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vendredi 28 août 2020

Jessica Blandy - tome 14 - Cuba !

C'est une fouineuse.

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 13 : Lettre à Jessica (1997) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1998, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée par Renaud (Renaud Denauw), et mise en couleurs par Béatrice Monnoyer. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 5 - Magnum Jessica Blandy intégrale T5 qui contient les tomes 14 à 17.

Un américain a arrêté sa voiture sur le Malecón, une promenade en front de mer de huit kilomètres de long au nord de La Havane. Ruiz Mendin (34 ans) est sorti de sa voiture et attend en regardant la mer : il a rendez-vous avec Jessica Blandy. Il se retourne en entendant un pas derrière lui. Il s'agit d'un enfant dans un habit militaire, peut-être un cadet de l'école militaire. L'enfant tient une boîte devant lui et s'arrête devant Mendin en lui demandant s'il attend bien une américaine, une femme blanche. La réponse étant positive, l'enfant prend le revolver dans la boîte et abat Mendin de 2 coups tirés à bout portant dans la poitrine. Jessica Blandy appelle son contact pour l'informer de l'absence de Ruiz Mendin au rendez-vous. Son contact lui explique ce qui est arrivé et lui dit d'appeler Antonio à la Laguna de Leche, près de Sagula, celui-ci lui donnera de nouvelles instructions. Jessica Blandy se rend sur le bateau de pêche qu'on lui a indiqué : elle y trouve le cadavre de son contact. Elle n'a plus qu'à attendre et à espérer que le réseau Hannah parviendra à la joindre autrement. À Cuba, une réunion présidée par un officiel cubain prénommé Santos se déroule en présence de responsables cubains et américains. Santos explique que le colonel Rosario, ayant fait partie d'un lobby anticastriste, doit être libéré dans les jours à venir. Il a demandé l'asile politique à l'ambassade de Bolivie. Il doit la rejoindre dans une voiture officielle en passant par le Malecón. Un attentat a été organisé pour l'abattre dans la voiture, quand elle sera prise dans la foule sans pouvoir avancer. Le tueur pourra s'échapper sans difficulté.

Dans un autre quartier de Cuba, Jessica Blandy se présente à l'entrée d'un immeuble : elle vient voir un dénommé Ortiz. Après avoir montré patte blanche devant Mamita (un jeune garçon), elle est reçue par Ortiz qui ne l'imaginait pas comme ça, il pensait qu'elle aurait été plus moche. Elle lui répond du tac au tac qu'elle pensait qu'il aurait été plus mince. Les deux sourient. Au cours de la réunion des officiels, Santos mentionne la présence de Jessica Blandy et le risque qu'elle représente. Concomitamment Jessica Blandy explique qu'elle a été mise au courant de la défection du colonel Rosario, par l'écrivain Cabron Salute qui avait été incarcéré pendant deux mois dans la même prison. Le colonel Rosario avait organisé un attentat contre Fidel Castro, grâce au financement d'un lobby anticastriste basé à Miami. Actuellement, le colonel Rosario séjourne dans une résidence surveillée où les américains ne peuvent rien tenter. Haydée, la prostituée engagée pour divertir le colonel Rosario, sort de ses appartements et va piquer une tête dans la mer, sous le regard envieux de soldats. Quand elle sort de l'eau, elle retrouve leurs deux cadavres.


Changement de décor pour Jessica Blandy qui quitte les États-Unis pour une mission à Cuba, alors sous la présidence de Fidel Castro (1926-2016) dirigeant de la République de Cuba, pendant 49 ans, d'abord en tant que Premier ministre (de 1959 à 1976), puis comme président du Conseil d'État et président du Conseil des ministres de 1976 à 2008. Jean Dufaux a concocté une histoire utilisant les conventions du genre espionnage, Jessica Blandy s'y retrouvant impliquée comme journaliste. Il est donc question de prisonnier dont la libération risque de gêner du monde, d'intérêts officieux voire occultes des États-Unis à Cuba, de réseau de résistants (le réseau Hannah), d'assassinats pour éliminer les gêneurs, avec un tueur professionnel. S'il le souhaite, le lecteur peut considérer le récit sous l'angle initial de la série : les comportements criminels relevant d'une pathologie psychiatrique. Il est confronté aux actes meurtriers d'un enfant, sans explication, supposant qu'il a été embrigadé et qu'il se conduit comme un bon soldat avec un extraordinaire contrôle de lui-même. Il y a également l'assassin professionnel, aussi compétent que dépourvu de toute empathie pour ses contrats, et très chatouilleux quand on critique ses compétences. Il y en a un autre qui fait aussi froid dans le dos que l'enfant : Santos, la soixantaine. Il semble dépourvu d'émotions, uniquement focalisé sur les objectifs à atteindre et les stratégies à mettre en œuvre, plus froid que l'assassin professionnel.

