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jeudi 28 février 2019

Loup de Pluie - Tome 1

La loi, elle ne peut pas toujours rester du côté des riches.

Ce tome est le premier d'une histoire complète en 2 parties, rééditée en grand format dans Loup de Pluie - Intégrale complète, avec un avant-propos de 2 pages du cinéaste Bertrand Tavernier. La première édition date de 2012. Le scénario a été écrit par Jean Dufaux, les dessins et la mise en couleurs ont été réalisés par Rubén Pellejero.

Blanche McDell se tient sur une petite élévation et regarde la plaine qui s'étende devant elle à perte de vue, sous un soleil orangé. Elle pense à son père le magnat des chemins de fer, à son frère Bruce mort à 27 ans, à son jeune frère Jack. Quelques temps auparavant, un soir, Jack McDell était parti pêcher. Il avait rejoint son canoë et y avait trouvé des poissons pêchés par quelqu'un d'autre. Intrigué, il avait mis son canoë à l'eau et avait ramé un peu jusqu'à une rive où brûlait un feu. Il y avait fait la connaissance de Petite Lune, jeune femme amérindienne, qui lui avait expliqué lui avoir laissé des poissons en constatant qu'il est piètre pêcheur. Le lendemain, Ingus Limb arrive en ville et se rend directement au saloon. Le shérif l'aborde pour essayer de s'assurer qu'il ne fera pas d'esclandre car il provoque souvent des incidents. Limb explique qu'il est venu passer une nuit en attendant Bruce McDell à qui il a des questions à poser. Dans le fond, Loup de Pluie est assis à une table, en train de jouer au poker et remarque à haute voix que Bruce McDell n'aura peut-être pas envie de répondre auxdites questions. Ingus Limb rétorque par des propos agressifs et racistes.


Loup de Pluie se lève, quitte sa table, et indique qu'il s'en va parce qu'il ne veut pas provoquer la bagarre. Il répond quand même à l'agressivité de Limb en le menaçant de son couteau, et en lui retirant son revolver. Dès que Loup de Pluie est sorti, Limb s'empare du revolver du shérif et sort à son tour, pour un duel au soleil dans la grand-rue. Ingus Limb tombe mort dans la poussière. Loup de Pluie remet son arme au shérif en indiquant qu'il s'en remet à la justice. Il demande que Bruce McDell soit averti de ce qui vient de se produire. Ce dernier est en train de tester la vitesse de son cheval contre celle du train à vapeur. Ayant été averti, il réenfourche sa montre et se rend en ville sur le champ. Il entre dans le bureau du shérif et lui demande que Loup de Pluie soit libéré, qu'ils sortent par derrière et que le shérif s'occupe de calmer la foule. Le shérif accepte.


Les 2 tomes ont été regroupés dans une édition magnifique qui s'ouvre avec une longue introduction de 2 pages, rédigée par Bertrand Tavernier, évoquant les westerns qu'il a pu lire en bande dessinée dans sa jeunesse (bien sûr Blueberry de Charlier & Giraud, mais aussi Jerry Spring de Jijé); ainsi que les films de type western. Il explique qu'il a fini par se constituer sa propre grille de lecture assez exigeante, et que Loup de pluie réussit à utiliser les conventions du genre en les respectant, tout en proposant des variations originales, pertinentes, intelligentes et révélatrices. Ainsi mis en confiance et un peu intimidé, le lecteur se lance dans l'ouvrage, et apprécie immédiatement la représentation des environnements. Pour la première page, Rubén Pellejero utilise 3 cases de la largeur de la page, ouvrant le paysage de manière panoramique, ce qui permet au lecteur de ressentir l'immensité de la plaine, contrastée avec la petite case en dessous où Blanche McTell arbore une expression vide et figée, impassible devant ce spectacle. Le lecteur retrouve cette couleur orange sombre dans le deuxième page, faisant le lien avec le coucher de soleil, et la lumière déclinante sous les arbres. Ainsi mis en condition, son esprit devient plus sensible à l'usage que l'artiste fait des couleurs, à la manière dont il utilise sa palette. Cette scène nocturne au bord de la rivière dans les bois se termine avec des couleurs grises et marrons. Dans la page suivante, un jaune ocre indique une lumière de pleine journée, et il contraste fortement avec le marron caramel à l'intérieur du saloon, plongé dans une forme de pénombre. Le lecteur se régale du jaune plus clair lorsque Bruce McDell à cheval sur Serenity fait la course avec le cheval vapeur, avec un beau ciel bleu clair. Le lecteur admire ensuite les teintes pastel lors de l'apparition du bison blanc, le gris de la nuit quand India Limb surprend Bruce en train de baigner, ou encore l'orange tirant vers le rouge quand les Cody commencent à abattre du monde.


