de monsieur Wu, visiblement à l'ide dans son environnement habituel. Il voit l'individu habitué à se faire obéir des femmes par une forme d'intimidation sous-jacente dans les postures du malotru qui aborde Caroline dans un bar à filles. Il lit une autre forme d'assurance, très troublante chez madame Jow, et cela ne le surprend pas quand l'auteur indique qu'il l'a dessiné d'après Cyrielle, une amie. Chaque personnage est individualisé, des seconds rôles jusqu'aux figurants, avec une direction d'acteur naturaliste, sans exagération spectaculaire pour compenser, car le rythme de la narration visuelle est assez rapide.
Le lecteur emboîte le pas à Caroline Baldwin qui est présente sur toutes les planches, sauf une. Effectivement le déroulement de l'enquête est inscrit dans le domaine du plausible, sans indice arrivant à point nommé, sans événement sortant du domaine réaliste. Il est question de la consommation de méthamphétamine (drogue de synthèse sympathicomimétique et psychoanaleptique) sous sa forme locale appelé ya ba. Dans la postface, l'auteur indique qu'il a repris le synopsis écrit pour le film, qu'il avait travaillé avec Thierry Bourcy (écrivain et scénariste). Il l'a donc réécrit pour le transformer en scénario de bande dessinée, aménageant certains passages, voire modifiant certaines parties. Effectivement à la lecture, il n'y a pas de ressenti d'adaptation ou de transposition faite à l'économie. Le rythme est fluide et naturel, sans bizarrerie. En refermant le tome, le lecteur se rend compte que la narration fluide s'accompagne d'une rapidité de lecture, tout en conservant une bonne densité narrative. Même si Caroline Baldwin avait déjà séjourné à Bangkok dans Caroline Baldwin, tome 8 : La Lagune (2002), il n'y a aucune sensation de redite. Le lecteur de longue date de la série retrouve toutes les composantes spécifiques, bien dosées, pour une intrigue dépaysante et bien équilibrée, un vrai plaisir. La dernière page comporte une mention de date : juillet 2012 - septembre 2018. Le lecteur compatit avec l'auteur qui a dû attendre 6 ans pour pouvoir achever son œuvre, et il attend avec impatience la deuxième partie de cette aventure.
C'est un vrai plaisir que de retrouver Caroline Baldwin dans ce dix-huitième tome. André Taymans est en pleine forme à la fois pour l'intrigue et pour la narration visuelle. Caroline Baldwin a toujours son caractère pas si facile, et ses démons intérieurs continuent de la faire souffrir. Un excellent album.
Très chouette commentaire.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup le sixième paragraphe. Il y a notamment cette remarque sur la "différence de traitement" entre hommes et femmes dans la représentation des visages. J'avais eu la même sensation à la lecture du 23e tome de "Blueberry", "Arizona Love", où j'avais été étonné par le contraste entre le visage "lisse et pur de Pearl" et celui de Blueberry, "marqué, buriné".
Ta conclusion est très affirmée, sans aucun équivoque possible. C'est assez rare, chez toi qui fais l'effort de rester le plus objectif possible. J'ai l'impression que cela est dû à une forme de soulagement à la suite des déceptions causées par les tomes précédents. En tout cas, c'est comme ça que cela sonne.
Oui, le plaisir de retrouver Caroline Baldwin (l'héroïne & la série) telle que je l'aime m'a fait perdre toute retenue. :)
SupprimerLa différence de traitement des visages femme/homme est une quasi généralité dans les BD franco-belges, comme dans les comics. C'est moins vrai dans les mangas. C'est un stéréotype visuel dont l'ampleur m'étonne.