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jeudi 18 avril 2019

Loup de Pluie - Tome 2

À ces fous égarés, seule une femme pourra rendre la lumière.

Ce tome est le deuxième d'une histoire complète en 2 parties, faisant suite à Loup de Pluie - Tome 1, rééditée en grand format dans Loup de Pluie - Intégrale complète, avec un avant-propos de 2 pages du cinéaste Bertrand Tavernier. La première édition date de 2013. Le scénario a été écrit par Jean Dufaux, les dessins et la mise en couleurs ont été réalisés par Rubén Pellejero. Ce deuxième tome comprend 70 pages de bandes dessinées en couleurs.

India Limb s'approche de l'entrée d'un canyon, à cheval, avec son fusil en travers de son bassin. Elle siffle pour s'annoncer à la sentinelle placée à l'entrée par les Cody. La sentinelle l'escorte jusqu'au fond du canyon, devant la maison sur le porche de laquelle se tiennent Cody père et son fils Andy. Elle vient les prévenir que l'étau se resserre autour d'eux, et demande à Cody père de relâcher Blanche McDell. Celui-ci effectue une synthèse rapide de la situation, concluant qu'il est hors de question pour lui de céder, et qu'il n'hésitera pas à tuer son otage si Vincent McDell et les siens tentent une attaque en force. À l'intérieur de la maison en bois, Blanche McDell est en train de faire faire une dictée à Julius Cody, en lisant à voix haute un poème de John Keats (1795-1821). Elle tourne autour de la table et réussit à s'emparer subrepticement de son revolver qu'il avait laissé dessus. Elle le menace, et sort sur le porche en exigeant de repartir avec India Limb. Cody père leur fait observer qu'elles sont toutes les deux couchées en joue par un homme qui n'hésitera pas à tirer. India Limb repart faire part de l'ultimatum de Cody père : Vincent McDell a une semaine pour lui livrer Loup de Pluie, l'homme qui a tué Ingus Limb.


India Limb se tient sous la tente de Tonnerre Hurlant et fait part de l'ultimatum à l'assistance où se trouve également Vincent McDell. Tonnerre Hurlant indique qu'il va attaquer les Cody dans leur canyon pour venger la mort de Nuage Rouge. Vincent McDell obtient qu'il attende quelques jours, le temps que Bruce McDell aille amadouer Mamie Limb, celle qui a loué les services de la famille Cody, et que Jack McDell (son autre fils) retrouve Loup de Pluie et le ramène à la tribu. Dans le même temps, Vincent McDell demande au shérif Farrow (également présent) de rassembler l'ancienne milice à l'entrée du canyon pour une éventuelle attaque, si les missions de Jack et Bruce n'aboutissent à rien. Il précise qu'il prendra lui-même le commandement de la milice. Bruce McDell se présente à la ferme des Limb le chapeau à la main, et trouve Mamie Limb et sa fille India à l'intérieur. Il explique la raison de sa venue, et Mamie Limb se lance dans un numéro de mère éplorée et inconsolable. Bruce McDell effectue alors une déclaration inattendue, entendue par Andy Cody qui espionne à l'extérieur.


Comme c'est étrange, le lecteur ne s'attendait pas forcément à l'évolution du ton de la narration. La première moitié partait sur la base d'un duel au soleil, avec un mort et sa famille (sa mère) qui cherche à la venger en employant une bande menée par un chef de famille violent. Jean Dufaux avait entremêlé à son histoire une fibre relative à la condition des amérindiens, ainsi que les signes d'une société en mutation, sans oublier les drames humains. La première page annonçait clairement la mort à venir de plusieurs personnages, souvenir évoqué par Blanche McDell. Ce deuxième tome ne propose pas une longue chevauchée sous forme de course-poursuite pour rattraper Loup de Pluie. Il déconcerte encore plus par le fait que Loup de Pluie n'apparaît pas beaucoup et ne peut pas être qualifié de personnage principal. Cette deuxième partie se déroule sur quelques jours 2 ou 3, et l'intrigue se focalise sur les actions des protagonistes pour dénouer la prise d'otages. Pour autant, le scénariste reste bien dans le registre du western, avec quelques chevauchées, des endroits isolés dans une nature omniprésente, des amérindiens subissant l'installation des blancs, l'utilisation d'armes à feu pour régler ses différends, une attaque finale.


Le lecteur se rend compte que l'histoire fait la part belle aux femmes qui ne sont pas cantonnées aux faire-valoir. Alors qu'elle a été prise en otage (rôle de femme soumise), Blanche McDell fait preuve de ressource, sans pour autant recourir à la violence ou l'agressivité. Les dessins montrent qu'elle a conservé sa dignité et sa mise impeccable, sans donner pour autant une impression de condescendance. Elle sait faire montre d'empathie, sans pour autant souffrir du syndrome de Stockholm. Mama Limb est toujours aussi énorme, à la fois par son physique, à la fois par son attitude butée, mais aussi calculatrice. Elle sait où se trouve son intérêt et sait changer de stratégie en conséquence. Pellejero en fait une matrone aux expressions révélatrices, générant un sourire sur le visage du lecteur. India Limb est la femme qui se conduit plus comme un homme : portant aussi bien la jupe longue que le pantalon, chevauchant seule, maniant le fusil, tenant tête aux hommes sur leur propre territoire. Les dessins n'en font pas un garçon manqué, mais montrent qu'elle a une assurance suffisante pour être crédible, et qu'elle sait parler le langage des hommes. Finalement parmi, ces personnages féminins, Petite Pluie est un peu à part puisqu'elle se conforme plus à la place que lui a dévolue la société : une future épouse, tout en ayant l'art et la manière de transgresser les us et coutumes en chevauchant de manière autonome et en décidant de s'engager avec un homme blanc. Au vu de ces rôles féminins forts, le lecteur ne peut qu'être d'accord avec Blanche McDell quand elle déclare : à ces fous égarés, seule une femme pourra rendre la lumière.


