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mardi 23 avril 2019

Les Bidochon voient tout, savent tout, tome 18

Le gigot de pingouin fait du pédalo.

Ce tome fait suite à Les Bidochon, tome 17 : Les Bidochon usent le forfait (2000) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir vu avant. La première parution date de 2002. Il est écrit, dessiné, et encré par Christian Binet. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc qui compte 45 planches.

Cette bande dessinée comprend 8 histoires courtes, ayant toute pour thème les capacités surnaturelles. Binet a choisi de ne pas donner de titre à ces saynètes dont 4 comptent 5 pages, 1 dure 7 pages, et les 3 autres en comprennent 6. Raymonde et Robert Bidochon sont couchés dans leur lit, s'apprêtant à s'endormir. Robert indique à sa femme qu'il a l'impression qu'il y a quelqu'un à côté de lui, en plus d'elle. Il se demande s'il ne dispose pas de pouvoirs parapsychiques. Il se met à se dire qu'il doit être capable de déplacer des objets par la seule force de sa volonté. Il tente d'envoyer le lit dans le jardin par la force de sa pensée. Ça ne marche pas. Raymonde finit par se lasser et lui demande d'éteindre. Deuxième histoire : Robert a pris conscience de l'existence de voyantes. Il se dit que ce serait trop bête de passer à côté de leur don, de continuer à vivre en aveugle, alors qu'elles peuvent lui prédire son avenir. Il décide d'aller consulter une voyante. Elle lui propose une prédiction en utilisant 17 mancies différentes : il accepte ainsi assuré de la qualité de la prédiction. Troisième histoire : Robert a la conviction qu'il capte bien les ondes émanant de Raymonde, il lui tire les cartes, avec un tarot. Cela l'amène à faire une découverte incroyable sur sa propre sexualité.


Quatrième histoire : Robert a décidé de s'adonner à la radiesthésie, avec un pendule. Ça tombe bien : Raymonde vient de perdre son porte-monnaie dans la rue. Robert suit son pendule qui accuse formellement son voisin Lampatin : le pendule gire, c'est formel. Cinquième histoire : Raymonde ouvre la porte du salon et découvre une traînée de sable. Elle se dit que Robert a encore oublié de s'essuyer les pieds et commence à ramasser tout ça avec sa pelle de ménage et sa balayette. Robert pousse des cris d'orfraie en voyant sa précieuse poudre sacrée ainsi souillée par son épouse. Il ne lui en reste plus assez que pour faire le tour du canapé et protéger l'endroit des forces manipulées. Les 3 autres histoires abordent d’autres aspects de la vie psychique et occulte.


S'il a déjà un lu un tome de cette série, le lecteur sait à quoi s'attendre : la beauferie suffisante de Robert Eugène Louis Bidochon, ainsi que la gentillesse et la crédulité de Raymonde Jeanne Martine Bidochon (née Galopin). Robert porte toujours son béret vissé sur le crâne, même dans le lit. Son apparence n'a pas changé : un gros nez, une surcharge pondérale, son pantalon à rayure maintenu par des bretelles, ses cernes sous les yeux, son sourire suffisant, ses mines énervées ou condescendantes, et ses expressions de déception avec parfois une pointe d'inquiétude. Raymonde est toujours aussi patiente, son visage exprimant souvent la résignation devant les déclarations à l'emporte-pièce de son mari, l'énervement quand il pousse le bouchon trop loin, parfois de l'exaspération quand Robert persiste dans ses démarches qu'elle juge idiotes (le tirage des cartes). Plus que d'habitude, elle apparaît excédée par les expériences de Robert. Même habitué au couple, le lecteur ne peut pas résister à la tête de Raymonde au lever après une nuit trop courte et sans beaucoup de sommeil.


Au cours de ces 8 histoires, Binet fait apparaître d'autres personnages : Gisèle & René, les amis des Bidochon, plus jeunes qu'eux, mais avec les mêmes expressions d'ahuris. Le lecteur peut également apercevoir madame et monsieur Lampatin (plus âgés que les Bidochon) prendre le thé dans leur jardin. Monsieur est en costume avec un canotier, et madame en robe, avec un chapeau à fleurs. Comme souvent, les environnements sont peu différents : la chambre, la cuisine, la salle de bains (Raymonde prend un bain) le salon du pavillon des Bidochon, la pièce noire dans laquelle la voyante consulte, le jardin des Lampatin et la porte d'entrée du pavillon. La narration visuelle repose donc essentiellement sur les gestes que font les personnages, leur langage corporel, et les expressions des visages. Du fait de l'approche choisie pour les thèmes abordés, les dessins semblent plus cruels envers les personnages, qu'il s'agisse de la crédulité de Robert, de l'exaspération de Raymonde, du professionnalisme bidon de la voyante. Seuls les Lampatin apparaissent agréables, malgré les ravages de l'âge sur leur physique.


