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samedi 22 août 2020

Les Damnés de la Commune T02: Ceux qui n'étaient rien

Les hommes qui vous servivont le mieux

Ce tome est le second d'une histoire complète en 3 tomes. Il fait suite à Les Damnés de la Commune 01: À la recherche de Lavalette T01 (2017) qu'il faut avoir lu avant. La première édition date de 2019. Il a été réalisé par Raphaël Meyssan. C'est une bande dessinée en noir & blanc, qui compte 132 planches, construites en 7 chapitres. Il se termine avec une double page consacrée aux principaux lieux de la Commune parisienne, évoqués dans le présent tome : Courbevoie, Neuilly, Asnières, Porte Maillot, Place de la Concorde, Place Vendôme, Hôtel de Ville, Fort d'Issy, Champ de Mars, Versailles, Rueil et le Fort du Mont Valérien. Suit une autre double page consacrée aux autres Communes : la Commune de Limoges (4 avril 1871), la Commune de Narbonne (24 au 31 mars 1871), la Commune de Toulouse (25 au 27 mars 1871), la Commune du Creusot (26 au 28 mars 1871), la Commune de Lyon (du 05 au 15 septembre 1870, puis du 23 au 25 mars 1871), la Commune de Saint Étienne (du 24 au 28 mars 1871), la Commune de Marseille (le premier novembre 1870, puis du 23 mars au 04 avril 1871). Le tome se termine avec 2 pages en petits caractères listant les références pour chacun des 7 chapitres.

L'auteur a gravi les marches de la Butte Montmartre afin de voir l'armée fraterniser avec le Peuple de Paris. À ses côtés, les touristes n'ont d'yeux que pour la basilique du Sacré Cœur, sans chercher à imaginer le lieu un siècle et demi plutôt, avant qu'elle n'ait été construite. L'auteur imagine le peuple français à s'agiter de toutes parts, à investir l'Hôtel de Ville, les administrations, les ministères, tandis que l'ancien monde décampe à Versailles, en ce samedi 18 mars 1871. Avec le recul des décennies passées, il sait que cette période insurrectionnelle ne durera que 72 jours, et que tout sera fini le 28 mai 1871, à l'issue de la semaine sanglante. Le 19 mars 1871, l'insurrection a triomphé. Victorine B. a enterré son enfant il y a cinq jours et elle vit cloîtrée dans son appartement. En entendant les nouvelles criées par les marchands de journaux, elle décide d'aller voir par elle-même dans la rue avec son mari. Ils passent par la place de l'Hôtel de Ville et constatent que les vendeurs de journaux ont dit vrai : le Comité Central est réuni. Charles Lavalette est sorti de son appartement de Belleville pour siéger avec le Comité Central de la garde nationale. La première décision du Comité est de rendre le pouvoir, d'organiser des élections.

Paris s'apprête à prendre un nouveau cap : celui d'une grande et belle révolution, bâtie non sur la violence mais sur les élections. En se promenant, Victorine se demande comment le nouveau gouvernement de Paris va pouvoir conserver le territoire conquis. Finalement l'auteur retrouve des notes prises par Lissagaray, un journaliste communard. Les débats portent sur la nécessité de rendre démocratiquement le pouvoir aux parisiens, de réaliser une grande révolution pacifique, de ne pas marcher sur Versailles, de ne pas imposer la démarche à la province qui n'a qu'à se prendre en main. À Londres, Karl Marx écrit son analyse le 30 mai 1871 : le Comité Central aurait dû marcher sur Versailles pour éliminer le gouvernement de l'ancien monde. Plus tard, Friedrich Engels estime que le parti victorieux doit continuer à dominer avec la terreur que ses armes inspirent aux réactionnaires, s'il ne veut pas avoir combattu en vain. Des années plus tard, Léon Trotski reprend l'analyse de Marx pour justifier la Terreur rouge qu'il applique en Russie. Vladimir Ilitch Lénine estime que le rôle de la dictature des soviets est d'user de la violence organisée pour combattre la contre-révolution. L'auteur se prend à rêver d'un autre déroulement de la Commune de Paris, avec les communards écrasant Versailles et se débarrassant de Thiers et de ses généraux. Clac !

Le premier tome avait fait une forte impression : une véritable bande dessinée, entremêlant la vie d'une femme du peuple (Victorine B.), l'enquête sur l'histoire personnelle d'un membre du Comité central de la Garde Nationale (Gilbert Lavalette), et les événements qui conduisent à la création de la Commune de Paris, sous une forme postmoderne (c’est-à-dire l'utilisation de gravures d'époque pour composer des planches de BD). Le lecteur n'a aucun doute sur la qualité du deuxième tome. Raphaël Meyssan utilise la même technique de collage pour aboutir à une narration visuelle sous forme de bande dessinée. Dès l'illustration en pleine page choisie pour la première planche, le lecteur est frappé par la qualité du dessin, ou plutôt de la gravure. Il s'agit d'une vue globale de Montmartre avec les escaliers entourés de jardins et la Basilique dominant le paysage. Pour un lecteur contemporain, il est même difficile de croire à un tel niveau de détails : chaque marche soigneusement tracée, la centaine de petits personnages en train de se promener, le réalisme quasi photographique de l'architecture de la basilique, la texture du feuillage des arbres, et même la trajectoire des jets d'eau en premier plan. Tout du long de ce deuxième tome, le lecteur peut ainsi contempler et admirer de magnifiques vues de Paris, et de quelques endroits de banlieue : la façade de l'Hôtel de Ville de Paris et son parvis, une vue du ciel de Paris dans une gravure en double page, le foyer de l'Opéra Royal de Versailles, la place Vendôme et sa colonne, le hall de l'Hôtel de Ville de Paris, l'entrée du passage Jouffroy boulevard Montmartre, des vues aériennes bluffantes de Lyon, du Creusot, de Saint Étienne, de Marseille, Notre Dame de la Garde à Marseille, une vue du ciel de la place de la Concorde allant jusqu'à l'église de la Madeleine, etc. Le lecteur amoureux de Paris se délecte en identifiant chaque endroit représenté avec une minutie et une exactitude épatantes.