Cependant, les auteurs ne caricaturent pas pour autant les hommes de l'histoire, montrant des individus avec des caractères et des parcours de vie différents. La jeune génération (entre 20 et 30 ans) est celle qui preuve de plus d'adaptabilité. Bruce McDell transgresse lui aussi les règles implicites de sa classe sociale en assumant l'amour qu'il porte à India Limb. Pellejero le représente comme l'archétype du cowboy avec sa chemise, sou foulard, son stetson, son pistolet et son ceinturon et ses bottes. Jack McDell en est la copie conforme en plus jeune et moins assuré. Le lecteur peut le lire dans son regard quand il affronte Ghost, ce doute quant à son bon droit, sa capacité à gagner. À nouveau quand il se retrouve face à Petite Lune, il peut voir la force des émotions qui modèlent son visage, sa franchise, son absence de calcul et de cynisme. Jean Dufaux montre la même capacité d'adaptation et de liberté par rapport aux règles implicites du clan Cody, chez Julius chargé de surveiller Blanche McDell. Le lecteur voit dans ses gestes et ses postures l'acceptation d'essayer les usages des McDell, d'apprendre de manière scolaire, de regarder Blanche autrement que comme une proie, de s'en remettre à ses émotions plutôt qu'aux règles en vigueur. Par opposition, les personnages plus âgés donnent l'impression de ne chercher qu'à maintenir l'ordre établi. Cody père campe sur ses positions, refusant toute forme de négociations. Ses convictions ont été formées par sa vie, né pauvre, ayant tout dû tout conquérir par la force et la sueur, ayant subi les lois qui favorisent les puissants. Vincent McDell ne souhaite que pouvoir retrouver sa fille et revenir aux affaires comme elles étaient avant. Tonnerre Hurlant a la volonté d'intervenir conformément aux us et coutumes de sa tribu. Même le nouveau shérif ne souhaite que s'installer dans le poste de son prédécesseur pour jouir des mêmes avantages, faire en sorte que les petites combines lui profitent.


Cette dimension de la narration ne prend pas le pas sur l'aventure et sa dimension visuelle. Rubén Pellejero continue d'enchanter le lecteur avec des paysages et des situations magnifiques : India Limb se présentant à l'entrée du canyon, l'intérieur de la cabane dans laquelle Julius Cody est en train d'apprendre à lire, la tente où Tonnerre Hurlant tient son conseil, l'intérieur de la cabane de Mama Limb, la pente verdoyante où India et Bruce vont conter fleurette, l'arrivée de Jack à un bar sous une pluie battante, l'étonnante apparition du bison blanc dans une plaine illuminée par des geysers de feu, les 2 tentes des trappeurs ayant recueilli Petite Pluie. À chaque fois, le lecteur est envouté par la mise en couleurs : les jaunes beurre frais et Nankin dans le canyon, le vert pistache de la prairie, le brun noisette quand la milice arrive à l'entrée du canyon à la nuit tombante, le vert de gris quand Jack McDell arrive au bar sous un rideau de pluie, l'orange citrouille de la plaine aux geysers de feu, etc. La mise en couleurs semble avoir été faite en couleur directe, et les paysages bénéficient également de cases de la largeur de la page pour transcrire l'importance des paysages. L'artiste continue d'utiliser des traits un peu gras pour détourer les contours des personnages comme des décors, avec des aplats de noir de taille réduite et de formes assez fluides pour donner de la texture et de la consistance à chaque surface.


Outre la dimension générationnelle du récit, le lecteur observe une fibre politique toujours en trame de fond sur les prémices d'une époque où la culture amérindienne va disparaître, une fibre sociétale où l'arme à feu continue de faire la loi, une fibre ésotérique et mystique avec l'apparition mystérieuse du bison blanc et ce qu'il représente. Sous des dehors de règlement de compte classique, le récit met en scène le crépuscule d'une époque et d'un mode de vie. Le mode de vie des anciens a déjà commencé à disparaître ; la jeune génération semble pouvoir amener de nouvelles valeurs, perdues de vue par les anciens avec les années passées.

Dans un premier temps, le lecteur est déconcerté par la forme du récit, du fait d'une coupure par rapport à ce que promettait la première moitié. Très vite, il retrouve les spécificités de l'écriture de Jean Dufaux (avec des personnages avec une personnalité bien affirmée), et des pages splendides transcrivant bien la majesté des paysages. Au fil du récit, le lecteur retrouve les thèmes abordés dans le premier tome, et développés dans ces pages. Les auteurs proposent une vision à la fois humaine, politique et mystique de ce moment western.



2 commentaires:

  1. J'ai l'impression que Dufaux a voulu revenir à un genre qu'il n'avait pas encore profondément exploré. À part "Melly Brown", je ne sais pas s'il a écrit d'autres scénarios de western.

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    1. Je n'avais pas pensé à regarder ce récit de genre sous cet angle. Après consultation de la page wikipedia de Dufaux, il semble bien que tu aies vu juste : il n'y a pas beaucoup de westerns dans sa bibliographie.

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