Ce n'est pas une surprise de découvrir que Binet effectue une attaque en règle sur tous les aspects de la voyance et du spiritisme que Robert peut essayer. Toutes les scènes sont à charge. L'auteur a eu l'idée d'agrémenter sa mise en scène de petites étiquettes reprenant les déclarations de voyants ou de marabouts, telles qu'elles apparaissent sur les cartes de visite, ou leurs flyers pour boîte aux lettres. La juxtaposition entre le texte et la pratique de Robert Bidochon produit un effet de massacre ridiculisant sans appel ces pratiques d'un spiritisme de pacotille, faisant effet d'une magie infantile et sans fondement. Il passe en revue de nombreuses pratiques, et les tourne toutes en dérision. Pour commencer, Robert se ridiculise en estimant pouvoir utiliser son cerveau pour déplacer les objets. Il cite l'idée reçue que l'être humain n'utilise que 10% de son cerveau, pourcentage prouvé scientifiquement faux. Binet poursuit ensuite avec l'idée que le sommeil favorise la remontée de mots clefs dont l'association dans le bon ordre peut déclencher des capacités extraordinaires. Impossible de résister à la formule : le gigot de pingouin fait du pédalo.


Le lecteur ne résiste pas non plus à la charge féroce de la deuxième histoire qui passe en revue 17 mancies différentes : cristallomancie (ou art béryllistique), caféomancie, alomancie, aleuromancie, botanomancie, ciromancie, claviculomancie, gyromancie, crommyomancie, cosquinomancie, cléromancie, encromancie, aéromancie ou aéroscopie, clédonsimancie, acutomancie, ooscopie. Régulièrement il apparaît le symbole de la carte bleue dans la case, faisant bien comprendre ce qu'en pense l'auteur. Il passe ainsi en revue la divination par les tarots (Robert se référant systématiquement à son livre pour interpréter le symbole), la radiesthésie, la protection d'influences surnaturelles par l'épandage d'une poudre aux vertus magiques, le voyage astral, la poupée vaudou, et la séance médiumnique pour convoquer l'esprit des morts. Binet ne réalise pas une analyse de ces pratiques, ni ne prend de recul sur le sujet. Ces différentes saynètes présentent chacune de ces pratiques comme étant bidons et relevant de la charlatanerie pure et simple, ce qu'en attestent les prédictions creuses de la voyante. D'un autre côté, ces pratiques génèrent des situations drôles dans la manière dont Robert les met en œuvre, avec un échec systématique.


Le principal humour de ces histoires provient donc de la volonté de Robert de tester chacune de ces pratiques, convaincu de leur bien-fondé, même si ça ne marche jamais. Le décalage entre sa conviction dans ces pratiques et son incapacité à produire quoi que ce soit de concret produit un effet comique. Robert se montre enthousiaste à chaque fois, à commencer par l'éventualité de déplacer son lit par la force de sa pensée. Dans cette situation, l'humour provient à la fois de l'échec, à la fois de l'objet sur lequel Robert exerce sa volonté, du fait son caractère banal. Il en va de même quand les personnages s'habillent chaudement pour se préparer au voyage astral, réputé frigorifiant. Dans l'histoire suivante, le passage en revue des différentes mancies accumule les objets improbables et accentue encore l'absurdité de ces pratiques par la manière très littérale dont la voyante les met en œuvre. Le lecteur sourit également à la manière dont Robert induit lui-même les résultats de son expérience : sa conviction de la réalité de la prédiction de la voyante (je vois un grand malheur), le résultat du tirage de tarot remettant en cause sa sexualité, la croyance qu'il existe réellement des forces manipulées, les effets présumés de la poupée vaudou. Outre les tronches impayables des personnages, Binet réalise également d'autres moments d'humour visuels : les Bidochon avançant accroupis pour ne pas être repérés par Les Lampatin, les Bidochon, Gisèle et René assis sur des chaises avec des gros vêtements d'hiver, les caractéristiques outrageusement sexuées de la poupée vaudou, les défunts qui apparaissent lors de la séance de spiritisme.


Dans ce tome, le lecteur retrouve toutes les spécificités de la série : le caractère de Raymonde et celui de Robert, la banalité des situations du quotidien, es visages très expressifs, le ridicule généré par les convictions inébranlables de Robert, et la patience de Raymonde mise à rude épreuve. Sur la base de la thématique, Binet réalise des histoires à charge qui neutralise la sympathie que le lecteur éprouve généralement pour les personnages, malgré leurs défauts.



2 commentaires:

  1. J'avais découvert cette série avec le second tome, "Les Bidochon en vacances". Je crois que j'étais trop jeune pour en comprendre toutes les références et sous-entendus.
    Je suis étonné de sa longévité, plus de trente ans, surtout avec le même artiste.

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  2. En plus, Christian Binet (72 ans) a d'autres séries et albums à son actif. Je viens de voir que le tome 22 sort le 03 mai 2019.

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