Comme dans le premier tome, Raphaël Meyssan sait compenser la problématique de la représentation des personnages principaux. À l'évidence, l'utilisation de gravures d'époque ne permet pas d'avoir une apparence spécifique et continue pour les 2 personnages principaux. L'artiste s'en tire très bien en compensant cette contrainte par des indications dans les cellules de texte, et en citant les écrits des personnages : le lecteur assimile ce qu'il voit dans la case, soit à la vision du personnage qui raconte, soit à sa silhouette. Même s'il ne peut pas à proprement parler mettre un visage sur un nom (celui de Charles Lavalette, ou celui de Victorine), le lecteur se rend compte qu'il s'agit de personnages bien présents à son esprit, avec une réelle consistance, ne serait-ce que par leur histoire personnelle. Comme dans le premier tome, il constate régulièrement la maîtrise de l'auteur des techniques de bande dessinée. Il y a donc des dessins en pleine page ou en double page. La majeure partie des pages est construite sur la base de cases disposées en bande. En fonction de la séquence, l'artiste peut construire une page sur la base de cases de la largeur de la page, pour ouvrir l'horizon. Il utilise également à bon escient les cases de la hauteur de la page, par exemple en page 33, exercice plus délicat que les cases de la largeur de la page. Il peut aussi utiliser une case sans bordure, comme pour le rappel du corbeau en page 15, déjà présent sur un toit en page 7. Toujours en page 15, il coupe en deux les cases supérieures pour simuler le coupage de la tête des personnes représentées en plan poitrine. Page 73, il fait littéralement voler une case en éclats, en la découpant et en dispersant les morceaux, pour montrer l'impact destructeur des tirs de canons depuis le fort du Mont Valérien. Le lecteur n'éprouve jamais la sensation d'une suite de gravures posées avec application en bande, l'artiste sachant jouer avec les dispositions pour accompagner la nature de chaque séquence, sans en abuser, sans que cela devienne un truc systématique.

Le récit commence le 18 mars 1871, date retenue comme étant le début de la Commune par sa proclamation à l'Hôtel de Ville. Il se termine le 9 mai 1871 à la fin de la bataille du Fort d'Issy, peu de temps avant la Semaine Sanglante (du 21 au 28/05/71). Tout du long, le lecteur croise des figures historiques comme Adolphe Thiers (1797-1877), Jules Ferry (1832-1893), Victor Hugo (1802-1885), Victor Schoelcher (1804-1893), Auguste Blanqui (1805-1881), Gustave Flourens (1838-1871), Louise Michel (1830-1905), … Le lecteur suit les déplacements de Victorine dans Paris, et son engagement d'abord pour tenir une table ouverte pour nourrir les affamés, puis comme ambulancière dans un bataillon affecté du côté de Neuilly. Il suit également Charles Lavalette dans ses engagements, d'abord au Comité Central puis dans l'armée. L'auteur fait œuvre de donner une image globale de la Commune de Paris, et il utilise sa liberté pour introduire d'autres personnages, permettant d'élargir l'angle de vue, pour la Commune de Marseille, ou pour la bataille du Fort d'Issy. Il aborde également la Commune sous différents angles : l'ambiance d'une révolution pacifique, la volonté de ne pas garder le pouvoir et de le rendre au peuple par des élections très rapides, le refus d'aller exterminer le gouvernement d'Adolphe Thiers, des pensions pour les blessés de guerre, les veuves et les orphelins, l'ouverture de la citoyenneté aux résidents étrangers, la réquisition des ateliers abandonnés par leurs propriétaires et confiés aux ouvriers, une plus grande implication des femmes dans la vie sociale et militaire. La narration de Raphaël Meyssan donne une sensation de légèreté malgré des cellules de texte nombreuses sur la majeure partie des pages, grâce à des images spectaculaires, et par l'inclusion de discrètes touches d'humour, souvent un peu décalées, ou des rapprochements inattendus comme l'avis de Philip Sheridan (1831-1888), sur la Commune, le général américain qui avait déclaré qu'un bon indien est un indien mort.

Ce deuxième tome est aussi épatant que le premier. La verve et l'inventivité visuelles de l'auteur ne faiblissent pas, donnant la sensation de lire une véritable bande dessinée, et pas juste un collage académique de gravures récupérées de ci de là. L'histoire de la Commune est racontée dans le détail, avec un souci de donner également une vision globale, et un ancrage à l'échelle humaine (grâce à Victorine, et un peu à Lavalette). Féru d'Histoire ou allergique à l'Histoire, le lecteur plonge dans une reconstitution passionnante, donnant à voir un mouvement populaire extraordinaire.


2 commentaires:

  1. Une réalisation qui semble toujours autant surprendre. Les planches que tu as sélectionnées sont vraiment étonnantes.
    Je me demande si cet ouvrage pourrait être utilisé dans un cadre pédagogique.

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    1. Une utilisation pédagogique : aucune idée, ça sort trop de mon cadre de référence pour que je puisse me projeter et imaginer. En tout cas, c'est éducatif pour moi.

      Je n'ai ressenti aucune impression de baisse de qualité ou d'implication de l'auteur entre ce tome et le précédent : la qualité narrative reste épatante.

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