Tout au long de ces 54 pages, Rubén Pellejero est amené à représenter plusieurs aspects de la nature sauvage. Sans aller jusqu'à une impression de randonnée, le lecteur peut observer les plaines désolées traversées par la voie de chemin de fer, les zones boisées sur les rives du fleuve, avec la montagne aride en arrière-plan, la gorge creusée par la rivière au-dessus de laquelle passe la voie de chemin de fer sur un viaduc fragile, le calme de la rivière lors de la baignade nocturne et l'isolement total de cet endroit, les différentes nuances du feuillage des arbres, le ciel de feu lorsque le soir approche. Il ressent pleinement la présence de la nature, ses dimensions gigantesques rendant l'homme tout petit même dans une ville, même aux côtés d'une réalisation technologique comme le train. L'artiste ne réalise pas une description photographique de l'environnement, préférant conserver une fibre impressionniste. Toutefois, ses traits sont assez précis pour que le lecteur puisse distinguer plusieurs essences d'arbres. Pellejero utilise un trait un peu gras pour détourer les formes, faisant varier le degré de précision de la représentation en fonction de la nature de la scène et de la part d'émotion et de ressenti qu'il souhaite y conférer. Il joue également sur les arrondis et sur les lignes brisées, pour adoucir certains personnages et en durcir d'autres.


Rubén Pellejero ajuste le niveau de détails de ses représentations, aussi bien pour les décors que pour les personnages. Sa représentation des éléments naturels est plus lâche pour conserver la dimension sauvage de la nature. Celle des constructions humaines comprend une part descriptive plus poussée pour faire ressortir l'ordre que l'homme impose à ce qu'il fabrique, à commencer par des traits rectilignes, que ce soit pour les wagons du train, ou pour les planches des bâtiments. Il privilégie les traits plus simples pour les personnages, ce qui lui permet de jouer également avec les ombres pour accentuer l'expressivité des visages, avec un sens de la nuance épatant, le lecteur ressentant une forte empathie se dégager, comprenant bien leur état d'esprit. Il se rend compte qu'il sourit avec Jack McDell alors qu'il papote avec Petite Lune, qu'il durcit son regard comme Loup de Pluie interpellant Ingus Limb, qu'il s'inquiète en regardant le visage méchant de Mamie Limb, qu'il est terrifié comme le shérif Aloysius Comb se faisant malmener par les Cody, ou encore qu'il est autant dans l'expectative qu'India Comb quand elle se retrouve face au meurtrier de son frère sans savoir quelle attitude adopter. L'artiste sait aussi jouer avec les aplats de noir pour donner une allure plus hiératique à ses personnages lorsqu'ils semblent devenir l'incarnation d'un ordre sacré ou mystique (Loup de Pluie se rendant au tipi du conseil des sages), ou de la violence (le père Cody malmenant le shérif).