Le changement de lieu est également l'occasion de pouvoir apprécier la manière dont Renaud décrit Cuba. Au fil des tomes précédents, le lecteur a appris à voir le soin apporté par l'artiste pour représenter les environnements. Tout commence donc sur un tronçon large du Malecón, et une belle vue dégagée sur une mer émeraude. Par la suite, le lecteur se dit qu'il prendrait bien un verre au restaurant sur pilotis où se trouve Jessica Blandy. Il ferait bien un tour sur le bateau de pêche même s'il est bien attaqué par la rouille. Il regarde les colonnes du bâtiment officiel à La Havane, cité surnommée la ville aux mille colonnes. Il éprouve l'impression de lever la tête pour regarder la cage d'escalier de l'immeuble où se trouve Ortiz, avec des vitraux au pallier. Il aimerait bien séjourner dans la belle demeure servant de résidence surveillée (mais pas en temps que détenu) au bord de la mer dont il a un aperçu vu du ciel, puis sur la plage privée aux côtés de Haydée alors qu'elle va se baigner, et enfin de la magnifique architecture intérieure quand Jessica Blandy finit par y pénétrer pour rencontrer le colonel Rosario. Renaud représente également plusieurs rues de La Havane, avec sa précision descriptive habituelle et son souci du détail réaliste, que ce soit pour attendre le bus dans un quartier populaire, ou pour aller prendre un verre dans un bar en sous-sol.



Le plaisir de la lecture ne se limite pas à la possibilité de voir des sites bien représentés, au fur et à mesure du déroulement du récit. La mise en scène de Renaud est toujours aussi évidente et naturaliste, rendant chaque scène plausible. Le lecteur est pris par surprise par la mort du contact de Blandy dans la première page, dans un environnement ensoleillé. Il regarde ensuite les cubains en train de prendre tranquillement un verre pendant qu'elle téléphone au comptoir. La description du déroulement de l'assassinat dans la voiture montre la foule, ainsi que le tueur s'avançant et tirant rendant le plan concret et réaliste. Planche 13, le lecteur sent une petite goutte de sueur perler en revoyant l'enfant avec sa boîte : d'abord de dos en short et teeshirt (il ne peut pas savoir que c'est lui), puis en plan poitrine avec son regard fixe et juste le dessus de la boîte fermée, en écho à celle de la première planche, une belle narration visuelle en sous-entendu. Il sourit en voyant un vieux pick-up remonter une rue en escalier (des marches de petite hauteur et très longues) puis dévaler une rue pavée étroite. Il observe la brève discussion entre deux membres du réseau Hannah en plan fixe à un arrêt de bus, la prise de vue se faisant depuis le trottoir d'en face. Il mesure la justesse du jeu des acteurs quand un autre membre du réseau assis tient en joue le tueur professionnel debout en face de lui sans défense et qu'il prend conscience qu'il n'a pas le sang-froid nécessaire pour l'abattre. Un peu honteusement, il sourit quand Jessica est obligée de se déshabiller pour qu'un employé de madame Lucia (responsable d'un groupe de prostituées) tâte la marchandise pour en vérifier la qualité.

Le récit de Jean Dufaux est un peu lié à la situation politique de cuba et à son histoire, plus à ses sites en tant que décors. Le scénario n'est donc pas générique : l'environnement a une incidence réelle sur le déroulement de l'intrigue. Jessica Blandy se retrouve instrumentalisée au sein d'une opération de grande envergure qu'elle ne découvre que progressivement. Comme d'habitude, elle ne joue pas le rôle de l'héroïne dont l'enquête va permettre de résoudre une situation conflictuelle ou un crime. Elle participe aux événements, sans être forcément l'élément moteur ou la sauveuse. Le lecteur a également à l'esprit que les aventures de Jessica Blandy sont des drames, et les auteurs ne le détrompent pas avec ce récit. Les actions des protagonistes et leur sort sont dictés par le système dans lequel ils évoluent, par leurs convictions et leur culture. L'Histoire a porté un jugement sur le régime castriste (mais aussi sur celui qui l'a précédé) apportant une valeur morale au rôle des uns et des autres dans cette histoire. D'un autre côté, le lecteur voit des adultes en train d'agir avec des moyens allant jusqu'à donner la mort dans les deux camps, pour des enjeux pas si simples dans un contexte complexe. À la fin, il se rend compte qu'il peut éprouver de l'empathie et même de la compassion pour chacun d'eux, ne voyant pas d'alternative simple et propre à leurs agissements.

A priori, le lecteur n'est pas forcément enthousiasmé à l'idée de plonger dans un thriller se déroulant à Cuba, mais ne se confrontant pas directement à Fidel Castro, à sa politique, à son régime, à ce qu'il a apporté au peuple cubain, à l'exemple qu'il a pu donner de résistance à l'hégémonie américaine. Rapidement, il retrouve ses marques dans la narration visuelle impeccable de Renaud, acceptant cette mission un peu particulière de Jessica Blandy souhaitant interviewer un anticastriste avant qu'il ne disparaisse, volontairement ou non. Au-delà de l'intrigue, il se retrouve pris au piège d'un système et d'un historique comme les protagonistes.





2 commentaires:

  1. "A priori, le lecteur n'est pas forcément enthousiasmé à l'idée de plonger dans un thriller se déroulant à Cuba" : effectivement. Et avec tout le folklore - incontournable, hélas - que ça peut supposer.
    Je sais bien que l'on était en 1998, mais aujourd'hui, je me demande bien ce qui motiverait un auteur occidental à évoquer Cuba dans son œuvre, à l'exception de raisons idéologiques.

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    1. C'est exactement ça qui ne me faisait pas envie : tout le folklore superficiel, les clichés prêts à l'emploi.

      Évoquer Cuba dans son œuvre : pour des raisons touristiques, politiques, historiques, d'émigration vers les Etats-Unis, la musique.

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