Les pages de Rubén Pellejero offrent une grande facilité de lecture, grâce à une lisibilité immédiate tout en recelant des saveurs prononcées, sans avoir à recourir à une dramatisation artificielle et putassière. Emporté par la narration visuelle, le lecteur se laisse porter par le récit ne faisant pas forcément attention aux éléments qui en font un western qui sort des stéréotypes. Il retrouve les conventions de genre auxquelles il s'attend : la nature sauvage, le duel au soleil dans la grand-rue, la loi du plus fort supplantant les lois de la société, les amérindiens comme peuple indigène dépositaire d'une sagesse en phase avec la nature, l'avancée inexorable de la civilisation occidentale. Jean Dufaux parvient même à caser un repas au pemmican, un mélange de graisse animale, de moelle animale, de viande séchée et réduite en poudre, et de baies. Dans le même temps, le scénariste joue avec les conventions du genre western, en en retournant quelques-unes. Ainsi le duel au soleil implique un blanc et un amérindien, l'individu qui se fait passer aux plumes et au goudron est un représentant de l'autorité plutôt qu'un criminel ou un individu victime d'une erreur de jugement, les femmes échappent au rôle de victime, ou à la caricature du sexe faible. Le lecteur comprend mieux le jugement de valeur de Bertrand Tavernier : un western qui respecte les conventions du genre, tout en y introduisant assez de variations pour ne pas être un exercice de style appliqué et déjà vu mille fois.


Jean Dufaux a donc bâti une intrigue à la fois très classique, à la fois imprévisible. Il s'agit d'une histoire de vengeance : un homme en a tué un autre déclenchant le cycle de la violence. D'un autre côté, il ne se contente pas de cette trame basique. Il n'oublie pas les enjeux de la transformation de cette société, que ce soit par l'arrivée du chemin de fer qui va permettre de coloniser plus rapidement les territoires, que ce soit par le début du déclin des tribus indiennes, subjuguées par la puissance de feu des blancs. Il ne se contente pas de ressasser des lieux communs, puisqu'il évoque aussi bien les ententes entre amérindiens et blancs à l'occasion de pow-wow où les 2 parties ont à y gagner, que la conscience des amérindiens de leur infériorité en termes de rapport de force. Il intègre également une dimension mystique avec la vision d'un bison blanc mythologique, 2 histoires d'amour rassemblant des individus de milieux différents, la loi du plus riche (Bruce McDell pouvant exiger l'impunité de Loup de Pluie), le racisme (celui d'Ingus Limb), les inégalités sociales (en particulier les Cody qui refusent de rester dans le cadre, de se laisser imposer la justice des riches et des puissants). En 1 seul tome, Jean Dufaux raconte une histoire simple et directe qui fait apparaître plusieurs facettes de la société dans laquelle elle se déroule, du milieu qui la façonne.


Avec le panégyrique dressé par Bertrand Tavernier dans son avant-propos, le lecteur se dit que soit ses attentes seront déçues, soit il risque d'éprouver des difficultés à comprendre une œuvre peut-être trop intellectuelle. En fait, dès la première page, il est conquis par la personnalité qui se dégage des pages de Rubén Pellejero, sa capacité à transcrire la saveur des environnements, à rendre apparentes la personnalité des protagonistes et leurs états d'esprit. L'intrigue s'avère simple et facile à suivre, tout en servant de révélateur d'une société, d'un système de fonctionnement, et de grands bouleversements déjà à l'œuvre, sans rien sacrifier au drame humain.



2 commentaires:

  1. Je le lirais volontiers si je n'avais pas tant de westerns dans ma pile. Entre les "Blueberry", dont je dois reprendre la lecture, "Jerry Spring" (cité par Tavernier), "Comanche", et "Bouncer", sans compter "Cartland", que j'ai déjà lu, ou d'autres récits complets ("Sykes"), ça commence à faire beaucoup...
    Néanmoins très satisfait d'avoir découvert cette œuvre sous ta plume.

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  2. Quand j'ai commencé à relire la série Jessica Blandy, je suis allé voir la bibliographie de Jean Dufaux pour chercher d'autres œuvres susceptibles de me plaire et que je n'aurais pas encore lues. C'est ainsi que j'ai découvert cette BD en 2 tomes et que j'ai jeté mon dévolu dessus.

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